Furtive.
Yarn se glisse entre les côtes d'une carcasse de mammouth, fait un zigzag entre elles en se chronométrant dans sa tête. Elle s'amuse à se cacher et à disparaître derrière des tas d'ossements ou dans l'ombre d'une crevasse. Y a personne dans le coin. Tout le monde chasse ou construit ou est parti chercher du bois. Le reste est sans doute dans les tentes de fortune, enroulés dans des fourrures ou autour du feu. Yarn s'invente des ennemis imaginaires auxquels elle doit échapper, s'interrompant seulement pour ramasser des os de temps en temps.

L'Ossuaire s'est révélé un terrain de jeu – et de vie- formidable. Il a pas fallu longtemps à Yarn pour oublier le Grand Arbre. Mirka. Aphrodite. Pit. Ça lui est passé après le premier caprice. Envolé, tout. Elle a glissé des os dans ses cheveux, elle s'est peinturluré le visage. Elle a aidé à monter les tentes et cousu maladroitement des fourrures dans les doublures des vestes ; et occasionnellement, elle ruine une chasse en accompagnant les plus grands et en faisant beaucoup, beaucoup trop de bruit.
(On la pardonne, généralement. C'est difficile de lui en vouloir quand elle met tant de bonne volonté.)

Elle s'approche d'un squelette, un truc immense, à moitié enfoncé dans le sol, une cage thoracique sans tête qui a du appartenir à quelque chose d'immense et de monstrueux – la majorité a parié sur une baleine, mais connaissant l'Ile, c'est sans doute bien pire. Ils en ont fait un espace commun. Des tissus sont tendus entre les os comme des piliers, y a des tonneaux et des caisses, bricolés sur place ou chourés au port, un grand feu, les stocks de bouffe. Et Justice est là.

Yarn reprend l'approche furtive. Elle contourne un tonneau sur la pointe des pieds, grimpe sur le truc qui sert de comptoir. Le sentinelle lui fait dos. Il est sans doute en train de préparer la bouffe, et s'est pas séparé de son stupide chapeau.
Yarn compte dans sa tête.
Jusqu'à quatre !
Et elle lui saute dessus.

Quand il s’est porté volontaire pour préparer les repas, il n’imaginait pas qu’il y prendrait autant de plaisir. En fait, il s’attendait à le regretter assez vite : la maigre expérience qui l’a qualifié pour le job remonte à une autre vie où il cuisinait pour sa fratrie. Et pourtant, en mettant la main à la pâte, il se souvient de vieilles astuces de cuisine. Il parvient même à se rappeler qu’en fait, la cuisine, il aime bien ça.
Les jours passant, il retrouve la main et les réserves se remplissent. Quand des mères établies au refuge lui ont filé quelques-uns des ustensiles qu’elles ont pensé à emporter dans leur fuite, les repas ont commencé à avoir plus de gueule.

L’abri dans lequel il travaille fait office de salle commune, c’est l’un des premiers que le groupe a aménagé parmi les carcasses. Just aime à l’appeler le mess.
Assis sur une souche couchée près du foyer, il pèle des navets armé d’un petit couteau bien affuté. Cela doit faire un moment qu’on lui réclame des frittes mais pas moyen de mettre la main sur une patate. Autant improviser, alors. Ça n’aura peut-être pas le même goût mais il est à peu près certain que ce sera bon.

Il est interrompu quand quelque chose ou plus plutôt quelqu’un se jette sur lui. Il a un sursaut terrible, le couteau ripe et l’entaille au pouce. Quand il tourna la tête, il reconnaît Yarn et ses deux grands yeux qui l’épient.

— Ah c’est toi.

Il lui adresse un sourire amusé avant de porter son doigt à sa bouche.

— T’as fait une bêtise ?

Ce ne serait pas la première fois qu’elle cherche un refuge pour échapper aux conséquences de ses mésaventures.

Yarn finit son compte à rebours et saute.
Elle se sent souple et furtive et puissante comme un tigre ou une panthère ; celles qu'on trouve dans les jungles de Neverland, qui se fondent dans le décor comme des caméléons.
(Et des fois qui crachent de l'acide.)
La preuve c'est que Justice l'a même pas entendue arriver, et qu'il a sursauté quand elle lui a sauté dessus de tout son poids d'enfant de cinq ans.

Elle éclate d'un grand rire, accrochée au cowboy comme un koala.

— Ah c’est toi.
— Bah oui !

Grimpée sur une caisse, elle le lâche finalement pour s’asseoir, presque calmée.

— T’as fait une bêtise ?

Yarn réfléchit bruyamment pendant une bonne poignée de secondes : « mmmmhhh », parce que c'est une bonne question. La vérité, c'est qu'elle a sans doute fait une bêtise ? A un moment ou un autre. Mais c'est pas pour ça qu'elle est là, cette fois.

« Non ! », elle déclare du coup.

Oui, elle a autre chose en tête que juste se planquer sous un sac de patates en attendant que passe la tempête. Elle plisse le visage, dans cette expression pas du tout rassurante de la perspective d'une grosse connerie.

« Tu fais quoi à manger ? Je viens pour t'aider ! »

Yarn ne lui répond pas toute de suite, elle prend vraiment le temps de réfléchir à la question. Just se demande alors si elle cherche à paraître plus convaincante ou si la réponse n’est pas si évidente à ses yeux.

— Mmmmhhh Non !

Le sentinelle affiche un air sceptique mais il décide de la croire sur parole. De toute façon, il a autre chose à faire que de la fliquer comme une maman.

— Tu fais quoi à manger ? demande soudain Yarn. Je viens pour t'aider !

— Sympa, commente Justice.

Trop sympa pour être honnête. Mais il ne va pas rechigner sur de la main d’œuvre. Et au fond, elle l’amuse bien cette gamine.

— Tu sais te servir d’un couteau ?

— Sympa
— Je suis ta sauveuse ! elle répond, très fière.

L'idée que Justice se débrouille très bien tout seul ne l'effleure pas. Ni celle qu'il puisse même se débrouiller mieux sans l'avoir dans les pattes.

— Tu sais te servir d’un couteau ?
— Bah oui !

Elle lève les yeux au ciel d'un air excédé comme si c'était vraiment une question trop stupide.

« En plus j'ai un ingrédient secret pour toi. », elle déclare.

L'ingrédient en question gigote dans le col de son manteau. Elle le maintient immobile en appuyant dessus avec sa main. Puis elle s'enquiert de nouveau :

« Tu fais quoi à manger ? »

Parce que Justice lui a pas répondu et qu'elle est pas du genre à lâcher. Genre, du tout.
Et elle s'empare d'un couteau, laissé près de là par un cuisinier précédent -grande erreur de sa part- et l'agite hasardeusement, prête à passer à l'action.

— Bah oui !

Question bête. Les gamins ne laissent jamais passer l’occasion de tenir un couteau. Même inapte, Yarn n’aurait pas répondu autrement.

— En plus j'ai un ingrédient secret pour toi.

Cette proposition ne lui vaut qu’un regard suspicieux et un sourire sceptique. Du coin de l’œil, le sentinelle remarque un mouvement sous le manteau de la petite (merde, il a quelque chose de vivant là-dessous).

—  Tu fais quoi à manger ? ajoute Yarn.

Ça fait choses d’un coup, Just décide de lui répondre méthodiquement : il pose son navet et son couteau et tire un autre tabouret prêt de lui.

—  Un genre de frittes… mais sans patates. Commence par éplucher ces  navets.

Comme il se remet au travail, il ajoute :

—  Essaye de ne pas te couper les doigts ou les autres pourraient y prendre goût.

Qu’est-ce qu’il ne donnerait pas pour un bon steak… Pas de ce gibier malingre à la chair coriace, non un bœuf tendre et bien gras.

—  Et dis-moi aussi ce que tu caches là-dessous.

—  Un genre de frittes… mais sans patates. Commence par éplucher ces  navets.
— Beeeh.

Elle tire la langue pour montrer son dégoût ; mais empoigne quand même le légume qu'on lui présente. Et plus important, le couteau.

—  Essaye de ne pas te couper les doigts ou les autres pourraient y prendre goût.
— Hihi, elle glousse. Puis rajoute, l'air vantard :Moi j'ai déjà goûté du sang.
—  Et dis-moi aussi ce que tu caches là-dessous.

Oh !
Un grand sourire illumine le visage de Yarn. Elle pose le couteau, et se tourne vers Justice en se dandinant sur le tabouret.

« Ferme les yeux », elle ordonne.

Et pour être sûre que sa demande est bien reçue elle plaque elle-même sa petite main sur le visage de Justice, lui cachant les yeux avec sa paume.

« Et ouvre la bouche ! »

Et de son autre main, elle a attrapé sa pauvre proie, un lézard tout ce qu'il y a de plus ordinaire, du genre qu'on trouve à faire la sieste sur les pierres brûlées au soleil – quand il y a du soleil – et elle plaque la malheureuse bestiole sur la face de Justice. Sa petite poigne est trop ferme pour qu'elle espère s'enfuir malgré ses gesticulations.

Même plaquée contre la bouche du sentinelle le lézard ne se change pas en prince.

A sa réaction surprise, Just devine qu’elle était déjà passée à autre chose. Yarn affiche un sourire large qui le rend plus perplexe. Il l’observe poser son couteau, prêt à anticiper un geste maladroit et dangereux.

— Ferme les yeux.

— Pourquoi faire ?

Il commence à se poser des questions mais une petite main vient obstruer ses champ de vision. Alors, il ferme les yeux et se résigne en lâchant un soupir. Qu’est-ce qu’elle lui prépare encore.

— Et ouvre la bouche !

Là, ça dépasse la confiance qu’il peut avoir envers le premier venu. Non seulement il n’ouvre pas la bouche mais essaye d’ouvrir les yeux. De sa main droite qui tient encore le couteau, il libère deux doigts pour attraper le poignet de Yarn.

C’est pas très prudent de tenir une lame de cette façon mais son attention est tournée vers le reptile plaqué sur son visage qui s’agite sous son nez. Lentement, il écarte la main de Yarn et le lézard avec.

— Ce n’est pas comme ça qu’on mange du lézard, il articule.

Just glisse un regard vers Yarn qui se veut sévère mais la situation lui arrache un petit sourire amusé. Il devrait la sermonner mais il ne peut pas s’empêcher d’apprécier ses frasques. Elle lui fait un peu penser à Pretty. Lui aussi a cette manie de vouloir lui jouer des tours alors qu’il les voit venir de loin.

Justice marche pas du tout. Il ferme pas les yeux et il ouvre pas la bouche. Il se laisse même pas faire -qu’est ce qu’elle attendait ?- et repousse la main qui cherche à lui faire ingurgiter de force la pauvre bestiole encore gesticulante.
Il a pas l’air content.
Yarn gonfle les joues, contrariée. Ça enfle, ça enfle. Mais ça n’explose pas. Pas avec Justice. Il est trop cool pour ça; et il a un couteau dans les mains. Non pas que ça lui fasse peur, ça le rend juste plus cool.

— Ce n’est pas comme ça qu’on mange du lézard.
— Ah oui ? elle rétorque.

Le cowboy finit par lâcher un sourire. Bon signe. ça la fait repartir de plus belle.

- Ah oui et bien c’est comment qu’on mange du lézard, monsieur l’expert de la cuisine et de manger des lézards ?

Elle agite tant bien que mal sa main entravée au bout de laquelle le reptile rend l’âme. Il gesticule sans grande conviction; quelques gouttes d’un liquide non identifié s’écoulent d’entre les doigts de la gamine. Peut-être qu’il abandonne, ou peut-être qu’elle a bien fini par lui couper la respiration, mais elle ne s’en soucie déjà plus.

- On le coupe ? On le bouillit ? On fait des beignets ? On fait des frites ? Des frites de lézard !

Ça la fait rigoler. Elle se bidonne toute seule à sa propre blague. C’est même pas une blague en fait c’est juste deux mots ensemble qui la font bien marrer, frite et lézard.
Et en vrai elle est sûre que c’est bon.

- Bah c'est mieux que des frites de navet”, elle rajoute, levant le nez d’un air un peu snob.

Bien qu’elle vient d’être prise sur le fait, Yarn n’est pas inquiète ou désolée pour un soi. Du moins si elle l’est, elle est sans doute trop fière pour le montrer. Just ne relâche pas le petit poignet tendu vers lui, hésite à serrer davantage pour la faire lâcher. Sans soigneurs ou maman sous la main, mieux valait éviter les bobos inutiles.

— Ah oui et bien c’est comment qu’on mange du lézard, monsieur l’expert de la cuisine et de manger des lézards ?

Yarn s’agite pas mais il ne la lâchera pas. Entre ses doigts, le petit reptile semble lui aussi trépigner. Just ne met pas longtemps à comprendre qu’il est en train de convulser.

Le sentinelle ne sait pas quoi faire. Normalement une mère serait intervenue pour faire la morale à l’Aiguille et lui serait retourné au travail. Seulement il n’y a ni mère, ni chef. Juste lui, un grand, sensé prendre la responsabilité de la situation. Est-ce qu’il devrait lui dire que tuer les lézards, c’est pas bien ? Au fond, qu’est-ce qu’ils s’en foutent… Mais il devine que c’est ce qu’on attendrait de lui.

— On le coupe ? On le bouillit ? On fait des beignets ? On fait des frites ? Des frites de lézard !

Ça l’amuse en plus. Just ne répond rien, n’exprime rien. Il regarde Yarn et son lézard. Merde, c’est quoi cette situation douteuse.

— Bah c'est mieux que des frites de navet”, elle rajoute, levant le nez d’un air un peu snob.

Maintenant, il sait.

De sa main libre, le sentinelle écarte les doigts de la fillette pour libérer le lézard qui ne réagit qu’à peine. Il se retourne et le laisse tomber dans la marmite d’eau bouillante à côté.

— En fricassée.

C’est pas son boulot d’éduquer Yarn, et de toute façon ce serait un peu tard pour s’y mettre. Tout ce qu’il peut lui apprendre c’est éviter de lui casser les couilles.

— Il vaudrait mieux pour toi que tu m’amènes plus les merdes que tu ramasses dehors, il conseille.

Il est calme, souriant mais son ton est sans appel. Le sentinelle se rassoie, il a perdu du temps avec tout ça. Alors il se remet au travail avec plus d’énergie, laissant échapper :

— Si les frittes ne sont pas à ton gout, tu pourras toujours manger ton lézard.

Elle est trop fière de sa blague qui n'en est pas une. Elle remarque même pas les doigts de Justice qui écartent les siens de force pour laisser échapper sa prise, jusqu'à ce que ce soit trop tard. Le lézard tombe dans la marmite d'eau bouillante. Yarn trop surprise pour piquer un caprice se contente de baisser les yeux pour le regarder tressauter une fois puis ne plus bouger, vivant ses dernières secondes dans ce qu'elle imagine sans émotion être d'atroces souffrances.

— En fricassée.

Justice a pas l'air amusé. Du tout. Fatigué au mieux, exaspéré au pire, pourtant elle a rien fait de mal.

— Il vaudrait mieux pour toi que tu m’amènes plus les merdes que tu ramasses dehors.
— C'est un gros mot, elle murmure tout bas.
— Si les frittes ne sont pas à ton gout, tu pourras toujours manger ton lézard.

Et il s'assoit pour continuer à éplucher et couper des trucs qui ont pas l'air beaucoup plus appétissants, en vrai. Nettement calmée mais pas découragée pour autant, Yarn se pose à côté de lui, sur une caisse bien plus haute qui la met à hauteur du plan de travail improvisé. Elle saisit de nouveau dans sa main le couteau que le sentinelle lui a prêté plus tôt.

« Bah déjà j'en ai déjà mangé, c'est le seul animal que y a dans l'ossuaire et des fois bah j'ai trop faim alors je les mange. Mais quand c'est cru c'est pas bon en plus c'est tout dur avec les écailles.  »

Yarn évidement n'atteint pas le niveau de motricité fine de Justice ; elle a beau essayer d'imiter ses gestes à la lettre, ses morceaux de navet sont grossiers et irréguliers, et elle perd du terrain sur lui. Mais elle s'applique avec minutie, espérant peut-être un peu d'encouragements au bout du compte.

« Si tu les laisse trop longtemps sans les manger », ajoute-t-elle. « Ils deviennent tout gelés. C'est dur la vie. »

Elle lâche un long soupir comme si elle avait cent cinquante ans et regrettait les jours meilleurs et les confitures de son enfance ; c'est pas si éloigné de la réalité.

Un regard en coin lui indique qu’il a bien fait de l’ouvrir : Yarn s’est rassise. Elle a l’air un peu calmée. Pourvu que ça dure.

— Bah déjà j'en ai déjà mangé, c'est le seul animal que y a dans l'ossuaire et des fois bah j'ai trop faim alors je les mange. Mais quand c'est cru c'est pas bon en plus c'est tout dur avec les écailles.

— En même temps, si c’est cru…

Tout en discutant, il jette un œil à ce qu’elle fait. Elle ne s’y prend pas très bien mais au moins elle n’agite pas son couteau dans tous les sens. Ce serait bête de perdre un doigt pour ça.

— Si tu les laisse trop longtemps sans les manger. Ils deviennent tout gelés. C'est dur la vie.

Cette dernière remarque lui arrache un sourire. C’est bizarre d’entendre une fille aussi jeune parler comme un vieux. Il se demande un instant si elle ne vient pas de lui recracher quelque chose qu’elle a entendu de la bouche d’un grand.
C’est mignon.

— Attends, regarde.

Plutôt que de la laisser galérer, il décide de faire un truc sympa. Enfin, pas sûr que ça soit si désintéressé si elle gaspille les stocks avec son inexpérience.

Il attrape ses mains pour guider ses gestes avec une délicatesse toute inhabituelle.

— Tu ramènes la lame vers toi, tout doucement. Comme ça.

Il y a comme un air de déjà-vu qu’il prend soin d’ignorer.

— Attends, regarde.

Yarn n’en finit pas de lâcher son soupir dramatique, à moitié avachie sur la table et les frites de navet découpées grossièrement devant elle. Elle lève un regard curieux vers Justice, qui a posé son propre couteau pour lui attraper les mains avec plus de douceur que ce qu’elle aurait attendu.

— Tu ramènes la lame vers toi, tout doucement. Comme ça.

Et un peu hypnotisée, elle laisse le sentinelle piloter son couteau et refaire par dessus les gestes qu’elle pensait avoir fait parfaitement. Les frites deviennent plus régulières, plus rectangulaires. Plus efficace, moins fun. Justice a vraiment de grosses mains elle se dit, d’autant plus que les siennes sont celles d’une enfant de cinq ans.

Pendant un moment elle se laisse manipuler comme un petit pantin, en silence, dans un espèce de flottement bizarre, jusqu’à ce qu’inévitablement elle perde patience. Tourne la tête en direction du sentinelle avec un grand sourire plein de dents.

« Eh dis donc, elles étaient très bien mes frites ! »

Il y a maintenant deux tas sur la planche. Un désordonné, avec des morceaux de légumes de toutes les formes et tailles, et un dont les bâtonnets sont en rang net comme des petits soldats. D’un geste de la main, elle mélange les deux tas comme si ça suffisait à effacer les preuves de l’aide de Justice.

« C’est marrant de faire la cuisine en fait ! » elle déclare, à propos de rien.

— Eh dis donc, elles étaient très bien mes frites !

Yarn proteste, sûrement froissée. Mais venant d’une gamine de cinq ans, il n’y a pas de quoi se remettre en question. Le sentinelle hausse les épaules, amusé. Il préfère ne pas se prononcer.

La raccommodeuse mélange les frittes sans raison. Pour s’amuser, peut-être. Just le regarde faire un peu perplexe.

— C’est marrant de faire la cuisine en fait !

Il croit qu’elle est sincère mais ne pense pas qu’elle soit suffisamment utile et surtout motivée pour l’assister régulièrement.

— C’est vrai, c’est marrant.

Il se permet quand même de lancer, l’air taquin :

— Si tu venais m’aider de temps en temps, tu pourrais m’aider pour les menus.

Fricassée de lézard garantie.

— C’est vrai, c’est marrant. Si tu venais m’aider de temps en temps, tu pourrais m’aider pour les menus.
— Mh...voui, fait Yarn, tentant de dissimuler son contentement.

Justice lui sourit et puis il demande son aide, quasiment, alors elle doit faire un gros effort pour ne pas sautiller sur place et garder un air de détachement sur sa figure. Il faudrait pas qu’il prenne la grosse tête (elle la prend, elle, en tout cas).

« Je suis très occupée moi », elle ajoute, finissant d’ordonner ses frites de façon arbitraire. « Je fais la chasse, et l’éclaireur, et un peu d’espionnage. »

La fin de phrase dite d’un air de conspirateur. Oui, elle a quelques fois été envoyée en mission en camp ennemi, la moitié du temps de son propre chef et l’autre moitié pour qu’elle arrête de trainer dans les pattes lasses des grands de l’Ossuaire. Elle omet de dire ça à Justice, comme elle n’évoque pas ses fonctions auto-attribuées de soigneuse en prime ; Soul a autre chose à faire que de la réprimander pour quelques points de suture en laine colorée.

« Mais je peux venir t’aider de temps en temps. Ça sera bien. »

Elle pousse les patates vers lui d’un air un peu impatient, parce que ça commence à lui donner faim tout ça, et lui adresse un sourire immense. Elle lui donnera les meilleurs morceaux de ses chasses, quand elle reviendra l’aider. Ils feront des fritures et des ragoûts merveilleux. Yarn sent la salive emplir sa bouche. Oui, ça sera bien.