"Peut-être. Mais je préfère la mienne."

La réplique avait arraché un sourire amusé à l'adolescent qui devait bien reconnaitre qu'il préférait quand même quand l'ambiance était plus détendue, même si maintenant il se gelais trois fois plus les miches.

"Merci de l'avoir retrouvée. C'est mon fils qui l'a forgée. J'y tiens."
L'iroquois détrempé tira une mine à la fois surprise et confuse, lâchant un petit "Ah.." Qui n'engageait pas grand chose. Juste comme un accusé de réception noyé dans un nuage de pensées sous-jacentes.
Son fils...
Kit Skelton ?
Non, peut être pas.
Le jeune chasseur se mordit la lèvre inférieure comme pour s'empêcher de demander alors que le pirate se relevait avec semblait-il quelques difficultés, mais pas tant que ça non plus.
Un peu plus et ça l'aurait fait culpabiliser...
Mais l'anarchiste n'en était pas encore la.
Pas si loin, mais pas encore.

Le pommeau de son épée dorée se présenta finalement au révolté, le sortant de ses pensées.

"Chose promise, chose due."

Un instant de rien, un peu comme si Apache avait oublié qu'il était sensé récupérer sa lame. Il n'en était pourtant rien, et d'ailleurs, la fraction de temps de vide fut vite balayée alors que le punk attrapait le manche avec un geste assurée, peut être un chouilla surjoué d'ailleurs et qui ne reflétait en rien son état d'esprit.
Son fils avait forgé son épée...
Et lui, la sienne, c'était un monstre qui s'en était chargé.
Maudite épée...
La lame avait beau être belle, elle n'en demeurait pas moins gorgée de sang et de souffrance.

Comme pour faire taire les hurlements qui semblaient se réverbérer dans les reflets d'or du métal, l'Hérissé rengainant son arme, forçant le silence à se réinstaller dans son esprit.
Apache détestait quand ces souvenirs la refaisaient surface sans qu'il n'ai rien demandé, alors, il se focalisa sur ce qui l'entourait.
Le charpentier observait les ténèbres qui régnaient dans le seul passage qui se présentait, à quelque pas d'eux, et le plus jeune fit de même.
Armé et plus tout seul, l’expédition avait l'air moins effrayante que ce qu'elle aurait pu être... Du moins, c'était ce que l'ado tentait de se mettre dans la tête.
Le pirate improvisé semblait-il en compagnon d'une aventure ne manqua pas pourtant de casser quelque peu les espérances du petit chasseur.

"Mais m'en veux pas, je crois que je préfère encore que tu passes devant."
Une fois n'était pas coutume, Apache fusilla Zeb du regard, sa bouche se tordant en un rictus qui laissait présager un torrent de protestations.

"A aucun moment je ne t'ai spontanément fait du mal, alors que toi tu as essayé de me tuer, Apache." Le punk prit une inspiration. "Plusieurs fois. Et en me sautant dessus par derrière." Mais finalement, il ne dit rien, se contentant de soupirer bruyamment et de lever les yeux au ciel un peu théâtralement. "Je suis pas rancunier, mais je reste un vieux con à qui il faut pas trop en demander."
La Rouille accompagna ses mots par un geste de la tête, invitant l'anarchiste à faire du coup le premier pas.
"Tu passes devant. Dis-toi que je couvre tes arrières en même temps que les miennes."
- C'est ça ouais ! Pas convaincu, le chasseur retourna sur ses pas sans aucune motivation affichée, trainant presque les pieds dans la flotte, récupérant son blouson avant de revenir vers le pirate, le dépassant pour finalement s'engouffrer vers la seule peut être issue présente, n'omettant pas de lâcher un "Froussard", en français, une fois n'était pas coutume, alors qu'il passait juste à coté de Zeb avec un petit air méprisant irrité irritant.

Alala qu'est ce qu'il était chiant l'air de rien, ce vieux ! Il avait beau avoir l'air plus sympathique que la moyenne des adultes, ca empêchait pas qu'il en restait un !
Et Apache quand à lui faisait honneur à son rôle d'adolescent en pleine crise contre l'autorité, ce qui au final le définissait assez bien dans l'ensemble.

"Fait chier... On y voit rien..." Ce n'était en réalité pas totalement vrai car l'eau semblait diffuser comme une lueur qui permettait aux deux de ne pas se retrouver dans le noir le plus total. "On sait même pas ou on va !..." Et l'iroquois ne cessait de pester sans pour autant proposer une autre idée. "En plus j'me les gèle puissance 1 000 et en plus j'ai mal à la m.." Pas très attentif à ou il mettait les pieds puisque trop occupé à se plaindre et à étaler sa mauvaise foi, le punk avait trébuché, perdant brutalement l'équilibre et se retrouvant la seconde d'après le museau dans la flotte glacée.

SPLATCH !

Il se releva illico, tirant une gueule de six pieds de long, se passant une main sur le visage et dans les cheveux, les rejetant en arrière avant de reprendre la marche sans plus rien dire.

"Froussard.""

L’insulte, marmonnée en français dans la barbe qu’Apache n’était pas en âge d’avoir, eut pour seul effet de tirer un sourire goguenard à Zeb : il ne connaissait pas ce mot en particulier, mais vu l’attitude du punk, il n’était pas très compliqué d’en deviner le sens. Sauf que le charpentier avait passé bien trop d’années à assumer des choix autrement plus polémiques pour prêter la moindre attention aux provocations grincheuses du petit punk. Que ce dernier le traite donc de trouillard si cela lui faisait du bien; la Rouille tenait à son honneur, mais il était loin d’être assez susceptible pour prendre au sérieux les insultes d’un Garçon Perdu contrarié. Et puis soyons réalistes, Zeb ne connaissait pas vraiment Apache, mais il devinait assez du personnage pour savoir que si ce dernier avait vraiment voulu le provoquer, il ne l’aurait fait ni en français, ni à voix basse.

Ce fût donc l’esprit un peu plus léger que le pirate récupéra son gilet et son propre manteau, dont il noua les manches autour de sa taille, avant d’emboîter le pas du garçon. Ce dernier, apparemment de plus en plus en confiance, ne se retourna même pas pour garder un œil sur lui. Tant mieux : Zeb faisait bien semblant, mais il se sentait toujours un peu vacillant et il n’était pas exactement ravi de s’engouffrer dans ce dédale sombre où les visions de Cthulhu s’incarnaient un peu trop facilement ; il n’avait vraiment pas besoin de gérer en plus la paranoïa d’Apache. Alors si le garçon tenait à râler un peu, ma foi, ce n’était pas si…

Le punk passa sous l’eau dans un grand SPLARF aussi sonore que disgracieux. La Rouille tressaillit, mais avant-même que son cerveau malmené ait eu le temps de formuler la moindre crainte (il s’est fait choper truc sous l’eau avec des dents bouffé il est mort), l’adolescent s’était redressé, sans autre blessure apparente que celle de son égo ; Apache rejeta ses cheveux en arrière d’un geste solennel avant de reprendre son avancée, cette fois-ci dans un silence presque digne. Et Zeb comprit enfin que l’adolescent, tout occupé qu’il était à se plaindre et à jouer les victimes, venait juste de trébucher et de s’étaler dans l’eau froide tout seul comme un grand.

Jamais homme ne fit un effort plus titanesque que la Rouille tentant alors de ne pas exploser de rire dans le dos d’Apache.

Le charpentier n’était pourtant pas trop du genre à partir dans de grands moment d'hilarité incontrôlable, mais entre son combat avec le Perdu, leur chute, la seconde attaque du garçon et la douleur de ses blessures, la dernière heure avait été rude pour ses nerfs. Franchement, qui aurait pu lui reprocher de craquer un peu?

A part Apache. Donc.

Alors, dans un effort désespéré pour ne pas ruiner le semblant de relation qu’il avait établi avec le punk, Zeb porta une main à sa bouche et noya dans une fausse quinte de toux le fou rire qui lui montait aux lèvres.

Oh bon sang, c’était vraiment une star ce gosse…

Pour ne pas trop regarder l'adolescent détrempé et perdre le peu de self control qu’il lui restait, la Rouille leva les yeux et observa les parois du fossé. Elles paraissaient toujours aussi hautes et peu praticables, mais à présent qu’elles se rapprochaient, les racines et lianes qui serpentaient à leur surface commençaient à passer d’un bord à l’autre, traçant au-dessus de leurs têtes un dais de plus en plus dense qui expliquait l’obscurité ambiante. Zeb se posa vaguement la question d’en arracher une pour en faire une torche, mais la plupart étaient hors de leur portée et certainement trop humides pour que l’on en fît un tel usage. Le pirate baissa la tête pour contempler les flots turquoises dans lesquels ils progressaient : il en émanait une lueur largement suffisante pour leur dévoiler les alentours, mais Zeb aurait préféré la lumière et la chaleur d’un véritable feu à cet éclat fluorescent pas très naturel.

La Rouille se rendit alors compte qu’il s’était imperceptiblement rapproché d’Apache, peut-être parce que le garçon avait ralenti, peut-être parce que le pirate ne s’était pas tout à fait défait du sinistre pressentiment qui l’avait saisi (bouffé) quand le Perdu était passé sous l’eau. Zeb hésita un instant, avant de se décider à interpeler le punk :

"Attends une seconde."

Sa voix résonna longuement dans le fossé et il se surprit à rester immobile quelques secondes, un peu comme s’il avait parlé trop fort dans un quelconque lieu sacré... ou dans la tanière d'une vilaine créature endormie.

Mal à l’aise, Zeb porta la main gauche au gant qui immobilisait son poignet handicapé. Il détacha le poignard fixé sur l’attelle de cuir, avant de le saisir par la lame et de le tendre à Apache :

"Tiens. C’est trop étroit pour un sabre, ici. Si quelque chose nous saute dessus, tu n’auras pas le temps de dégainer."

Un temps de silence, puis, sans doute pour faire passer un potentiel embarras:

"Tu sais te battre avec une lame courte?"

Zeb Skelton avait joué la carte de la discrétion concernant le fou rire qui menaçait de s'échapper, et malgré les quelques difficultés qu'avait pu avoir le pirate à ne rien laissé paraitre, il s'en était sorti avec grand brio.
A savoir si c'était son self contrôle qui avait bel et bien fait tout le taff ou si l’inattention de l'adolescent, trop occupé a ruminer, avait joué sévèrement dans l’équation.
Toujours était-il que le résultat était la; Apache n'avait strictement rien remarqué. Appréciant même le silence puisqu'en vrai, il se doutait bien que le charpentier avait tout vu de sa chute ridicule. Mais l'iroquois ne préférait même pas y penser, tout drapé de son égo qu'il était.
BREF
Les deux continuaient d'avancer.
Sauf que contrairement à son ainé, l'Hérissé semblait peu se préoccuper de ce qui les entourait, plus focalisé sur ce qui lui faisait face, droit devant, scrutant la pénombre au plus loin possible, même si la tension s'était considérablement relâchée.
Pas complètement, cependant.

"Attends une seconde." Après un presque sursaut, le punk s'était stoppé et retourné, les yeux écarquillés.

"Quoi ?" Dans le silence et l'angoisse, le révolté n'avait pu s'empêcher de chuchoter. "T'as entendu quelque chose ?" Pas paranoïaque nooon... Mais un peu quand même.
Dans l'attente d'une réponse et sentant le stress grimper, le regard de l'adolescent suivit le geste du pirate, avisant rapidement qu'il se saisissait d'une arme qu'il lui tendit sans attendre.
Les yeux noirs se relevèrent vers ceux du plus grand, sa bouille peinte d'incompréhension, les lèvres entrouvertes comme s’apprêtant à formuler une question qui ne viendrait pourtant pas tant elle se lisait déjà facilement dans le silence.

"Tiens. C’est trop étroit pour un sabre, ici. Si quelque chose nous saute dessus, tu n’auras pas le temps de dégainer."

Illico, le punk referma la bouche, visiblement surpris, un peu décontenancé même, alors qu'il baissait de nouveau le regard vers l'arme offerte.

"Euh..."
- Tu sais te battre avec une lame courte?
Un peu prit de court, le révolté bafouilla quelque peu.
-Euh.. o.. oui bien sur... Visiblement mal à l'aise, il hésita quelques bonnes secondes avant d'enfin se saisir du poignard sans tant de vigueur. "Bein... euh... Merci euh..."
L'hésitation dura un peu plus longtemps encore, alors que clairement Apache cherchait ses mots tout en regardant la lame qu'il tenait maintenant dans sa main.

"Euh... M'sieur Zeb" Et il finit par relever la tête, offrant un petit sourire au pirate, mais se détournant assez rapidement cependant, faisant de nouveau dos a la Rouille et reprenant la route, un peu perturbé, très visiblement.

Il avait fait fort la, non ? Cet adulte.
C'était que quand même, l'iroquois avait essayé de le tuer, et plus d'une fois et ce en une seule et unique rencontre !
C'était quel genre de confiance, ca ?
Le genre suicidaire ?
Non...
Est ce que c'était l'assurance de pouvoir l'étaler en toute circonstance ?
Peut être...
Il fallait dire qu'en vrai, le chasseur n'excellait pas vraiment au couteau et autre poignard.
Tout ce qui était à courte portée devenait rapidement désavantageux pour lui qui était déjà relativement petit et qui manquait de force.
Ce genre d'arme poussait à se rapprocher au maximum de l'adversaire et donc à se mettre plus facilement à porté de ses coups.
Cependant, dans la situation présente, il était évident que cela valait mieux que sa longue épée, trop difficilement dégainable dans ce couloir étroit.
Ouais...
Vraiment sympa, ce Zeb Skelton...

"Et euh... En fait v.." Il se reprit levant les yeux au ciel pour lui même, s'exaspérant sans aucune aide extérieure. "TU faisais quoi dans la foret ?"

S'il faisait la conversation ?

Oui.

Parfaitement.

Ils étaient tout les deux coincés dans ce putain de tunnel qui les mènerait peut être nul-part, et vu que le pirate semblait enclin à instaurer un terrain d'entente, donnant VRAIMENT de lui même, l'iroquois pouvait bien faire quelques efforts, hein.

Apache fixa le poignard avec une drôle d’expression, faite d’une intense sidération mais aussi de ce que Zeb identifia comme un timide début de plaisir. Puis l’adolescent commença à bafouiller une suite de « euh » typiquement français, et presque malgré lui le pirate se mit à sourire. Pas parce qu’il se moquait de la stupeur du garçon, non, mais parce que même si sa mémoire avait beaucoup souffert de son séjour sur l’Île, ce son si peu anglophone lui rappelait encore de belles choses, des silhouettes du passé – des yeux rieurs dans des visages à la peau sombre, un juron moqueur lancé du haut d’un mât, des éclats de voix enivrées dans une taverne bondée – et un monde vaste et ensoleillé où il s’était senti à sa place, longtemps avant qu’il entende parler d’enfants volants et de crocodile tic tac. C’était une joie teintée de regret, comme le sont tous les bons souvenirs ; mais elle restait agréable, surtout dans ce fossé si sombre où les reflets glacés de l’eau opalescente créaient bien trop d’ombres.

"Ben... euh... Merci euh..."

Apache osa enfin s’emparer de l’arme tendue. Et soudain ce terrible petit punk qui avait tenté de le tuer, ce Garçon Perdu qui haïssait tant les pirates, releva la tête et gratifia Zeb d’un sourire.

Fugitif. Incertain. Mais bien un sourire.

"Euh... M'sieur Zeb."

L’expression déjà affable de la Rouille devint un léger rire, teinté de cette agréable évidence qu’ont ceux qui ne feignent pas leur empathie. Il avait (presque) envie de gratifier le Perdu d’une affectueuse tape sur l’épaule, et ça se voyait.

"De rien Apache."

Il s’était clairement appliqué pour parler français, et même si l’adolescent était bien trop mal à l’aise pour faire durer l’échange, Zeb continua à sourire même après que le garçon lui eût tourné le dos : il n’était peut-être pas si désastreux, en fait, ce porc-épic à grande gueule tout en cuir dégoulinant, Hello Kitty translucide et rayures détrempées. Si la Rouille n’avait pas senti la plaie sur sa tempe, ses côtes maltraitées et sa jambe encore endolorie malgré l’eau froide, il aurait presque pu se dire que question compagnon d’aventure, il aurait pu tomber plus mal.

Presque.

Non parce qu’il y avait les marques de dents sur son poignet, aussi. Ça, il allait quand même lui falloir un peu de temps avant de le pardonner – ça ne se faisait pas de mordre les gens, merde !

"Et euh... En fait v…TU faisais quoi dans la forêt ?"

Tout en continuant à se frotter les bras alors qu’il avançait dans l’eau luminescente, Zeb posa un regard curieux sur l’adolescent qui le précédait : indépendamment de ses loupés dans le niveau de politesse, est-ce que ce couillon tentait de… est-ce qu’il essayait de faire la conversation ?

… Une star, vous dis-je. Décidément une star.

Parce que cela aurait très bien pu être une tentative (pas hyper subtile) d’en apprendre plus sur les activités des pirates, mais Zeb commençait à avoir le sentiment de plus en plus net qu’Apache n’était pas un excellent joueur de poker: le Perdu ne parvenait déjà pas à cacher des émotions aussi dangereuses que son mépris et sa trouille, alors de là à l'imaginer assez bon acteur pour contrefaire quelque chose d'aussi subtil que de la confiance... Le pirate trouvait cela tout à la fois drôle, touchant, et (mais de manière beaucoup plus souterraine) un peu lugubre : la sincérité était une belle chose, mais Zeb était bien placé pour savoir qu’il fallait toujours y associer de la prudence, rester conscient de ses propres limites et de la vilénie des autres. Et que c’était rarement quelque chose que l’on apprenait à faire très jeune.

Le regard clair de la Rouille traina sur le sabre doré accroché à la ceinture d’Apache. Puis il répondit aussi naturellement qu’il le pouvait :

"Je cherchais du bois. Je suis charpentier, tu te rappelles ? J’ai toujours du travail, au Port comme sur le Roger."

Il s’arrêta là, avant de réaliser que ce n’était pas ainsi que l’on entretenait une conversation. Ce n’était pas vraiment son point fort de bavarder pour ne rien dire, mais il devait reconnaitre que cela les distrayait agréablement de la flotte glaciale qui commençait à les faire trembler tous les deux. Alors Zeb se rabattit sur la seule technique qu’il connaissait pour aligner plus de deux phrases à la suite : il commença à raconter une histoire.

"Entre l’attaque des Peaux Rouges, la Canicule, puis cette foutue Pluie qui n’en finissait pas, ce pauvre navire a bien besoin qu’on lui refasse une beauté. C’est une jolie vieille dame encore vaillante, mais elle a bien souffert, ces derniers temps : elle a défié l’Océan lui-même et son Tourbillon, elle a résisté au Kraken et à son escorte de monstres marins, elle s’est même aventurée jusque dans une étrange mer sous la Mer…"

La Rouille s’interrompit de manière opportune à cette étape de la bataille. L’espace d’un instant, il crut percevoir un rire grinçant et mouillé aux accents familiers, quelque part derrière-lui ; mais bien évidemment, lorsqu’il tourna la tête, il ne vit rien ni personne.

Réprimant un frisson qui n’avait rien à voir avec l’eau froide, Zeb tenta de reprendre d’un air avenant :

"Mais de votre côté aussi, ça a été dur, non ? J’ai cru entendre dire…"

Brève hésitation, sans trop savoir pourquoi: il n'avait pas peur des tabous établis par le Coeur de l'Île, quand même...

"Est-ce que c’est vrai que Peter Pan vous a laissés retourner dans le Monde Ordinaire ?..."

C'était marrant, cette façon dont le pirate avait répondu en français.
Apache ne savait pas trop pourquoi, mais cela le détendit un peu plus. Ça lui faisait plaisir, quelque part, au fond. C'était comme si l'adulte faisait des efforts pour lui, le prenait en compte.
Et puis, Zeb lui répondit tranquillement, sur le ton de la conversation que le punk avait tenté d'embrayer, l'air de rien.

"Je cherchais du bois. Je suis charpentier, tu te rappelles ?" "Aaah ouais !" "J’ai toujours du travail, au Port comme sur le Roger."
Le garçon hocha doucement la tête, acquiesçant silencieusement.
Ca avait l'air grave chiant comme boulot, charpentier. Et encore pire sur un port ou un putain de rafiot.
Il devait pas fabriquer masse de trucs marrants, Zeb Skelton. Que des trucs utiles et pas drôles. Réparer des vieux machins que personne sait vraiment à quoi ça sert et dont tout l'monde se fout.
Et le reste du temps il était de corvée de ramassage de bois...
Putain l'angoisse.

"Entre l’attaque des Peaux Rouges, la Canicule, puis cette foutue Pluie qui n’en finissait pas, ce pauvre navire a bien besoin qu’on lui refasse une beauté." L'adulte avait repris, se faisant plus loquace, saisissant visiblement la perche du plus jeune, nourrissant un peu plus l'échange. "C’est une jolie vieille dame encore vaillante, mais elle a bien souffert, ces derniers temps" Cette drôle de façon de qualifier le bateau interpella Apache qui leva un sourcil dubitatif, tournant légèrement la tête en arrière vers le pirate, signifiant pour le coup que celui la avait réussi à capter toute son attention. "Elle a défié l’Océan lui-même et son Tourbillon, elle a résisté au Kraken et à son escorte de monstres marins" L'Hérissé cligna des yeux, son air dubitatif remplacé par de la pure curiosité en un battement de cils. Il avait les yeux noirs qui brillaient, même dans l'obscurité, et avait même ralenti la marche, laissant l'adulte le rattraper un peu plus comme pour mieux l'écouter. "Elle s’est même aventurée jusque dans une étrange mer sous la Mer…"
- Une mer sous la mer .. ! L'adolescent avait répété, visiblement captivé. En cet instant, l'anarchiste faisait plutôt honneur à sa condition de gamin. Il adorait les histoires d'aventures et de monstres, même s'il avait toujours eu une préférence pour les héros qui transgressait la morale et l'ordre établie.
La, tout de suite, ce Zeb Skelton donna l'impression au révolté qu'il était plutôt doué pour raconter les histoires.
Est ce qu'il était un genre de mère des pirates ?
Ca aimait les histoires, les adultes ? Et il y en avait même qui aimaient les raconter ?
Ces questions laissèrent un instant le petit chasseur paumé dans ses pensées. Il allait sans dire que tout cela rendait les flibustiers plus... humains. Plus proches des enfants perdus que ce qu'aurait jamais pu imaginer l'Apache.

"Mais de votre côté aussi, ça a été dur, non ? J’ai cru entendre dire…" "Mmm..?" L'iroquois du macadam revint de ses pensées, redonnant toute son attention au pirate. "Est-ce que c’est vrai que Peter Pan vous a laissés retourner dans le Monde Ordinaire ?..."

La question prit quelque peu de court l'adolescent qui ouvrit la bouche, prenant une inspiration pour répondre quelque chose, mais se ravisa presque instantanément, ravalant sa salive, fronçant les sourcils, secouant doucement la tête à la négative comme pour objecter autre chose.
Il finit pourtant par lâcher quelques mots, pour commencer;
"Euh ouais, ouais... Enfin moi j'y suis pas allé, j'étais pas..." Une hésitation, la bouille grimaçante. Ce n'était pas d'excellents souvenirs, et ça l'emmerdait d'être renvoyé brutalement à cette période la, encore trop fraiche dans sa mémoire.
Plus pour trop longtemps, il l’espérait.
"J'pouvais pas marcher à ce moment la." Etait-il seulement conscient ? Probablement même pas.
A l'infirmerie, qu'il était, pendant que ses camarades se faisaient broyer le cœur et l'espoir dans cette aventure ordinaire.
A l'infirmerie, couvert de bleus, de lacérations, de brulures et pire encore, dans un état lamentable... A cause d'un pirate.

L'adolescent se mordit la lèvre inférieure, ravalant sa salive, cherchant au fond de lui même un peu du feu hargneux qui le caractérisait. Il ne mit pas bien longtemps à le retrouver.
"De toute manière j'y serais pas allé. Je participe jamais aux missions de l'empereur tomato ketchup. Et je l'emmerde." C'était gratuit. Mais ca mettait toujours du baume à l'âme d'insulter les supérieurs, surtout quand il s’agissait du roi.

"Euh ouais, ouais... Enfin moi j'y suis pas allé, j'étais pas... J'pouvais pas marcher à ce moment là."

"Ah."

Zeb eut la sensation qu’il devait ajouter quelque chose, une marque de compassion quelconque, ou peut-être même relancer Apache d’une question (commet ça, il ne pouvait pas marcher?...). Mais la gêne du gamin était évidente, et si la Rouille ne voulait pas paraître insensible, il craignait bien davantage de se montrer invasif - il gardait un souvenir vif et douloureux de la manière dont le petit punk avait déjà claqué une amarre pour une simple phrase, alors que lui-même n’avait toujours pas compris pourquoi cette dernière était si malvenue. Alors, dans le doute, Zeb ne dit rien.

En plus lui-même se sentait un peu mal à l’aise. Il ne savait pas trop à quoi il s’attendait ou ce qu’il cherchait en demandant à l’Hérissé si les Garçons Perdus étaient récemment retournés dans l’Ordinaire, mais assurément, il ne pensait pas que la réponse négative d’Apache lui apporterait... quoi, de la déception? Pourquoi? Qu’avait-il espéré, qu’avait-il à regretter? La Rouille n’était pas idiot: il avait parlé avec les anciens Perdus et les Bermudons de l’équipage, il avait bien vu qu’ils venaient tous de différentes époques, mais toujours plus récentes que la sienne. Même s’il conservait le vague espoir de revoir un jour les Caraïbes du 18ème siècle, Zeb savait qu’il existait un vrai risque pour que le Temps ait continué sa marche sans attendre l’équipage du Jolly Roger. Même si Apache était retourné dans l’Ordinaire avec les autres, ce n’aurait probablement été ni en un lieu ni en une époque qui avait quoi que ce fût de familier. Il n’aurait pu en ramener aucune nouvelle.

Pourtant, la Rouille se sentait quand même déçu.

Il n’eut cependant pas le temps de ruminer davantage ce triste constat: il s’avérait qu’Apache n’avait pas terminé sa part de l’histoire.

"De toute manière j'y serais pas allé. Je participe jamais aux missions de l'empereur tomato ketchup. Et je l'emmerde."

Zeb cilla et pencha la tête pour dévisager d’un air curieux l’adolescent qui à présent marchait à ses côtés: l’empereur tomato quoi?...

... Oh.

"Tu parles de Pan."

Ce n’était pas vraiment une question, mais il y avait néanmoins comme une mesure dans la voix de la Rouille, une soudaine retenue. Le pirate lui-même en fut surpris: allons, il n’était quand même pas en train de s’indigner qu’on puisse dire du mal de la source de tous ses maux?

Puis Zeb comprit - à moins que cette petite voix au creux de son oreille fût un murmure issu des ombres de la crevasse?...

On ne parle pas de mutinerie à voix haute, papa.

La Rouille s’humecta nerveusement les lèvres, avant de dire aussi naturellement que possible:

"Tu ne l’aimes pas beaucoup, on dirait."

Légère hésitation: ne pas aller trop loin. Surtout, ne pas aller trop loin.

"Tu n’es pas le seul. Mais... j’avoue que tu es le premier que j’entends dire ça alors que... eh bien, que tu vis toujours de son côté de l’Ile."

Que de délicatesse pour dire « que tu n’as pas été banni »... Parce qu’à force de récupérer d’anciens Perdus à la sortie de la jungle, si le charpentier avait bien compris une chose sur Peter Pan, c’est qu’il n’appréciait pas plus les dissidents que... eh bien, que le capitaine Hook.

Le pirate n'avait pas particulièrement relevé quoi que ce soit vis à vis de l'explication qu'avait avancé l'adolescent concernant son absence de l'aventure Ordinaire.

Et c'était tant mieux.

L'Apache lui en serait presque reconnaissant.
Mais le punk n'avait pas non plus raté le ton quelque peu déçu qu'avait pris l'adulte.
Est ce que les pirates s'intéressaient au monde Ordinaire ?
Jusqu'à maintenant, le jeune chasseur ne s'était pas posé la question.
Et d'ailleurs, plus ils avançaient ensemble dans ce tunnel sombre, plus ils passaient de temps en compagnie l'un de l'autre, plus ils échangeaient, même si c'était plus de rien que de tout, plus l'Hérissé se rendait compte d’à quel point il ne s'était jamais tellement questionné sur ces adultes des mers.
Leurs idées.
Leurs histoires.
Leurs ressentis.
Leurs envies... Mise à part piller, tabasser, torturer, tuer, et violer...

Ils étaient humains.
Même si mauvais.
La plupart en tout cas.
On aurait bien dit.

Et puis, alors que le petit anarchiste avait craché son venin sur l’éternel grand absent qu'était Peter Pan, Zeb émit un chouilla plus de répondant.

"Tu parles de Pan."
- Ouais ouaiis... C'est ça. Pan. Peter Pan. L'iroquois avait maugréé le sobriquet un peu à la façon d'une insulte. Un peu comme si tout d'un coup on parlait d'un truc qui le rebutait tout particulièrement, moue dégoutée en assortiment.
S'il avait noté le genre de retenu qui emballait la voix du pirate à cet instant ?
Un peu oui, un peu non.
L'enfant perdu s'en foutait, présentement.
Il avait tellement l'habitude de prêcher à des non convaincus, du genre qui changerait jamais d'avis, à la vie jusqu'à la mort, littéralement, que ca ne lui fit ni chaud ni froid.

"Tu ne l’aimes pas beaucoup, on dirait."
Apache haussa les épaules sans trop se formaliser.
- Pas trop, non.
- Tu n’es pas le seul. Mais... L'adolescent tourna doucement la tête vers le plus grand, attendant la suite. Mais quoi ? Que ca demandait silencieusement. Il allait pas le réprimander quand même ? Pas lui ! Pas le pirate ! L'Hérissé avait beau ne pas connaitre grand chose sur les flibustiers, s'il y avait bien un truc de connu c'était qu'ils ne tenaient pas le roitelet vert dans leurs cœurs, en admettant qu'ils en aient un. "J’avoue que tu es le premier que j’entends dire ça alors que... eh bien, que tu vis toujours de son côté de l’Ile."
La suite arracha finalement un ricanement au punk, du genre dédaigneux, l'air de rien.

"Ah bon ? J'suis loin d'être le seul pourtant !" Le révolté parlait avec une certaine désinvolture, clairement. Sans doute par ce que ce n'était pas comme s'il révélait potentiellement à un ennemi de terribles informations sur la situation politique au sein du Grand Arbre.
Non.
Il savait pertinemment que ce qu'il venait de dire était relativement faux.
Très probablement faux, au moins.
"En tout cas, ca devrait être le cas." Qu'il ajouta, d'ailleurs, avec un petit ton vaguement dépité. "Déjà qu'avoir un chef c'est de la merde en boite, celui la en a nommé toute une palanquée pour nous emmerder jour et nuit." C'était l'heure de se plaindre, visiblement. Apache n'avait pas eu droit à sa dose d'herbe brulée, alors il n'allait pas se priver à casser du sucre dans le dos de sa hiérarchie préférée. "Fais pas ci, fais pas ca ! Fais ca ! Va la bas ! Des giga chieurs !" Ca venait du cœur. "Mais lui la... Le grand roi de mon cul ! C'est le pire ! Avec sa putain de couronne ! J'lui ferai bouffer sa cape rouge à ce petit enfoiré." Il en profitait, quand même, au final l'anarchiste. Par ce qu'exprimer autant sa haine de l'empereur, c'était pas avec tout le monde qu'il pouvait se le permettre ! Même pas avec tout ses camarades.
Y'avait qu'avec Nasty et Trouble qu'il pouvait se lâcher à ce point la.
Elles étaient assez siphonnée pour en rire et même surenchérir !

Tout lancé qu'il était, le chasseur finit par rabattre toute son attention vers le pirate, ayant visiblement soif de connaitre son avis sur la question.
"Mais toi aussi t'en a un de chef ! Un capitaine même, que vous dite !" Il lui avait dit ca avec un sourire quelque peu de travers, le regard acéré. "J'pari que tu lui lèche les pompes au kilomètre !" Et il s'était mis à rire avec une insolence peu commune.

Pour la première fois depuis qu'ils étaient tombés au fond de ce foutu fossé, Zeb se surprit à être vraiment attentif aux paroles d'Apache. Il fallait dire que jusqu'à présent, à part pour dire "les pirates sont tous des monstres", "d'ailleurs j'en ai tué un paquet" et "j'me les gèle putain", le punk n'avait pas beaucoup contribué à la conversation. Mais le sujet de Peter Pan semblait avoir provoqué un déclic chez l'adolescent, qui s'était soudain mis à parler sans s'arrêter et d'un ton de plus en plus enflammé.

Effectivement, il était peu dire qu'il avait l'air de ne "pas beaucoup" aimer le petit empereur du Pays de Jamais.

La Rouille écoutait en silence, intrigué. Il savait bien sûr que les Garçons Perdus avaient une hiérarchie et qu'elle suivait un modèle pyramidal : il s'était occupé de suffisamment de Bannis au cours des siècles pour retenir que le Grand Arbre fonctionnait grâce à des groupes d'enfants, chacun avec des tâches bien précises, sous la responsabilité d'un ou plusieurs chefs (pour ce dernier point il était moins sûr, les gamins n'étaient pas toujours très clairs quant au rôle de celles qu'ils appelaient les Mères). Zeb ne les connaissait pas par cœur, mais il savait par exemple que les Grimpeurs faisaient de bons gabiers, et que ses apprentis charpentiers étaient souvent d'anciens Artisans.

Il s'était d'ailleurs déjà dit que c'était un drôle de paradoxe : Pan emportait les enfants en leur promettant qu'ils ne grandiraient jamais, qu'ils ne deviendraient jamais adultes, mais dans le même temps il semblait conscient que leur petit monde ne pouvait pas tourner sans un minimum d'organisation – pas sans chef pour emmerder le monde, comme disait Apache. Est-ce que c'était un mimétisme de la vie des adultes, comme ces gamins dont Zeb se rappelait vaguement avoir fait partie, qui jouaient à être des pirates et se disputaient pour savoir qui faisait le capitaine ? Ou est-ce que c'était quelque chose de plus primaire, plus animal, quelque chose de l'ordre de la hiérarchie de meute ?

En tout cas, quoi que ce fût, Apache n'appréciait pas.  

"Fais pas ci, fais pas ça ! Fais ça ! Va là-bas ! Des giga chieurs ! Mais lui là... Le grand roi de mon cul ! C'est le pire ! Avec sa putain de couronne ! J'lui ferai bouffer sa cape rouge à ce petit enfoiré."

Zeb haussa un sourcil et une discrète méfiance se coula dans le regard qu'il posait sur le jeune punk : ça, ce n'était pas simplement un gosse en train de râler parce qu'on lui demandait de faire son travail au lieu d'aller jouer dehors. Il y avait une vraie violence dans les mots d'Apache. Une véritable haine.

La Rouille fut tenter de demander à l'Hérissé ce que Peter Pan avait bien pu lui faire pour qu'il le détestât à ce point – car en toute logique, au moins au début, ce ne devait pas être le cas : Apache avait bien dû suivre Pan jusqu'au Pays de Jamais, non ? Mais avant que le pirate ait pu décider si la question était risquée ou non, le Garçon Perdu releva les yeux vers lui, un sourire féroce sur le visage :

"Mais toi aussi t'en as un de chef ! Un capitaine même, que vous dites ! J'parie que tu lui lèches les pompes au kilomètre !"

Zeb s'arrêta de marcher, un peu destabilisé par la brutalité de l'attaque, mais surtout destabilisé de se sentir destabilisé: il aurait dû le sentir venir, non ? Même lui avait tout de suite pensé aux parallèles entre l'organisation des Perdus et celle des pirates, avec ces histoires de groupes et de sous-chefs ; la provocation d'Apache n'était que la suite logique de sa tirade contre Pan. Zeb aurait dû l'écarter d'un simple rire, en disant par exemple que Hook se débrouillait très bien tout seul pour nettoyer ses bottes.

Mais dans ce cas, pourquoi la Rouille se sentait-il mal à l'aise ? Était-ce parce que lui-même n'était plus aussi sûr de sa relation au Capitaine qu'il l'avait été ? Était-ce à cause de cet éclat un peu malsain, dans le regard d'Apache ?

Ou était-ce parce le rictus carnassier du petit punk avait trouvé un écho dans un ricanement lugubre issu de la pénombre, quelque part derrière eux ?


Zeb se redressa imperceptiblement et reprit sa marche, en répondant aussi posément qu'il le pouvait:

"La grosse différence entre ton chef et le mien, c'est qu'un capitaine pirate est élu. Si ses choix ne conviennent plus à une majorité de l'équipage, on en change."

Sauf quand on est coincés dans un monde imaginaire depuis quelques siècles, apparemment. Mais cela, Zeb ne le précisa pas.

"J'aime pas non plus qu'on me donne des ordres, tu sais. C'est pour ça que je suis pirate, pas marchand ou pêcheur. Mais tous les ordres se valent pas : je ne veux pas qu'on me dise quoi faire de ma vie, mais à un moment, quand tu veux faire avancer un navire, il faut bien des gens pour dire au reste de l'équipage quoi faire, comment le faire, quand le faire. Si personne ne donne d'ordre, c'est le chaos. Et tout le monde coule."

Sourire en coin.

"Pan est un cas spécial, d'accord. Je crois que je comprends pourquoi il te gonfle comme ça. Mais parmi les chefs dont tu parles, là, il y en a bien qui doivent faire leur boulot correctement, non ? Au moins qui prennent soin des autres ? C'est déjà pas si mal, tu crois pas ?"

Juste après la petite provocation qu'avait lancé Apache, le pirate s'était brusquement arrêté, fixant son regard vers le garçon qui ouvrit de grands yeux ronds, assez surpris par cette réaction la.
Bein quoi ?
Il avait abusé ?
L'iroquois était tellement coutumier de la provoc qu'il ne se rendait plus forcément compte des moments ou il dépassait les limites, sans compter sur le fait que les limites, la plupart du temps, et ce n'était pour pas dire toujours; il n'en avait strictement rien à carrer.
Mais alors la, quoi ?
Zeb l'avait mal prit ?
Le sourire narquois du jeune chasseur s'était quelque peu affaissé, trahissant l'absence totale de volonté de se brouiller une fois de plus avec ce compagnon d'infortune.

Allez, c'était juste pour titiller...
Déconne pas ! Tu vas pas faire la gueule pour juste ça ?

Un silence.

Un peu long.

En fait pas tant que ça.
Juste le temps pour le punk de ravaler sa salive en attendant la suite qui ne vint qu'après que le pirate rouquin ne retrouve un certain panache juste avant de reprendre sa marche, entrainant l'anarchiste dans le mouvement.

"La grosse différence entre ton chef et le mien, c'est qu'un capitaine pirate est élu. Si ses choix ne conviennent plus à une majorité de l'équipage, on en change."
- Pfff Tu parles... L'Hérissé avait marmonné, retrouvant toute sa morgue avec en prime un sourire en coin, rassuré de voir que l'adulte n'avait pas si durement encaissé la pique, visiblement. Ouf !
Il boudait pas, en tout cas.
Bien au contraire !

"J'aime pas non plus qu'on me donne des ordres, tu sais." L'adolescent offrit un regard au pirate, une lueur au fond du noir, attentif a n'en pas douter. "C'est pour ça que je suis pirate, pas marchand ou pêcheur." La mine du plus jeune se fronça légèrement, témoin de réflexions intérieures. C'était vrai que dit comme ça... "Mais tous les ordres se valent pas" Cette fois, un sourcil dubitatif de relevé. L'anarchiste n'avait que très peu de chance de suivre l'autre sur ce terrain la. Mais bon. Il eu la politesse de l'écouter jusqu'au bout. "Je ne veux pas qu'on me dise quoi faire de ma vie, mais à un moment, quand tu veux faire avancer un navire, il faut bien des gens pour dire au reste de l'équipage quoi faire, comment le faire, quand le faire. Si personne ne donne d'ordre, c'est le chaos. Et tout le monde coule."
En guise de réponse, le punk leva les yeux au ciel avec ce petit air insolent qui le caractérisait si bien.
"Le chaoooos..." Il avait répété en soufflant, singeant la peur extrême, s'amusant a se moquer de cet argument qu'on lui servait si souvent, a toute les sauces.
L'anarchie c'est le chaos !

"Pan est un cas spécial, d'accord. Je crois que je comprends pourquoi il te gonfle comme ça. Mais parmi les chefs dont tu parles, là, il y en a bien qui doivent faire leur boulot correctement, non ? Au moins qui prennent soin des autres ? C'est déjà pas si mal, tu crois pas ?"

Étonnamment, surtout pour ceux et celles qui le connaissaient bien, Apache se mit à réfléchir sérieusement à la question, sa mine se peignant des dites réflexions. C'était qu'il était facile à lire, cet ado. Très mauvais en poker face.
Il y eut un petit temps de rien, dénotant de certaines recherches archéologiques de la pensé qui se tramaient dans le crane hérissé détrempé.

Et puis.

Finalement.

"Non."

Bref. Simple. Balancé sur un ton plat qui a sa manière appuyait un genre d'assurance implacable.
La réponse absolue.
Et le mot préféré de ce punk ébouriffé.

Il eut tout de même l'heureuse idée de développer un minimum, un instant de rien après.

"Enfin j'veux dire... Ouais, ils font leur boulot, et c'est bien ça le problème." L'autorité était toujours un problème. Et un problème de taille, avec ça ! "Mais leur rôle c'est pas du tout de prendre soin des autres." Bah ouais, il n'y avait que les naïfs pour croire ça. Et les idiots. De quelle sorte était Zeb, en fait ? "Les gens qui ont du pouvoir sur les autres, ils peuvent qu'en abuser. Ca existe pas, les bons chefs. C'est une histoire qu'on raconte aux petits enfants pour qu'ils se préparent mieux à leurs vies merdiques d'esclaves." Rien que ça. Et c'était dit assez calmement. Un peu comme si Apache racontait la des banalités. Des évidences en fait !

"S'ils s'inquiétaient vraiment du bien commun, ils enverraient pas les autres à la mort juste pour leur bon plaisir. Juste pour faire ce qu'ils ont envie de faire eux..."
La voix du métisse était posée, un peu dépitée, même.
Il parlait sérieusement.
C'était rare.

"Quand ya un chef, quand ya une hiérarchie, c'est que ya forcément des larbins, des moins que rien qu'on laisse crever quand c'est utile."

C'était triste a constater.
C'était une vision dur d'un système pourtant généralisé jusque sur une ile imaginaire.

Fallait qu'ça change.

Yavait que ça pour tenir le coup.
Que ça pour pas crever dans son propre être.

Le changement espéré.

"Tu crois pas ?"

Une main tendue dans la voix.

Ca avait la saveur du partage, cet échange la.

Zeb ne comprit pas vraiment pourquoi Apache ricanait de son emploi du mot “chaos”. Pour le maître charpentier, ce n’était pas une discussion idéologique, juste un constat pratique: impossible de mener quelque chose d’aussi complexe qu’une manoeuvre navale sans coordination, et impossible de coordonner une centaine d’hommes sans donner d’ordres. En fait, dans la tête du pirate, ce n’étaient même pas vraiment des “ordres” à proprement parler mais plutôt des instructions, un guide pensé par des artisans compétents puis transmis étape par étape à l’équipage, pour que le navire avançât sans que personne ne mourût dans le processus.

Cette explication aurait sans doute intéressé Apache. Mais en vérité, Zeb aurait été bien en peine de formuler clairement cette vision des choses: il n’y avait jamais vraiment réfléchi, tant cela lui paraissait la seule manière de faire.

C’était même assez fascinant, tout compte fait, de voir le petit punk s’épandre sur le sujet au point d’en devenir bavard. Lui avait clairement déjà songé à tout cela, et même si ses opinions gardaient le côté lapidaire qu’on peut attendre des adolescents, elles n’en étaient pas moins construites et relativement argumentées. Zeb devait reconnaitre qu’il n’en attendait pas tant de son jeune compagnon aux crêtes rouges.

“Les gens qui ont du pouvoir sur les autres, ils peuvent qu'en abuser. Ça existe pas, les bons chefs. C'est une histoire qu'on raconte aux petits enfants pour qu'ils se préparent mieux à leurs vies merdiques d'esclaves.”

La Rouille tiqua un peu. Un instant, il fut tenté de dire que ce n’était pas ainsi qu’il voyait son propre rôle d’officier de bord. Mais même si le cessez-le-feu entre Apache et lui semblait acté, il paraissait très imprudent de révéler au Perdu qu’il était en fait le maître charpentier du Roger, c’est-à-dire quelqu'un qui manquerait cruellement à l’équipage ; c’était le genre de précision qui pouvait rendre au petit chasseur ses (très) mauvaises idées sur l’extermination des pirates. Alors Zeb, qui estimait avoir déjà suffisamment tiré le diable par le queue pour la journée, préféra ne pas répondre.

"Quand ya un chef, quand ya une hiérarchie, c'est que ya forcément des larbins, des moins que rien qu'on laisse crever quand c'est utile... Tu crois pas ?"

Apache avait levé les yeux vers lui, presque timidement, l’air tout à la fois un peu sur la défensive et sincèrement intéressé par l’opinion de son compagnon d’infortune. Et Zeb réalisa soudain pourquoi toute cette situation lui paraissait familière: le regard du petit punk, il le connaissait par coeur. Il l’avait vu chez d’autres Perdus devenus pirates, chez de jeunes Bermudons à peine en âge de se raser, et encore tant d’autres fois dont il ne se rappelait plus vraiment, chez tellement d’autres gosses - exactement ce regard-là, qui guettait l’assentiment tout en craignant de s’être trop dévoilé, ou de ne pas être pris au sérieux.

Tant de gamins qui n’avaient jamais connu un foutu adulte capable de leur dire “c’est bien ce que tu fais; je suis fier de toi”.

Zeb soupira, autant à cause de ce constat qui l’ulcérait que de la (bonne) question d’Apache.

“Je ne sais pas vraiment, garçon.”

Il frotta son bras handicapé pour tenter de se réchauffer, sans prêter attention au sobriquet affectueux qui lui avait échappé. Au fond il n'était pas vraiment d’accord avec Apache, mais l’échange n’était pas inintéressant. Et puis, après les efforts faits par le Perdu pour expliquer sa pensée et lui demander son avis, la Rouille pouvait bien se donner la peine de maintenir leur étrange conversation.

“Je suppose que... je comprends ce que tu veux dire. Je veux dire, je suis un pirate : moi aussi je refuse de mettre en jeu ma vie ou celle de mes proches pour servir les intérêts d’un employeur ou d’un chef qui n’en a rien à foutre de moi. D’ailleurs je n’ai jamais vraiment compris pourquoi certains capitaines de navires marchands résistent à un abordage pour protéger un peu de métal et quelques morceaux de papiers, alors qu’il leur suffirait de se rendre pour qu’aucun sang ne soit versé. Comment leur vie peut avoir moins de valeur qu’une cargaison qui ne leur appartient même pas?”

Zeb secoua la tête pour marquer sa perplexité, avant de se baisser pour passer quelques lianes qui se faisaient plus basses.

“Mais d’un autre côté, ça me parait trop simple de dire qu’aucun chef ne peut être bon. J’ai rencontré trop de gens qui en savaient bien plus que les autres, mais qui avaient juste envie d’aider, pas de dominer. Des gens qui guident, qui soignent, qui réparent, qui transmettent, qui offrent. Des gens qui se sacrifient pour les autres.”

Il réfléchit un instant, choisissant ses mots, pensant à Tijl, à sa femme, mais aussi à GrandMa Gwoka qui avait sauvé sa mère quand personne ne s’en préoccupait, au chirurgien de bord qui s’était acharné pour sauver son bras au lieu de simplement le lui couper, à toutes ces fois où lui-même avait tenté d’agir pour le mieux, encore et encore, parce qu’il était le seul à oser le faire, parce que c’était ce qu’il fallait faire.

“Je pense que je n’aime pas dire que “tous les chefs sont mauvais”, parce que ça sali les efforts et le bien faits par tous ces gens, comme ça sali ceux qui les ont suivis au lieu de rester seuls.”

Il baissa les yeux vers Apache pour lui adresser un sourire en coin.

“Et là tu te dis que je suis un gros naïf, hein? T’inquiète pas. T’es pas le premier.”

Et voila qu'Apache s'était retrouvé à causer politique avec... Un pirate.
Rien que ça.
C'était dire si le jeune punk était incapable de se retenir de donner son avis sans arrêt et sur tout les sujets, encore pire lorsqu’il s'agissait de la fameuse hiérarchie qu'il exécrait tant.

Lorsque l'iroquois avait renvoyé la balle au flibustier, lui demandant sans détour son avis sur le sujet, celui la avait lâché un soupir.

"Je ne sais pas vraiment, garçon."

L'adolescent tiqua un chouilla sur le surnom, mais ne s'y attarda pas, son attention plus encore attrapée par tout le reste.
Il ne savait pas.
C'était surprenant, ça. Pas vraiment le fait qu'il ne sache pas, mais plutôt qu'il l'exprime. Qu'il exprime sans rougir, sans peur de froisser son égo d'adulte, le simple fait qu'il ne sache pas.
S'il y avait bien une chose qui jusqu'ici avait caractérisé les adultes aux yeux d'Apache, en dehors du fait qu'ils étaient tous d'immondes connards agresseurs, c'était qu'ils étaient tous de fieffés JeSaisTout alors qu'en fait ils ne savaient strictement rien, du moins, de son avis d'ado en perpétuelle rébellion contre quelconques autorités.

"Je suppose que... je comprends ce que tu veux dire." La mine de l'iroquois s'était comme adoucie, tout attentif à ce que l'autre lui répondait. Il comprenait ? Vraiment ? C'était possible ça ? En tout cas une chose était sûr, il restait ouvert à la question, et ça, c'était déjà beaucoup.
Même chez les enfants perdus Apache n'avait que trop rarement eu droit à une telle considération. "Je veux dire, je suis un pirate : moi aussi je refuse de mettre en jeu ma vie ou celle de mes proches pour servir les intérêts d’un employeur ou d’un chef qui n’en a rien à foutre de moi." Le plus jeune fronça les sourcils. C'était pas pourtant ça la définition d'un capitaine ?  "D’ailleurs je n’ai jamais vraiment compris pourquoi certains capitaines de navires marchands résistent à un abordage pour protéger un peu de métal et quelques morceaux de papiers, alors qu’il leur suffirait de se rendre pour qu’aucun sang ne soit versé. Comment leur vie peut avoir moins de valeur qu’une cargaison qui ne leur appartient même pas?"

Aaah oui, voila. Tout en écoutant, le chasseur avait doucement hoché la tête à la positive, comprenant ce qu'il avait envie de comprendre, en l'occurence que Zeb faisait bel et bien un genre de différence entre "bons" et "mauvais" chefs. Ce concept que lui, au contraire, n'arrivait définitivement pas à saisir.
C'était trop bizarre comme vision des choses, et pourtant, c'était celle de la majorité; pirates, enfants perdus, indiens et même fées comprises. La hiérarchie était partout. Elle avait proliféré comme une mauvaise herbe, enfonçant ses racines profondément dans les cultures et les pensées de tous.

Zeb se baissa pour éviter quelques lianes mais le punk, lui, n'eut pas besoin de faire de même, c'était qu'ils avaient une bonne différence de taille et qu'en plus de ça ses crêtes restaient trempées, en berne.

"Mais d’un autre côté, ça me parait trop simple de dire qu’aucun chef ne peut être bon." Apache ne pu retenir un sourire de travers, l'air de dire "quelle surprise !" de la manière la plus ironique qui soi. "J’ai rencontré trop de gens qui en savaient bien plus que les autres, mais qui avaient juste envie d’aider, pas de dominer. Des gens qui guident, qui soignent, qui réparent, qui transmettent, qui offrent. Des gens qui se sacrifient pour les autres."
Il y eut un petit temps de rien que l'adolescent n'interrompit pas, même s'il avait déjà des choses à dire. Beaucoup de choses à dire. Apache avait toujours des choses à dire.
Mais il se retint, laissant la place à l'autre de s'exprimer totalement. Après tout, il lui avait demandé directement son avis.

"Je pense que je n’aime pas dire que “tous les chefs sont mauvais”, parce que ça sali les efforts et le bien faits par tous ces gens, comme ça sali ceux qui les ont suivis au lieu de rester seuls." Le pirate avait baissé les yeux vers le plus jeune, et leurs regards s'accrochèrent. Aucune animosité, juste un échange entre deux individus clairement pas du même avis.
Mais qui est ce que cela pouvait étonner ?

"Et là tu te dis que je suis un gros naïf, hein?" Apache lâcha un pouffement de rire, comme prit sur le fait. "T’inquiète pas. T’es pas le premier.
- Naan nan.. J'sais pas." De la même manière que Zeb, le punk avait décidé de se la jouer ouvert. Il ne savait pas s'il avait vraiment envie, ni même un réel intérêt à convaincre l'adulte avec qui il s'était retrouvé coincé, mais quelque part, rien que d'avoir accroché une réflexion de sa part sur un tel sujet lui avait mis un petit peu de baume au cœur.
C'était rare.
Tellement rare de juste pouvoir parler de ça sans forcément être méprisé voir pire que ça.
Est ce que c'était aussi ça; l'adultie ?

"J'pense juste que t'as pas compris ce que c'était un chef."

Et PAF ! Par ce qu'il ne fallait pas l'oublier, sur les deux protagonistes présent, seulement un des deux en était atteint, de la fameuse adultie.
Un adolescent, ca pesait pas ses mots, et c'était souvent très sûr de ce que ça avançait. Et avec celui la, c'était pire encore.

"Genre, tu parles de gens qui ont des connaissances, qui savent des trucs. Ok. J'dis pas que ya pas des types qui connaissent mieux des sujets que d'autres et que du coup c'est forcément plus malin de leur demander leur avis à eux plutôt qu'à un autre. Mais le truc c'est quand t'es obligé de suivre un de ces types !" Il avait légèrement haussé le ton sur le mot "obligé", comme pour souligner son importance. Ce qui faisait toute la fameuse différence. "Et le pire, c'est qu'en général, les types qu'on est forcé de suivre; les chefs, bein souvent c'est même pas eux qui savent le mieux."
Est ce que c'était clair, sa façon d'expliquer les choses ? C'était pas sur, mais Apache faisait de son mieux, avec ses mots.
A coté de Zeb, il avait quand même l'impression d’être juste un gosse pas capable de mieux s'exprimer que ça.
Comme déjà dit, c'était rare qu'on donne autant la parole à cet anarchiste la. Il n'était que très rarement allé aussi loin dans le creusage de ce sujet, et s'y retrouvait de ce fait un peu plus pataud que ce qu'il pouvait paraitre à l'accoutumé.

"Personne peut tout savoir. Personne devrait avoir ce pouvoir de décider pour les autres. C'est juste..." Il fit une grimace, haussant les épaules, cherchant ses mots. "C'est obligé que ça bouffe la liberté à tout les autres. Et ca veut pas dire que la libre association ça existe pas." La, il entrait dans les détails. Des détails qu'il n'avait sans doute peut être encore jamais étayé sur l'ile.
"On peut se regrouper pour faire un truc sans pour autant qu'un chef soit désigné. Un chef ça fout toujours la merde. C'est pas par ce qu'un mec sait plus de truc sur un sujet, soi-disant, que d'un coup c'est lui qui doit tout décider. Et encore moins de la valeur de la vie d'un autre."
Il soupira, secouant la tête à la négative. Tout ça lui paraissait tellement logique.. Et pourtant.
"Bien sûr que tu peux donner des conseils si t'en a, le partage d'informations j'serai jamais contre ça ! Ça s'appelle la putain de solidarité. Mais à partir du moment ou t'es un chef, un capitaine, ou un putain de roi de mes deux, c'est que t'es juste pas dans un partage. T'utilise juste d'autres gens pour aller dans ton sens à toi, et c'est tout."

Qu'il y ai de bonnes intentions ou pas, ca ne changeait rien à l'affaire. C'était le concept même de hiérarchie qu'Apache remettait en question.
C'était gros. C'était radical, et la plupart du temps, ça avait bien du mal à passer.
Mais qu'en penserait ce pirate qui n'avait pas l'air d'être vraiment comme les autres ?

Quand Zeb devina que Apache devait le juger bien naïf, le Garçon Perdu émit un petit gloussement ravi qui laissa une drôle d’impression à la Rouille. C’était la première fois qu’il entendait l’adolescent rire - pas ricaner ou se moquer, mais vraiment rire, comme une marque de plaisir et de complicité. Cela l’avait soudain fait paraitre très jeune, tout comme le regard qu’il avait eu juste avant, lorsqu’il avait demandé son avis à Zeb. Et même si le pirate n’en montra rien, il sentit bien que cela le touchait plus que de raison, au point de faire naître en lui une vague alarme : il était en train de s’attacher au gosse, et ce n’était pas une bonne idée.

D’abord bien sûr parce que Apache restait un Perdu sans foi ni loi, et du genre agressif en plus (Zeb n’avait pas oublié le triptyque sur lequel leur “rencontre” s’était ouverte: les cicatrices, le regard, la lame). Il était au mieux imprudent de lui faire confiance.

Mais au fond, ce que la Rouille redoutait vraiment, c’était que Apache allait finir par s’en rendre compte, de cet attachement. Il devait déjà s’en douter un peu, même inconsciemment, sinon il n’aurait pas parlé comme ça, aussi librement, en laissant pourtant répondre son interlocuteur sans marquer son désaccord de plus que quelques grimaces. Pour l’instant cela pouvait encore passer pour un simple respect, mais Zeb avait bien repéré la manière dont le petit punk le regardait, la façon de plus en plus naturelle dont il souriait. Apache commençait à se fier à lui. Bientôt, il risquait de compter sur lui.

Sauf que sur cette Île, aucun Perdu ne pouvait vraiment compter sur un pirate. Et la Rouille ne voulait pas devenir important pour un gamin pour qui il ne pourrait plus rien faire par la suite. Ça aurait été un abandon, une véritable trahison.

La voix de l’un de ses fantômes murmura quelque chose de méchant dans l’obscurité, derrière-lui (une trahison hein papa). Mais heureusement pour Zeb, Apache eut l’excellente idée de parler en même temps - et pour dire exactement ce qu’il fallait pour s’accaparer l’attention du pirate :

"J'pense juste que t'as pas compris ce que c'était un chef."

La Rouille cilla et haussa les sourcils, avant de baisser la tête vers le petit punk avec ce sourire incrédule très particulier de celui qui devrait s’indigner et le sait, mais qui en fait a plutôt envie d’éclater de rire tellement l’insulte est ridicule:

“Oh vraiment?”

"Genre, tu parles de gens qui ont des connaissances, qui savent des trucs. Ok. J'dis pas que ya pas des types qui connaissent mieux des sujets que d'autres et que du coup c'est forcément plus malin de leur demander leur avis à eux plutôt qu'à un autre. Mais le truc c'est quand t'es obligé de suivre un de ces types ! Et le pire, c'est qu'en général, les types qu'on est forcé de suivre; les chefs, ben souvent c'est même pas eux qui savent le mieux.”

La vision de ce petit trouduc à crêtes en train de lui expliquer la vie était hilarante, mais Apache était tellement au premier degré et il y mettait une application tellement perceptible que Zeb décida d’être indulgent et de continuer à l’écouter sagement. Cependant, il avait déjà une petite idée de ce qu’il avait envie de répondre.

"On peut se regrouper pour faire un truc sans pour autant qu'un chef soit désigné. Un chef ça fout toujours la merde. C'est pas par ce qu'un mec sait plus de truc sur un sujet, soi-disant, que d'un coup c'est lui qui doit tout décider. Et encore moins de la valeur de la vie d'un autre. Bien sûr que tu peux donner des conseils si t'en a, le partage d'informations j'serai jamais contre ça ! Ça s'appelle la putain de solidarité. Mais à partir du moment ou t'es un chef, un capitaine, ou un putain de roi de mes deux, c'est que t'es juste pas dans un partage. T'utilise juste d'autres gens pour aller dans ton sens à toi, et c'est tout."

Zeb garda le silence un moment, à la fois le temps de reprendre le sérieux imposé par la conversation (très mauvaise idée de rire au nez d’un ado qui parle d’un sujet qui lui tient à coeur) et de réfléchir à ce que Apache venait de dire. Mais eu lieu de le contrer d’un long argument, il finit par demander :

“Et ceux qui choisissent de suivre un chef, alors? Ceux que ça rassure, qui ne se sentent pas ou ne sont vraiment pas capables de s'occuper d'eux-mêmes, les plus faibles, les plus vulnérables, les plus jeunes, les plus vieux... tu les laisses se débrouiller tous seuls? Comment tu les "aides" sans leur dire quoi faire?”

Est-ce que Zeb était vraiment intéressé par la réponse?

Oui.

Est-ce qu'il avait aussi très bien remarqué que Apache avait tendance à s'emmêler les pinceaux et galérait à expliquer les points les plus subtils de sa vision des choses?

Peut-être.

Une étincelle de malice passa dans l'oeil du pirate, qui ajouta d'une voix à peine trop doucereuse :

"Je suis pas sûr d'avoir bien compris ça non plus."

Il y eut un silence de circonstance. Après tout ce que venait d'expliquer le jeune Apache, si le pirate avait répondu de but en blanc, ça lui aurait très certainement donné l'impression que l'adulte ne l'avait pas vraiment écouté, n'avait pas réellement pris en compte ses élucubrations.
Il fallait dire que ça partait un peu dans tout les sens, mais l'ado était plutôt satisfait de lui. Il avait réussi selon lui à expliquer le truc pas trop mal. De façon intelligible, même s'il se disait souvent que s'il avait un peu plus de vocabulaire pour sonner sérieux et scientifique, ça sortirait sans doute bien mieux que ça et il pourrait convaincre encore plus de monde !
Mais bon.
Apache avait beau savoir lire, il n'avait pas du tout accès au genre de bouquin qui aurait pu lui permettre d'améliorer ça.
Même s'il semblait que l'air de rien, au fond de ses discours décousus, on pouvait entendre un fond d'auteur au détour de quelques manières de dire.
Sans doute que le chasseur, du temps ou il n'était qu'un zonard, avait pu parcourir quelques ouvrages sur le sujet. Mais cela commençait à dater, à être pire qu'émoussé. C'était il y avait bien longtemps, et les trois quart avaient été bouffé par les mites du temps.

Et puis, finalement, Zeb demanda, tout naturellement ;

"Et ceux qui choisissent de suivre un chef, alors?" L'iroquois cligna des yeux, et dans le même temps, une moue de travers se dessina sur sa bouille de gosse. "Ceux que ça rassure, qui ne se sentent pas ou ne sont vraiment pas capables de s'occuper d'eux-mêmes, les plus faibles, les plus vulnérables, les plus jeunes, les plus vieux..." Les plus vieux. Ça fit lever un sourcil dubitatif à l'ado. Qu'est ce qu'il en avait a secouer, des vieux en fait ? Un sourire de travers marqua un chouilla son dédain. "Tu les laisses se débrouiller tous seuls? Comment tu les "aides" sans leur dire quoi faire?"
La question était loin d'être bête, et en dehors de l'évocation des personnes plus âgée qui n'avait visiblement attisé que du mépris de la part du punk, le reste du questionnement semblait valoir la peine a ses yeux.

"Je suis pas sûr d'avoir bien compris ça non plus."
La toute petite pique, référence à comment Apache avait reçu les doutes de l'adulte pas plus tard que tout à l'heure, arracha un sourire amusé à l'adolescent, arrosé même d'un ricanement qui ne sonnait pas méchant.
Après un petit temps de rien, le plus jeune haussa les épaules.

"Sans vouloir te vexer, mec, les vieux j'en ai un peu rien a foutre." Et il avait sorti ça tout sourire, l'air de dire C'est bon j'rigole ! Mais pas tant qu'ça sans doute. Après tout, Apache avait beau détester Peter Pan et toute la hiérarchie qui le suivait, il n'en restait pas moins un enfant perdu.
"Ceux qui savent pas faire sans... Ouais c'est vrai il y en a." Au moins il ne niait pas. Il avait beau être un peu idiot parfois, il s'était vite rendu compte que faire comme si quelque chose qu'on aimait pas n'existait pas, ça ne le faisait pas pour autant disparaitre. Il valait mieux composer avec. Ou mieux encore, y réfléchir.
Mais ce punk la, c'était pas son fort, la réflexion. Faire chauffer les neurones n'était pas son domaine de prédilection, même s'il s'essayait à cette pratique de temps à autre. Mais point trop n'en fallait.
Et d'ailleurs, il illustra cet état de fait avec grand brio, rappelant sans doute dans la foulée à son interlocuteur à quel point il n'était qu'un gamin qui savait ce qu'il haïssait mais qui ne savait pas vraiment ce qu'il aurait préféré à la place.

"J'comprend pas ces gens la. Ils sont zarb. Ils sont chiants."
Fine analyse s'il en était, mais le pire était à venir.

"Et sinon bein j'en sais rien moi, on verra bien."
Bah ouais, quoi ? Fallait pas non plus lui demander un programme !

On verra bien.

Justement, il y aura bien un expert dans la bande qui aura de bonnes idées. Après tout, après la révolution, quand il sera temps de tout reconstruire en mieux, il y aura bien plus de monde pour réfléchir tous ensemble.
Il y avait ceux qui étaient fort pour faire tout péter, et d'autres qu'étaient meilleurs pour rebâtir. Voila tout.

On verra bien.

Au futur. Oui. Pas au conditionnel.

Par ce que c'était prévu.
Et peut être que ce détail n’échapperait pas aux oreilles attentives du pirate qui écoutait cet iroquois du macadam qui très clairement avait plus que baissé sa garde.

S'il lui faisait confiance, à Zeb ?
Difficile à dire.
C'était peut être tout simplement par ce qu'Apache était le genre de jeune qui apprenait très peu des leçons que la vie tentait vainement de lui enseigner.
Il ne retenait rien.
Un vrai crane percé.
Et une désinvolture sans pareille.

"Sans vouloir te vexer, mec, les vieux j'en ai un peu rien à foutre."

Apache lui fit un grand sourire, qui se voulait sans doute drôle et ne l’était pas vraiment. Zeb ne dit rien et se contenta de rendre son regard à l’adolescent, sans se montrer ni complice, ni hostile. Néanmoins, un observateur attentif aurait noté qu’une sorte de retenue s’était glissée dans son regard. Elle était apparue quand Apache lui avait dit qu’il ne “comprenait pas ce qu’était un chef”, et à présent elle se faisait nettement perceptible, mélange de désapprobation et d’inquiétude.

Soudain beaucoup moins amusé par sa conversation décousue avec Apache, la Rouille laissa le Perdu détailler son incompréhension de la dépendance en quelques termes lapidaires ("J'comprend pas ces gens la. Ils sont zarb. Ils sont chiants.") qui ne firent qu’accentuer l’agacement du pirate. Zeb se considérait comme plutôt tolérant, mais avec l’âge il était devenu intraitable sur certains sujets, dont l’importance de prendre soin des autres. Il savait que ce n’était pas forcément une révélation universelle, et il pouvait excuser Apache de ne pas l’avoir compris - ce n’était qu’un gosse, après tout, et tous les enfants ne faisaient pas la riante expérience de devoir prendre soin de quelqu’un à un âge où ils n’en étaient clairement pas capables. Mais l’ignorance n’autorisait pas la moquerie.

"Et sinon bein j'en sais rien moi, on verra bien."

“C’est ça, tu verras bien.”

Zeb se frotta les bras et leva les yeux vers le dais de lianes toujours plus sombre et dense qui les surmontait (est-ce que la nuit était tombée, là-haut?). Aussi inconfortable que ce fût, il laissa volontairement le silence s’installer après sa réponse trop brève. C’était plus cassant qu’il ne le voulait, un petit côté “tu comprendras quand tu seras grand” que d’habitude il évitait soigneusement. Mais le sujet était sensible, Apache se faisait vraiment péremptoire, et la patience de Zeb avait ses limites.

Cependant, la Rouille finit tout de même par baisser la tête pour revenir à son drôle d’interlocuteur. Il ne voulait pas briser l’échange pour si peu. Le punk n’avait pas l’air d’avoir lui-même beaucoup réfléchi à la question, et le reprendre aussi sèchement sans autre explication paraissait au mieux un peu injuste. Et puis, lui-même était fatigué, gelé et son mal de tête persistant ne lui donnait vraiment pas envie que la discussion devînt une dispute. Alors il lâcha un infime soupir, avant d’ajouter aussi posément qu’il le pouvait:

“La compassion n’est pas un défaut, tu sais.”

Léger sourire, à peine malicieux.

“Aujourd’hui, elle t’a certainement sauvé la vie, porc-épic.”

Il laissa échapper un infime petit rire satisfait, pour montrer qu’il plaisantait (un peu) puis leva à nouveau les yeux. Avant de s’arrêter brusquement.

Il venait de voir quelque chose sur la paroi, un peu au-dessus du niveau de sa tête. C’était à peine discernable sous la masse des lianes et dans la faible luminosité dispensée par l’eau phosphorescente, mais...

Sans même y penser, la main valide de Zeb effleura la manche du Garçon Perdu pour attirer son attention et l’inviter à s’arrêter de marcher. Il s’approcha de l’abrupt mur de pierre, testa le support d’une racine et se hissa le long de la roche, juste assez haut pour s’extraire de l’eau froide - son corps malmené lui arracha un grognement, mais il était trop concentré sur ce qu’il avait trouvé pour prêter attention à quelque chose d’aussi trivial que de la douleur. Il tendit un bras et repoussa une masse de lianes, qui céda facilement.

Juste derrière se trouvait un creux dans la petite falaise. Ce n’était guère plus qu’un surplomb, mais il était tout de même assez haut et profond pour que l’on y tînt assis sans problème, et surtout il était sec.

“Oh, enfin une bonne surprise...”

Malgré son état, Zeb se hissa jusqu’au surplomb avec une aisance et une agilité qui trahissaient ses réels talents d’escalade. Il s’assit au bord du renfoncement et le sonda du regard encore une fois; non seulement il ne découvrit rien d’alarmant, mais en plus il s’avéra que le fond du creux était couvert de racines, qui elles aussi avaient l’air sèches (loué soit le Père de Tijl).

Quand Zeb se tourna à nouveau vers Apache, un grand sourire aussi fatigué que soulagé avait fait son apparition sur ses lèvres:

“Ça te dit, une pause au sec et au chaud? Je crois qu’il y a un moyen de faire du feu.”

On verra bien.

C'était la réponse magique ça ! Apache la sortait quand il sentait les limites de son raisonnement.
Il ne pensait pas pour autant qu'il n'y en avait pas, de réponses. Juste, il ne les avait pas à porté de main à ce moment la, et il préférait sortir ça plutôt que de se lancer dans un débat et de dire des trucs qu'il changerait d'avis le moment de juste après.
On verra bien.
Et puis comme on disait; Qui vivra verra ! Alors peut être bien que lui, il verrait rien.

"C’est ça, tu verras bien."

La réponse très brève, presque sèche qui faisait bizarrement constate avec l'humidité ambiante attira l'attention du petit punk qui leva les yeux vers son interlocuteur.

Est ce qu'il l'avait mal pris ?

Le silence quelque peu pesant qui s'en suivit souligna un peu plus l'impression que s'en faisait l'adolescent.
Ca lui arracha une petite moue de travers.

Bah c'était quoi son problème à ce vieux ?
Il avait dit quelque chose qu'il fallait pas ?

Les deux continuaient d'avancer dans le silence inconfortable, vu que l'Hérissé tout raplapla n'avait pas non plus relancé la conversation, tout perdu dans ses pensées qu'il était.

Ou alors c'était juste qu'il était pas d'accord.

Rien de très étonnant venant d'un adulte, après tout. Un pirate en plus de ça.
Ca aimait la hiérarchie, les pirates, non ?
Qu'est ce qu'il en savait le punk ? Rien de très concret. C'était juste une idée qu'il s'était fait sans vraiment trop s'y attarder.
Les adultes, c'était sensé être raisonnable, et une révolution, ca n'avait rien de raisonnable.

Ou alors c'était juste que la conversation avait lassé Zeb.
Genre... Il s'en foutait. Ca lui faisait ni chaud ni froid.
C'était peut être ça.
Ca le faisait chier.

Apache lâcha un soupire un peu profond, sans même trop s'en rendre compte.
Est ce qu'il se sentait déçu ?
Peut être bien.
Un peu.
Au fond du fond.

Mais qu'est ce qu'il en avait à foutre de l'avis d'un adulte sur cette question la ? Pourquoi est ce qu'il aurait à chercher l'approbation d'un plus vieux ?
Il avait pas besoin de ça.
Il en avait jamais eu besoin.
Ca devrait pas le piquer.
Même pas un peu.
T'façon les adultes comprenaient jamais rien de rien.

Il ronchonnait silencieusement, l'Apache, les sourcils froncés. C'était à deux doigts qu'il se mettait pas à bouder.
Et puis, soudain, la voix de Zeb brisa l'atmosphère lourde.

"La compassion n’est pas un défaut, tu sais."

Illico, le jeune chasseur avait relevé la tête vers le rouquin, sa mine s'éclairant comme de rien, balayant d'un revers la chafouinerie à venir.
Zeb, lui, il souriait. Il avait l'air serein.

Il était pas en pétard alors ?
Et il s'en foutait pas vraiment ?
Le punk cligna des yeux, ses sourcils se fronçant légèrement, marquant une légère incompréhension.

"Aujourd’hui, elle t’a certainement sauvé la vie, porc-épic."
Une mine de travers, en réception à la remarque assortie d'un petit rire.
C'était même pas drôle pfff...
La compassion...
Est ce qu'il avait manqué de compassion dans ce qu'il avait dit ?
Nouvelle bouille un chouilla fermée, mais plus à la réflexion cette fois.

Mais pas vraiment le temps de se repasser toute la conversation en tête, cherchant la réponse, le garçon senti que l'autre l'effleurait, attirant son attention, le sortant de ses pensées.
Il s'arrêta alors, attentif au pirate. Il avait l'air d'avoir repéré quelque chose du haut de sa grande taille.
Le plus court sur patte tenta de voir ce qui avait ainsi éveillé l'intérêt de Zeb, mais pour se faire, il du se mettre sur la pointe des pieds, et même comme ca, c'était pas gagné.
Le pirate, lui, s'était hissé sur un rebord, s'extirpant de l'eau avec un grognement de douleur.
Il était vraiment mal en point, le pauvre, et l'Apache se mordit la lèvre inferieure.
Est ce qu'il se sentait coupable ?
Peut être bien un petit peu, ouais...
Mais il ne se l'avouerait à lui même ni à personne d'autre, pour rien au monde.

"Ya quoi ? T'as vu un truc ?"

Une sortie ?
L'excitation pointait le bout de son nez alors que l'adolescent faisait un pas vers l'autre, piqué par la curiosité et l'impatience, pendant que Zeb farfouillait un peu plus haut, repoussant un amas de liane.

"Oh, enfin une bonne surprise...
- Quoi ? Quoi quoi quoi ?"

Avec une facilité qui se remarquait, malgré ses blessures et sa fatigue plus que visible, La Rouille se hissa sans mal vers le renfoncement qu'il avait repéré, sous les yeux noirs brillants du plus jeune qui ne le quittait pas du regard, la mine illuminée.
L'instant de juste après, le charpentier se retourna vers le gamin resté en bas, un grand sourire peignant son visage marqué.

"Ça te dit, une pause au sec et au chaud? Je crois qu’il y a un moyen de faire du feu."
En réponse et en écho, un grand sourire fendit la bouille du métisse, et ne perdant pas de temps, ses yeux cherchèrent à son tour une manière de procéder pour atteindre le fameux endroit tout en rangeant le couteau qu'il avait jusqu'ici gardé en main.
Il avisa le même rebord que Zeb avait emprunté un peu plus tôt et s'y hissa à son tour avant de relever la tête vers le but à atteindre.
Une inspiration assortie d'une moue de travers.
Ca faisait haut, en fait.
Il était vraiment pas sur de réussir à grimper la dessus de la ou il était.
Un regard supplémentaire et circulaire, à la recherche d'un perchoir soit un peu mieux placé, soit un peu plus haut, ou peut être d'une étape intermédiaire ?
Mais rien en vu.

Merde.

Son attention revint au rebord à choper suivit d'une seconde inspiration, un peu plus déterminée.

Ok, pas le choix. Il allait falloir tenter, et temps pi s'il se vautrait.
Il en avait vraiment trop marre de patauger dans l'eau glacée ! La perspective de se retrouver au chaud et au sec éveillait ses sens et sa motivation émoussées par l'humidité glaciale.

Un... Il plia légèrement les genoux. Deux... pas le choix, il allait falloir sauter.
Et TROIS !
Apache mit tout ses forces dans l'impulsion, et malgré l'absence d'élan, il parvint à attraper le rebord du passage !
Cependant, ses mains ne trouvèrent rien pour s'agripper, glissant sur la maigre avance qu'il avait réussi à grappiller avec son saut pas si raté, et c'était sans compter sur son pantalon large et gorgé d'eau qui lui pesait lourd sur les hanches.

Merde merde merde.

Il parvint malgré tout à ne pas juste lâcher le rebord pour se ramasser dans la flotte, s'agrippant avec tout le peu de force qui lui restait et forçant sur ses bras pour se hisser. Ce fut à ce moment qu'il se rendit compte de toute la fatigue accumulée. Il avait beau y mettre toute sa volonté, il ne parvenait pas à remonter, ses muscles se contentant de ne pas le faire lâcher.
Il était tout engourdi, il n'y avait que sa main droite qui pulsait de douleur, sa coupure encore vive qui saignait abondamment malgré le tissu qui l'enserrait.