Elle avait semé le soigneur chargé de l’escorter. Chose rare, ce n’était pas tant l’indépendance qu’elle regrettait que la mauvaise volonté de son camarade qui l’avait poussé à agir. Joy se doutait qu’il n’avait pas accepté cette corvée de gaité de cœur, quelqu’un l’avait obligé.
Et qui que ça puisse être, il n’aurait pas dû : l’ambiance avait été pesante. Le soigneur s’ennuyait mais ne semblait pas supporter la conversation. Dès lors, ils avaient gardé le silence. Mais lorsqu’elle s’arrêtait cueillir quelques plantes, il ne cachait plus son agacement.
Alors elle avait attendu qu’il tourne la tête puis elle s’était cachée. Il l’a appelée, une fois. Et comme elle ne répondait pas, il n’a pas cherché plus longtemps et a rebroussé chemin.

Ça vaut mieux pour nous deux.

Puis ce fut mieux. Joy s’enfonçait dans un décor qu’elle connaissait bien et le calme qui y régnait l’apaisait. Elle se traînait entre les allées de fleurs plus hautes que des lampadaires et observait les quelques rongeurs qui venaient farfouiller parmi les racines.

La Stone aimait cet endroit mais ne s’y attardait pas que pour le plaisir des yeux. C’était ici qu’elle trouvait une bonne partie de ses plantes.
Un peu plus loin, elle pouvait voir les chapeaux des champignons se dresser comme des parasols. Cela méritait bien un petit détour.

Il était au pied de l’un d’eux et il tremblait. Joy s’arrêta, l’observant avec effarement.

— Hey … ?

Une très mauvaise idée. Elle savait que Mary n’aurait pas aimé la voir prendre ce genre de risques. Mais il y avait une créature sous le champignon, et elle tremblait. Avec ses grandes ailes qui lui couvrait le dos, ça ressemblait à un gros oiseau.

— T’es blessé ?

Ce genre de créatures n’était pas sensé traîner au sol.

La créature se figea, signe qu’elle l’avait entendue. Pourtant, il n’y eut pas de réponses. Joy vit la créature se déplier lentement, les ailes s’ouvrant pour révéler peu à peu une silhouette étonnamment humaine. L’oiseau se retourna et c’est un homme qui lui fit face.
Stone et Séraphin se détaillèrent en silence. Lui avec ravissement, elle avec effarement.

— Je vais bien, merci de t'en inquiéter.

Joy levait la main comme dans un vague y’a pas d’quoi quand il s’avança et la saisit pour y déposer un baiser. D’instinct, elle rangea l’autre, la mutilée, dans son dos.

— Je me nomme Hermès. se présentait la créature. Et quel est ton nom belle demoiselle ?

— … Ouais. Elle réalisa le sens de la question. Joy.

Comme toujours, dans les conversations, sa concentration se débinait. Elle reprit de son ton monotone :

— T’es sûr que ça va ? Parce queuh… T’es tombé de très haut, là… Non ?

Elle glissa un regard vers le ciel. Sacrée chute.

— Je suis le Séraphin, le ciel est ma demeure : je ne tombe jamais, Joy.

— Jamais ? s’étonna l’intéressée.

Il lui avait répondu comme si c’était l’évidence mais elle n’en croyait pas un mot. Elle hésitait à insister davantage. Tomber, ça pouvait être embarrassant pour un simple humain. Alors, pour un séraphin !

Une certitude pourtant la poussait à aller plus loin : il avait eu mal, il avait tremblé. L’inconnu avait beau faire le brave et ne pas être comme humain, elle n’imaginait pas un instant qu’il puisse être étranger à la douleur.

— Tu tremblais.

Elle ajouta, plus hésitante :

— Euh.. Je pourrais aller chercher un soigneur... Mes amis savent garder les secrets.

Sa réputation n’en serait donc pas entachée.

— Jamais, affirmait le Séraphin.

Ce qu’il pouvait être têtu. Joy gonflait ses joues, quelque peu froissée. Son opinion souvent décalée était toujours mise sur le compte de son état, mais tout de même ! Elle n’avait quand même pas rêvé, si ? C’est qu’il commençait à la faire douter…

— Je dois prendre un remède mais il est très douloureux, lui confia Hermès. Mais je vais bien maintenant... Du moins jusqu'à la prochaine fois où je devrais en reprendre.

A ces mots, Joy ouvrit de grands yeux. C’était donc ça. Son regard s’attendrit en croisant celui de la pauvre créature. Elle se mit à fouiller ses poches.

— Regarde ! s’écria l’adolescente en sortant ses herbes. Moi aussi j’ai un… remède à moi.

Il était comme elle, alors. Elle baissa les yeux, soudain honteuse.

— Désolée… Je t’ai interrompu en plein trip, en fait. C’est eum… privé ces trucs-là.

— Ne t'en fais pas Joy, tu n'as rien interrompu : j'avais fini, la rassérénait Hermès.

La main Joy se crispa un peu quand il vint y poser les siennes. Elle ne put s’empêcher de craindre qu’il ne lui pique ses herbes. Elle écarta pourtant cette crainte qu’elle jugea infondée.

— Que guérit ton remède ?

— Je… dirais pas que c’est un remède qui eum… guérit, répondit la mère en retirant sa main – on n’est jamais trop prudents.

Comment lui expliquer dans tes termes qu’il pourrait comprendre.

— Ça aide à… faire passer ?

Hermès ne lui répondit pas immédiatement, sa réponse semblait l’avoir laissé pensif. Elle l’observa tandis qu’il se penchait lentement comme pour la détailler, elle l’observa sans deviner la suite des événements.

— Ta main...

Un brusque sursaut lui secoua les épaules tandis qu’elle dissimulait sa main incomplète dans les replis dans sa jupe. Mais il était trop tard, il l’avait vue.

— C'est pour faire passer la douleur de ta main ? lui demande le Séraphin, tendant la sienna vers elle.

Joy recula d’un pas hesitant, manqua de trébucher sur une pierre. Equilibre retrouvé, elle se tendit de tout sa hauteur (bien inférieure à son interlocuteur pourtant) et répondit :

— Eum… Ouais… Entre autres.

Sa nervosité la rendait inhabituellement expressive et même… nerveuse. Cette conversation qui lui devenait agréable n’était plus qu’une situation extrêmement gênante dont elle devait se sortir au plus vite.

— C’est pas tout ça mais… j’ai des champignons sur le feu… Pas euh littéralement mais… Enfin, ils vont pas se cueillir tous seuls, hein ?

Elle eut un rire gêné avant de tourner les talons.
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