La piraterie c'dans l'sang : soit tu l'as, soit tu l'as pas !
Mon paternel en était un, un honnête pirate qui m'a tout appris !
L'était Second à bord du
Whydah Gally ! Mais l'Océan l'a avalé tout rond et il est plus jamais rentré à la maison. Bah, j'pas pleuré, c'ruffian avait choisi son métier et sa mort 'vec ça !
Il avait eu l'temps dm'apprendre l'art des voiles et les rudiments d'la manœuvre avant d'sombrer par l'fond. J'avais treize ans et j'tais qu'un ptit gars en quête d'aventures et d'libertés !
M'suis lancé sur les traces d'mon vieux père et rejoint un bâtiment au pavillon noir - faut connaître les bons endroits pour c'genre d'enrôlements - en tant qu'mousse.
T'sais, les années en mer c'est horriblement long et merveilleusement court.
J'connaissais les Caraïbes comme ma poche, c'tait ma terre d'naissance - colonie anglaise - et mon terrain d'jeu.
Piller, voler et saccager comme un forban sans âme et sans cœur : ça c'est l'plus marrant dans la piraterie.
Après y a l'côté femmes absentes qui pèche un peu, mais à chaque escale l'capitaine savait choisir son port et les donzelles étaient d'bien bonne compagnie !
Pi' un jour l'capitaine m'a oublié sur l'quai. Ouais, comme ça. J'te raconte pas l'effet qu'ça fait !
J'ai toujours pas pleuré, mais j'avais les boules : pas un shilling en poche.
Alors j'ai bu en échange du nettoyage d'une auberge. L'rhum, y a qu'ça d'vrai 'vec les femmes.
Ça c'tait pas d'la vie d'pirate, c'tait d'la vie d'merde ! Jusqu'à cqu'un nouveau Capitaine débarque sur l'île pour enrôler d'la chair fraîche. Ça c'était du Capitaine. On en voit pas tous les jours, c'est l'genre a être dans les livres, ces trucs plein d'lettres incompréhensibles.
Capitaine James Hook, c'comme ça qu'il s'appelle. Lui alors, j'voulais servir dans son équipage ou crever l'balais dans l’cul !
Et il m'a enrôlé comme gabier, ceux qui voltigent dans les haubans.
Quc'était bon d'retrouver le large après tout c'temps à terre !
Ah ma belle vingtaine qui commençait sous les couleurs du
Jolly Roger et d'son redoutable Capitaine.
On écumait les flots, abordant et pillant tout cqu'on croisait. On était craints de tous.
L'Capitaine a bien vu quj'étais fait pour qu'que chose d'plus grand que gabier, alors il m'a nommé Timonier. Tu connais la sensation qu'procure un gouvernail entre les mains ? Nan hein, t'peux pas, personne peut imaginer.
Bah laisses moi t'dire quc'est la liberté qu'tu tiens au creux d'tes paumes. Ouais mon gars, la liberté. Parce quc'est ça la piraterie : la liberté.
Jusqu'à c'te foutue Île et c'foutu gamin.
Tout a changé à c'moment là. On est v'nu s'pommer dans une baie sans fin et pourtant si p'tite. Tout ça pour qu'le Capitaine soulage son égo - et sa main, j'avoue - bafoué !
Ça a vite tourné au vinaigre pour tout l'monde sur l'navire. Tellement qu'on a perdu un premier gars :
Philidore.
C'tait l'mousse l'plus doué quj'avais jamais vu. Jl'avais pris sous mon aile pour affûter son talent d'épéiste et, jl'avoue, parce que jl'aimais bien c'gamin.
Un matin, avant l'aube, alors quj'faisais ma ronde, jl'ai vu s'casser en douce. J'savais où qu'il allait, mais j'ai pas bougé d'un iota. J'ai pas donné l'alerte non plus et j'ai r'gardé disparaître l'premier gars que j'considérais comme un fils.
J'le r'grette encore aujourd'hui, surtout quand j'le croise dans les escarmouches 'vec les gamins. Y l'a pas changé, pour sûr. Et y s'souvient pas d'moi, pour sûr aussi. Aussi sûr qu'ça fait saigner mon palpitant autant qu'ça l'gonfle d'fierté en l'voyant s'battre comme un dieu d'la guerre.
Phil' c'ma première blessure.
J'ai cicatrisé comme j'ai pu, et la foutue magie dl'Île m'a permis d'avancer... Autant qu'possible en étant coincé sur c'caillou flottant !
Y avait l'équipage, les amis comme
Zeb,
Nassim et
l'vieux prêtre. Puis l'phénomène inverse d'Philidore a commencé : des gamins du Tyran qui nous r'joignaient ! D'un côté j'pouvais pas leur en vouloir d'déserter 'vec un gamin comme ça pour chef. Mais j'ai jamais pu leur faire confiance...
À quelques exceptions, y a toujours des exceptions.
Comme c'nouveau mousse :
Christopher Marie-Redskin. Moitié gamin perdu, moitié sauvage. Il partait 'vec un sacré handicape ! Jl'ai pas protégé des gars et d'leur bizutage ; j'me sentais pas trop concerné et j'me disais qu'il l'méritait.
Ça aussi j'le r'grette encore aujourd'hui.
La suite... J'sais pas c'qui m'a pris, ptêtre l'manque d'Philidore, ou la pitié. Ou juste mon foutu coeur trop tendre. En tout cas j'ai pris Christo sous mon aile, à ma façon. Jl'ai défendu des bizutages suivants, jl'ai motivé et renforcé à coup d'claques dans l'dos et d'encouragements. Il est dev'nu apprenti cuistot et j'étais fier d'lui. C'était l'bon temps sur c'te foutue Île.
Puis ces satanés sauvages ont
attaqué et... Et... C'tait la faute d'ce sauvage. C'est à cause d'lui qu'Christo... Qu'il a été blessé. Et ils l'ont emmené. J'ai eu beau gueuler, y l'ont emm'né pendant quj'essayais d'ramener un morceau du
Jolly Roger à terre.
J'me suis noyé dans l'rhum plus qu'jamais. J'chialais comme une donzelle, j'gueulais, j'maudissais tout le monde mais surtout les sauvages dm'avoir pris mon fils. Ouais, c'tait mon fils.
Dans ct'océan d'chagrin et d'rhum j'ai vu la lumière : Shifty. Elle servait si bien l'rhum, avec sa jolie tresse battant sa chute d'reins... Et quelle chute d'reins par Neptune ! J'ai r'poussé ses avances parce qu'pour la première fois d'ma misérable vie, j'tais lucide : elle devait pas perdre son temps avec un déchet comme moi.
Ça aussi j'le regrette. Cruellement. J'nous ai fait perdre du temps.
Elle était tellement bien quc'est elle qui a bougé l'fion des gars et on est
partis chercher Christopher.
C'est à c'moment là quj'ai commencé à apprécier l'
Cannibale. Malgré son régime alimentaire et son origine d'gamin, ct'un marrant !
Mais j'ai vite arrêté d'rire quand Christo est v'nu à notre rencontre pour m'sortir des conneries aussi grosses qu'le cul d'une baleine : rester chez les sauvages l'temps d'guérir. On avait un bon toubib sur l'navire ! J'ai eu l'goût d'la trahison dans la bouche et j'suis reparti cuver ma peine et mon amertume à la Taverne.
Ma lucidité à propos d'Shifty a pas duré longtemps et j'ai vite commencé à la courtiser.
Et comme il l'avait promis, Christo est rev'nu. Ah j'allais bien, enfin. J'ai même diminué l'rhum. J'en avais plus b'soin pour être heureux : j'avais Shifty, Christo et les gars.
Mais c'te foutue Île laisse aucun répit. Juste l'temps d'goûter au bonheur avant d'nous l'arracher. Arracher ouais.
Ct'enfoiré d'bâtard d'Peter Pan.
Il a. Arraché. L'coeur. D'Shifty.J'vais l'tuer.
J'vais l'tuer.
J'avais l'tuer. J'vais l'tuer !J'trouv'rais pas la paix tant que j'tiendrais pas l'coeur encore palpitant d'ce fumier. Et qu'le Capitaine aille s'faire foutre 'vec sa vengeance : il a raté bien assez d'occasions. À mon tour maintenant !
L'gamin démoniaque m'a arraché l'coeur en même temps qu'à la femme quj'aime !
Shifty c'ma deuxième blessure.
Tu pensais qu'ça pouvait pas être pire ? Bah moi aussi figure toi, et on s'fourrait l'doigt dans l'oeil jusqu'au coude tous les deux. J'te jure.
Ça s'est
passé sur la grève. J'ruminais ma vengeance et mon sacré bon p'tit Christo est v'nu m'réconforter. Sans succès, faut bien l'dire, mais c'est Christo, il veut toujours faire l'bien. Jusqu'à cqu'y m'arrache l'coeur une deuxième fois et l'réduise en bouillie pour kraken. Lui aussi s'faisait la malle. Chez les sauvages en plus !
Pas b'soin d'dire combien l'goût d'trahison et d'abandon était fortement amer.
Il a noyé l'tout sous la plus grosse couche d'culpabilité jamais crée. Y m'a avoué avoir voulu s'crever lui même durant tout l'temps passé 'vec nous. 'Vec moi. J'ai rien vu, j'ai rien d'viné.
J'ai foiré ma vie d'bout en bout. Et même la fierté d'voir mon Christo autant en paix et heureux j'peux pas ml'attribuer.
Alors lui aussi j'l'ai r'gardé partir, sans donner l'alarme. J'ai juste réussi à chialer comme une fillette.
Mais cette fois jl'ai pas lâché si facilement. Jl'ai surveillé d'loin. Jl'ai vu aller s'paumer dans ct'endroit d'malheur : La Lande des Songes Morts.
J'sais pas comment j'ai fait pour l'y retrouver, encore moins pour nous en tirer. Et m'sortez pas ces conneries d'la "force dl'amour" : z'avez pas l'droit d'me parler d'amour.
En tout cas jl'ai tiré d'ce brouillard dl'enfer et... J'ai pas eu l'coeur à l'ramener au Port où il a été si malheureux. Alors jl'ai déposé là où y voulait vivre maintenant. Loin d'moi. Chez les sauvages - les moins sauvages, c'est déjà ça.
Et j'suis reparti avec seulement ce p'tit sifflet qu'y m'a offert et la promesse qu'on s'revoit. Un jour...
C'jour là j'ai perdu mon deuxième fils. Comme quoi doit y avoir une morale à en tirer : j'suis un père d'merde.
Christo c'ma troisième blessure.
Celle d'trop. Celle qui m'a fait dire STOP. Ça suffit, y a plus rien à arracher, piétiner, poignarder, abandonner. J'plus la place pour ça, j'ai plus c'qui faut. Y m'reste qu'la douleur, l'amertume, la colère et la vengeance.
Quoi qu'y m'en coûte, j'la vengerais. Après, j'pourrais enfin crever.
J'ai déjà commencé : j'ai pris dix ans dans les dents. Et quand j'aurais tué Peter Pan, l'Capitaine m'fera passer par l'fil d'son crochet. Mais ça a pas d'importance, parce quj'ai plus rien à perdre.
Plus rien ni personne.
J'suis seul maintenant.