Dummy a beaucoup pleuré.
Ses larmes tracent de multiples sillons, comme les racines d'un arbre, qui remontent dans ses cheveux, dans ses oreilles. Des larmes de glace, des sillons de verglas, des rayures blanches et bleues qui alimentent une tignasse épineuse bardée de stalagmites, courent sur sa peau décolorée.
Dummy pleure des larmes froides, des larmes de bonheur.

Il saute, court, escalade des icebergs sur la mer devenue glace, comme lui. Ses pouvoirs sont usés et abusés pour son simple plaisir. Les triples sauts périlleux s'enchaînent, les escalades improvisées se terminent en une fraction de seconde, et l'enfant file comme une balle sur les étendues gelées, ivre de puissance. Ses vêtements, débraillés de base, sont raides de neige et de givre, malmenés par le blizzard qui joue avec l'ancien Perdu. Ils se disloquent en de gros morceaux ; ses bras sont nus, les semelles de ses chaussures n'existent plus, et il ne reste presque plus rien de la tunique en feuille que Hat lui avait dégoté après qu'il ait déchiré son précieux short en laine tressée.

Au loin, la Forteresse de Glace du Seigneur Hook. Même s'il s'amuse pour l'instant, Dummy est bien conscient du contrat qu'il a métaphoriquement signé. Il sait qu'il ne doit pas (trop) traîner. Alors il continue, en zigzagant autour des obstacles, fracassant parfois un bloc de glace entier avec son front, qui se décore d'une couronne éphémère de poudreuse. De temps en temps, il profite d'une interstice dans la banquise pour plonger dans l'eau glacée, qui lui semble maintenant à peine tiède. Son corps file dans les profondeurs bleues comme un serpent, et il sort de son bain par une autre fissure, propulsé hors de l'eau accompagné par une gerbe d'eau salée. L'enfant, trempé, se voit geler instantanément – l'humidité l'ayant bien trop exposé aux froids polaires – mais avec une violence impatiente, il brise sa carapace de glace avec une facilité effrayante. Ses vêtements encore davantage en lambeaux suite à cette acrobatie.

Alors que la silhouette de la Forteresse se fait de plus en plus distincte, Dummy aperçoit une autre silhouette, humaine cette fois-ci, qui se tient sur un monticule de glace qui domine les flots encore rebelles contre le froid. Il n'est plus l'heure de jouer, on dirait bien : l'Handicapé devine à la manière dont il se tient qu'il lui fait directement face, et qu'il l'a donc repéré bien avant lui.
Toutefois, il ne débine pas. L'enfant, excité par la première rencontre de sa renaissance, inspire profondément et pique un sprint, dont la première impulsion dégage une puissante onde blanche derrière ses chevilles.
Une fois arrivé à sa hauteur, Dummy fait son show : profitant de sa vitesse, il effectue un saut périlleux calculé pour se planter, sur ses deux pieds, à deux mètres de son confrère. Il lève le nez, arbore un sourire figé, et lance :

- Hey. T'es qui, dis ?

Le Froid a tout engourdi.

Le Froid s'est glissé en lui, gelant toutes ses failles et endormant tout ce qui hurlait. Le processus a été long, lui a fait mal et pourtant, Lòng l'a accueilli avec avidité, sans réfléchir - ou si peu.

Et depuis, il ne souffre plus.
(Du moins c'est ce qu'il se répète.)

Debout sur son perchoir, les yeux fermés, il perçoit la présence de son nouveau frère qui s'approche de plus en plus vite. S'habituer à cette impression de faire partie d'un tout conscient a été, peut-être, la chose qui lui a le plus posé problème mais il s'y est fait, comme à tout le reste : la peau bleue, la vie dans la Forteresse et le Froid, surtout.

Il ne souffre plus, il ne souffre plus, il ne souffre plus.
Le Froid a tout endormi, gelant jusquaux braises.

Ouvrant les yeux, le Dragon observe les acrobaties du garçon : bien qu'il ne l'ait jamais croisé, il n'est pas difficile de deviner que le petit était Perdu, avant. Peu importe, de toute façon : depuis qu'il a rejoint les Orbleus, Lòng ne prête plus réellement attention aux groupes : un frère est un frère, ancienne proie ou non.

Un saut, et le petit vient se planter non loin de lui.

- Hey. T'es qui, dis ?

Un sourire gelé vient se former sur les lèvres de Lòng. Avec nonchalance, il se penche vers son interlocuteur.

- Je suis Lòng, mais on me connait aussi sous le nom de Dragon.

A son rythme, il détaille l'enfant : ses habits, son visage. Et en conclut :

- Tu n'es pas Soigneur. Quel est ton nom ?

Le Dragon rajoute, avec amabilité :

- Bienvenue chez les Orbleus.

Il en viendrait presque à oublier ses manières.

À son sourire gelé, le Dragon répond un sourire gelé. Similarité bienvenue qui le fait immédiatement se sentir à l'aise. Il n'est pas encore prêt à l'appeler grand frère, mais si les ressemblances s'accumulent, il pourrait bien oser la plaisanterie, voire prendre l'habitude s'il apprécie le surnom.
Ne vous y trompez pas, ce n'est pas vraiment de l'affection. Plutôt de l'admiration devant un congénère visiblement plus puissant que lui ; ça se voit dans son regard.

- Je suis Lòng, mais on me connait aussi sous le nom de Dragon.

Le Dragon lui évoque effectivement quelque chose. Il se souvient de quelques discussions datant de la période où il était prisonnier – quelques unes datant d'avant cela encore, et autant dire que ça remonte, et ces discussions se déroulaient toujours avec une ambiance pesante. Il se souvient avoir eu peur de ce surnom, mais il ne se souvient pas pourquoi.

- Tu n'es pas Soigneur. Quel est ton nom ?

La première constatation que le Dragon fait de lui est étrange, mais sa question le distrait de ce premier mystère. Perdu dans un regard bien plus froid que le sien, Dummy met du temps à répondre.

- Bienvenue chez les Orbleus.

- Merci, lâche Dummy, le sourire soudainement éteint, réveillé par la politesse.

Après quelques rapides mouvements de jambes et éclats de poudreuse, l'ancien Perdu se glisse derrière le pirate pour mieux apprécier la vue de la Forteresse. Contemplatif, il met cinq bonnes secondes à se décider à répondre par dessus son épaule :

- Je m'appelle Chalk.

Après une hésitation, il se tourne plus franchement vers l'ancien pirate. Le vent glacial semble l'envelopper dans une minuscule tornade de neige, comme si sa légère méfiance se manifestait dans l'air même.

- Tu es venu là juste pour m'accueillir ?

L'enfant - l'Orbleu - le remercie, et Lòng ne tique pas. Son regard froid s'est relevé, fixant l'horizon avec une détermination distante. L'air n'est pas totalement calme, réagissant peut-être aux émotions du gamin. Il les ressent aussi, de façon lointaine, mais décide de ne pas trop y prêter attention. Ah, il lui en a fallu du temps, au Dragon, pour ne pas se laisser submerger.

Derrière lui, la voix de son nouveau congénère résonne :

- Je m'appelle Chalk.

Le nom ne lui évoque rien, mais cela n'est pas si étonnant : mis à part ceux que Weasel lui a donnés, il a tendance à ne retenir aucun nom de Perdu. Consentant à se retourner, Lòng appose son regard glacial sur son interlocuteur.

- Tu es venu là juste pour m'accueillir ?

Sourire absent, sourire distant. Lòng hausse une épaule qui craquèle.

- Non, tu n'es pas important à ce point.

Sourire qui gèle. Est-ce qu'il le taquine, est-ce qu'il cherche à blesser ? C'est comme un ancien réflexe, pourtant le venin du reptile s'est comme affaibli, aussi.
Endormi par le Froid.

Un nouveau regard vers l'Île et ses contours comme brouillés par le froid. C'est machinal, il ne peut pas s'empêcher d'y revenir.

- J'attendais quelqu'un.

Il ne peut s'éloigner de la Forteresse aussi longtemps qu'il le souhaiterait - trop lié au Seigneur Hook, trop Orbleu même, mais le Froid endort même sa frustration, l'apaise. Il ne souffre plus, il ne souffre plus, il ne souffre plus. Et comme ses chasses s'espacent, il attend.
Bon chien.

Le pic d'amertume le parcourt comme un éclair, vite endormie mais le laissant assommé l'espace de quelques secondes. Avant qu'il revienne à lui, que son regard se fasse moins trouble et que la présence de son interlocuteur se rappelle à lui.

- Veux-tu que je te fasse visiter ?

Maintenant qu'ils sont pareils, Lòng a des devoirs.
A ce qu'il parait.