Sa marche est lente et incertaine. Douloureuse à chaque pas, pourtant quelque chose entraine La Fidèle, l'aide à avancer. D'innombrables fois, Cilla s'arrête pour reprendre son souffle avant de continuer courageusement sa route, l'esprit embrumé par la fatigue, mais le cœur sauvé par l'étincelle qui subsiste dans ses yeux. Puisant dans ses dernières forces, elle quitte le repaire des Enfants Perdus, guidée par l'espoir de retrouver son roi.

La toux assèche sa gorge chaque jour un peu plus, le froid mord chaque jour davantage pour mieux s'infiltrer dans les recoins de peau et déguster ce qui reste de muscle à la Mère. La batte abandonnée ne pèse plus sur les épaules de Cilla et n'est plus là pour soutenir ses pas non plus. Mais la Fidèle ne se plaint pas, elle débute son pèlerinage en serrant les poings et ravalant de faibles gémissements, car voir Peter est plus important et vaut bien toute cette souffrance.

La pluie ruissèle sur le crâne de La Fidèle, qui baisse le nez pour ne pas être aveuglée ou  s'étouffer dans l'eau. Elle plisse les yeux, serre ses bras autour de sa taille pour mieux se réchauffer dans son blouson. Ses pas déjà lourds ralentissent en tranchant les flaques toujours plus épaisses et lorsqu'elle lève les yeux pour voir le ciel si gris, si triste, Cilla voudrait que tout cela cesse. Elle espère, en retrouvant son remède, pouvoir le guérir lui aussi... Mais les yeux de Cilla se baissent de nouveau, confrontés à leur impuissance.

L'entrée de la grotte se dévoile, apparaissant comme un abris tant attendu et la mère s'y engouffre aussitôt, sans craindre l'obscurité qui peut-être la protègera un peu du froid... L'impression d'être tout à coup enveloppée par le vide efface un instant la douleur, anesthésie la peau et les os meurtris, calme les tremblements du cœur et caresse les cheveux courts. Aucun bruit, seul le halètement irrégulier de Cilla trouble le silence ordonné de la galerie. Et en admirant les petits points de lumière qui perforent le noir, Cilla croit sentir la présence lourde et triste de son roi, non loin. Ses lèvres gercées et humides à la fois dévoilent un sourire timide. L'étincelle d'espoir n'est pas loin et le cœur si faible, se soulève. Si froid depuis trop longtemps, s'enflamme malgré les flots qui le submerge sans cesse...

Parmi les roches, les crevasses et les reflets des cristaux, tout si calme, une légère bourrasque s'élève. C'est La Fidèle qui court, si lentement, si difficilement. Ses chevilles aussi délicates que les pierres luminescentes qui éclairent sa route, risquent à chaque pas de se briser. Mais le souffle ne cesse pas, une perle d'énergie est née, survivant éternellement aux désastres tant que, quelque part, dans le Pays de Jamais comme sur Terre, Peter est là. Cilla survivra avec lui, souffre avec lui pour Jamais.

Ses pas résonnent, trouble le rien qui pèse sur le cœur du roi dont la voix résonne, comme un murmure, un dernier souffle. Mais Cilla le sent plus qu'elle ne l'entend, et poursuit le ricochet cassé qui claque les parois dures et noires de la Galerie de Cristal. Elle répond,
d'une voix toute aussi faible.

« Peter. »

Si faible, que cela ne pourrait être un appel. Mais davantage une prière. La Fidèle prie pour que son roi brûle de nouveau. Trop fort, au prix d'incendier l'île... Mais elle le préférait ainsi. Mais assez proche pour distinguer sa silhouette, si petite, le sourire de Cilla se dessèche. Dans un ultime effort, sans trop oser s'approcher, sans trop oser toucher cette statuette si faible, elle ralenti, craignant de ne pas être reconnue.

« Peter. C'est moi, Cilla... »

Ses jambes cèdent, submergée par l'infinie tristesse et solitude qui se dégage du corps si blanc de son roi. Vidée, elle se laisse glisser sur le sol et s'aidant de ses mains, La Fidèle s'avance lentement vers Peter. Elle voudrait le prendre dans ses bras pour le réchauffer, mais attend de voir dans les yeux pâles de l'Enfant Roi, si elle en a le droit. Elle fait simplement glisser doucement ses doigts vers ceux gelés de son deuxième cœur, qui semble bien trop prêt à s'éteindre. Elle ne veut pas, elle a peur, mais elle essaye malgré tout de lui sourire, retenant les larmes qui voudraient couler au rythme des gouttes qui résonnent dans la Galerie.

« Je suis venue te voir Peter. »


Dans le noir.

Peter était tout petit, tout fragile.
Comme un enfant trop jeune pour naître et affronter les foules de sentiments dont le monde regorge...

Qui pourrait imaginer le roi de l'enfance et des rêves si triste ? La colère de son roi, Cilla la connaissait et la craignait... Mais à cet instant, elle lui parut bien dérisoire face à la désolation sombre qui pesait sur les yeux de Peter Pan, qui un instant s'étaient enfuis... Il n'était pourtant pas ce genre de roi.  

Désemparée en le voyant si hésitant, Cilla resta immobile, glissant un regard inquiet sur sa peau gelée. Etait-il blessé ? Sa voix fiable grinçait mais n'avait même pas la force de ricocher contre les parois de la grotte... Le mince filet d'air qui s'échappait d'entre ses lèvres tremblait, apeuré et lointain. La Fidèle décryptait les mots mais ne les entendait pas vraiment. Pourtant, elle sentait le grelot de peine qui éloignait Peter et lui fait si mal.

Cilla avait mal. Souffrait de voir son roi dépérir dans le noir.
Elle s'approcha encore, le regard froissé de tristesse, secouant la tête dans l'incompréhension.

« Si tu as froid, j'ai froid aussi, Peter. » Dit-elle doucement en posant délicatement sa main sur l'épaule courbée de L'Enfant Roi.

Pourquoi ?
Pourquoi demandait-il "pourquoi" ?
Aux yeux de La Fidèle, c'était évident : elle faisait honneur à son nom.
A son rôle de mère.

« Une maman doit être là quand on a froid, non ? » Sourit-elle doucement.

Et Peter avait fait d'elle une mère... Peu à peu, Cilla apprenait à s'y faire. Alors elle entoura son roi de ses bras et l'enlaça avec une douceur craintive : celle de briser une statue fissurée. Elle n'était pas sûre de pouvoir le réchauffer, mais elle essaya malgré tout.

« Qu'est-ce qui va pas, Peter ? Tu veux me le dire ?»


Il fait froid.