Susuarana s'aventurait rarement dans le bayou. L'endroit était réputé hostile, mystérieux et peuplé d'individus aux pouvoirs étranges... Mais surtout, humide.
Le petit artifice n'appréciait pas spécialement les marais, ni tout ce qui se rapportait un peu trop à l'eau. Une petite baignade de temps en temps ne le dérangeait guère, mais il avait eu sa dose, avec la pluie salée. Alors, l'on imagine aisément qu'une vaste étendue inondée à demi toxique... Cela lui donnait des maux de tête, rien que d'y songer.
Et c'était sans compter sur la quantité considérable de bêtes prêtes à faire de lui son casse-croûte. Les crocodiles, les serpents... Même certaines araignées venaient à s'en prendre aux mammifères. Assurément, Susuarana vivait dans une époque dangereuse. C'était à se demander ce que faisait la police.

Le fait est qu'il revenait de son expédition en compagnie de Psy et Héléna. Le petit artifice sortait donc du port et, comme chacun sait, le bayou se trouvait juste à côté. C'est en passant à proximité que Susuarana commença à ressentir une étrange curiosité pour cet endroit. Plus que cela, on pouvait même parler d'une attraction irrépressible... Un peu comme si une odeur délicieuse en émanait, au point de lui faire oublier tout le reste et de le décider à sauter le pas.

L'animal laissa donc sa réserve de côté pour s'engager à travers les arbres tordus et sombre du bayou, bien décidé à percer à jour ce mystère. Toujours équipé de ses vêtements d'hiver : un pagne et un gros col de fourrure, il sautillait de branche en branche. Son agilité lui permettait de franchir les étendues d'eau sans trop de difficulté.
Restaient encore les serpents et autres joyeusetés vivantes... Pour cela, Susuarana avait toujours son fidèle boomerang. D'un coup bien placé, il assommait toute bête un peu trop engageante à son endroit. Et quand la chose le toisait de loin, il le lançait habilement. L'ancienne mâchoire de dinosaure effectuait alors un tour gracieux dans les airs, percutait le crâne de l'impudent et s'en revenait bien en place, au creux de sa patte.

Ainsi, le Taquin progressait à vive allure. Il prenait à peine le temps de remarquer combien la forêt, si tant est que l'on puisse qualifier ainsi cet endroit, s'épaississait. Tout devenait sombre, tordu, étrange...

Après un temps qui lui sembla considérable, le petit artifice parvint finalement au pied d'un grand arbre. Ce dernier tranchait au milieu de tous les autres, de par sa taille et la forme singulière de son tronc. Qui plus est, il était éclairé de nombreuses bougies et la vie semblait y grouiller avec autant d'empressement qu'à l'intérieur d'une termitière.

« Ganaloo...

Commenta l'animal, après un long moment de contemplation émerveillée. La mystérieuse force l'attirait toujours, mais il n'osait pas vraiment aller plus avant. Il était très impressionné par le caractère imposant de l'endroit. Sans oublier le fait que, créature de magie qu'il était, l'énergie ambiante l'étourdissait à moitié.

C'est donc à pas de loup que Susuarana pénétra l'enceinte du grand arbre tordu... A l'intérieur, il découvrit diverses pièces de mobilier, des breloques, des babioles... Et courant sur tout cela, une nuée d'insectes et autres rampants grouillant jusque dans les plus infimes recoins.

Le petit animal s'empressa d'ailleurs d'aplatir un énorme scarabée vert bouteille qui lui courait sur le pied... Et de le gober sans préavis. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à remonter jusqu'à l'origine de cette mystérieuse attirance...

Paresse paresse.. Affalé au troisième "étage" de son arbre, le bras pendant mollement dans le vide, Janblan a les yeux clos et le cœur en broussaille. Une fois de plus il fait le mort, et une vie grouillante le recouvre. Pour peu, il se fondrait dans le décor. Les gens souvent prennent des airs horrifiés en le voyant ainsi. Les gens qui ne sont pas du Bayou, s'entend. Ça les révulse de voir tous ces insectes divers et variés qui occupent chaque recoin de son antre, et envahissent sans gêne sa peau diaphane. La Toile ne voit pas en quoi cela change quelque chose, qu'ils soient ici ou dans la nature. Ni en quoi un papillon ou une coccinelle serait plus acceptable à porter qu'un scolopendre ou des fourmis.

   Le temps passe, les bougies se consument, et la faim commence à se faire sentir. Au bout d'un moment, l'albinos se décide enfin à bouger. Il chasse négligemment une chenille qui se perdait vers son oreille et se redresse sans autre forme de procès. A ses pieds, la vie tombe en un amas indéchiffrable de pattes, de formes, et de couleurs. Qu'importe. Ils retrouveront toujours leur chemin jusqu'à lui s'ils y tiennent tant. Ses longues foulées tranquilles le mènent deux étages plus bas où il s'ébroue machinalement avant de s'arrêter devant sa "réserve" de nourriture. Du gumbo qui mijote depuis sans doute longtemps et dont on voit encore quelques morceaux non identifiables flotter, quelques fruits trop vieux pour la plupart des gens, et une pile de sauterelles grillées. C'est un de ses péchés mignons, et avec gourmandise Mardi en attrape une pincée pour les faire craquer sous la dent.

   Ce n'est qu'avec un léger temps de retard qu'il te remarque, et quand il se tourne vers toi c'est avec une ombre de sourire.

   - Bonjou bel estipid ! Bienvenue a l'Bwat Kontra !

   Imitant une révérence grossière, il use d'un serpent qui était tranquillement lové autour de son coup comme d'un couvre-chef pour te saluer avant de le replacer négligemment sur sa tête. Rendu un peu bougon par cette séance de balançoire non désirée, l'animal descend de ce haut perchoir et va bouder dignement un peu plus loin. Oh, il reviendra sans aucun doute. Ils reviennent tous. Le plus souvent en tout cas.

   - Je suis Janblan, ou Baron Mardi. Se tankou ou vle ! Comment tu t'appelles ?

   Du regard il te jauge un peu, t'admire en coin. Ta fourrure est belle, et il ne t'a pas encore croisé au Bayou. Tu tranches avec ce qu'on trouve dans le coin. Toi, tu es flamboyant et propre. Ca change.

   En fait, tu le rends curieux. Un peu.

Susu ana .. Hein ?

Il ne comprend pas ton langage, petit être, mais sourit tout de même. Quand tu t'approches plus prêt et parle à nouveau des mots de mystère, Mardi reconnait son nom. Reconnait Susu ana. La suite, il ne sait pas. Susu Ana, c'est toi ? Il sourit doucement, et hoche de la tête. Oui, blancs tous les deux. Pareil, un peu. Ce n'est pas si étonnant, au fond. Avec toutes ces bestioles qui inondent son espace, Janblan se sent une affinité avec ce qui grouille, pourquoi pas avec toi ?

- Susu Ana blanc aussi. Mais moi pas en pierre. Janblan juste blanc.

Le "poc" de ta patte en roc l'intrigue, mais il attend patiemment que tu termine ton inspection. Ca l'amuse, que tu le renifles comme ça, que tu ne te gênes pas. Les animaux ont cette fraîcheur là. D'ailleurs, il ne se gêne pas non plus pour te renifler quand tu te penches sur son cas. Heh, y a pas de raison ! Et puis toi aussi tu est intriguant, tu sais. Mardi ne s'en cache pas, d'ailleurs !

Quand tu reprends la parole, cette fois c'est un peu plus clair. Déformé, mais compréhensible. Presque. Tendant la main vers toi, il l'arrête à quelques centimètre de ton visage. Est-ce que tu l'autorises à te toucher ?

- Oui je vis ici, joli estipid. Tu aimes ?

Un léger rire de gorge roucoule discrètement, et il tend vers toi quelques sauterelles grillées. Pour l'exemple, il en prend une et la croque goulûment. Jamais il ne s'en lasse ! Avec un soupire, Mardi souffle pour chasser une mouche qui lui chatouille le poignet. Puis à nouveau, son attention se braque sur toi.

- Susu Ana, c'est une gentille visite. Pourquoi venir ici ?

Pas qu'il te chasse ! A vrai dire il se doute un peu déjà que tu es venu par instinct, comme beaucoup d'autres. Mais qui sait, peut-être y a-t-il une autre raison ?

Besoin de faire un marché mon mignon ?

Contact. Tu avais le choix de le laisser effleurer ton pelage, mais devance même sa question en frottant ta tête à sa paume avec un gros ronronnement. Le message ne peut être plus clair. Avec un demi sourire, Janblan s'exécute et joue de ta fourrure entre ses doigts, joue des reliefs exotiques de ton crâne et de tes oreilles. C'est pelucheux et chaud, tout à fait délicieux. Le baron y joint même la seconde main pour grattouiller la seconde oreille. Ronronneras-tu plus fort ? Ou moins ? C'est agréable pour lui de changer un pue, d'avoir un nouveau compagnon qui sort de l'ordinaire. C'est que bien souvent, il a des insectes, des serpents, parfois des rats ou d'autres petits animaux. Mais d'aussi flamboyant que toi, non. Certainement pas.

Toi tu te gaves, et ça le fait presque rire tout bas. Sers-toi donc, ami. Sers-toi et baffre-toi, elles sont là pour ça. Il hoche doucement de la tête à ta réplique suivante sans trop savoir quoi ajouter. En fait, il n'est pas sûr de saisir le sens de tes mots, c'est un peu confus encore. Il se tait, t'observe, t'écoute, et joue avec ton pelage. Nul besoin de babil, tu en as pour deux ! Soudain tu dégaine un boomerang, le lance et ta voix résonne encore. Bon publique, Janblan t'observe faire, admire la courbe. Jamais encore il n'a vu de boomerang comme ça, peut-être même de boomerang tout court. C'est un étrange instrument qui semble avoir sa propre trajectoire, et il se demande un instant s'il a sa volonté propre, imprégné de magie qu'il pourrait être. Il ne lui semble rien sentir, pourtant. Mais qui est-il pour juger ?

Ce n'est qu'après ton petit numéro qu'il comprend ce que tu attends de lui. It's show time! Mais quoi faire ? Mardi n'a pas envie de te blesser, non. Mais te faire goûter de son art le tente assez. Te montrer ses amis sera sans doute suffisant, inutile d'aller jusqu'aux vévés.

- C'est joli, ce que tu fais Susu Ana. Mon art est plus de couleurs que physique comme le tien.

Un léger, léger rire, et il fredonne une chanson pour amuser les loas et les faire venir à lui. Petit petit, amis chers amis. Venez donc lui rendre visite, Mardi vous appelle.

Ca commence tout doux, sans un bruit. Il a les yeux clos, mais il le sens. Les Loas ont de nombreux noms, bien souvent. Lui leur donne les siens, des noms attribué à force de les sentir meubler sa peau. Certains lui donnent chaud, froids, le chatouillent. Les plus mauvais le grattent, le brûlent, le blessent. Mais ceux-là il ne les aime pas vraiment. Ils sont trop gourmands, trop impérieux. Ibo Lele, par exemple.

Le premier à venir rampe le long de la colonne, la remonte et finit par s'enrouler autour de sa gorge puis danser sur son torse. Scolopendre aux mille couleurs. Un autre s'arrime à lui et prend forme sur son visage, colorant au passage son œil gris d'un ambre marqué puis de turquoise alors qu'il les ouvre pour regarder ta réaction. Avec un sourire, il se rapproche de toi alors que d'autres couleurs et motifs se mêlent aux formes d'animaux et symboles qui courent sur sa peau. Là où les loas dansent, les insectes et animaux rels partent. Il ne fait pas bon être sur le passage de ces esprits là, après tout.

Usant de son bras comme d'une toile, Janblan sifflote un air et dessine un vévé en usant de l'outremer chatoyant d'un loa, puis y mêle le vert tendre d'un autre avant qu'il ne s'éloigne trop. Il n'avait pas prévu de te peindre quelque chose, pas vraiment. Ce vévé là ne te touchera qu'à peine. N'est-ce pas ? Oui sans doute.. Sans doute. Un clin d'oeil de Mardi, et d'un geste sûr il te l'envoie. Le vévé descend de son bras, de son corps, et remonte vers toi.

- Gentil vévé. Moi c'est la couleur, joli estipid. Goûte la couleur, tu vas aimer.

C'est un gentil vévé, oui. Un qui te fera mieux ressentir et sentir sous tes pattes. Oh, elles feront encore "toc" quand tu les poseras. Mais pourtant, tu n'auras plus l'impression qu'elles sont de pierre. Janblan ne sait pas encore si tu aimeras ou pas, mais il a décidé de tenter ce cadeau. Certains diraient que c'est cruel, sans doute. Mais pour le Baron, ce mot n'a que peu de sens. Comment dire, comment juger au fond ? C'est un gentil vévé oui. Un qui lui permettra de garder un oeil sur toi, de te sentir en périphérie de ses sens si tu es non loin. Mais uniquement s'il te le laisse, oui.

Alors, Susu Ana. Tu aimes lamaji ?

Ce vévé n'est pas le plus puissant ni le plus complexe qu'il ai fait non. Après tout, Janblan n'a pris la peine de travailler que sur un de tes sens sur un détail précis : ta patte. Le bruit que celle-ci fait et son apparence n'ont pas changé. Le toucher seul est altéré. En te voyant découvrir sa magie, Mardi ne peut s'empêcher de penser à Panzou, son cher Panzou. Cette magie-là avait été plus complexe a réaliser. Il était plus jeune, certes. Moins expérimenté. Mais altérer les 5 sens pour que son frère ne puisse pas découvrir la moindre ouverture vers l'extérieur n'avait pas été une mince affaire.

La Toile se demandait ce que tu penserais de ses couleurs, et ton expressivité est des plus pratiques. Il sourit un peu, en observant tour à tour ta nervosité, la surprise, le ravissement. Tu aimes, alors ? Les loas dansent encore un peu sur la peau blafarde et finalement disparaissent, comme un rêve qui s'évapore. On ne sait pas quand ils sont partis, non. Il y a juste Janblan, soudainement. Un léger rire à tes exclamations, et la main d'ivoire vient caresser ta fourrure enflammée. Ton discours n'est pas toujours évident à saisir, mais au moins Mardi comprend-il ta dernière phrase. Une fois encore il a un petit rire de gorge silencieux et gratte derrière tes oreilles de plus belle.

- Je n'ai besoin de rien, Susu Ana. Mais je suis content que mon cadeau te plaise.

Ses yeux rient presque, et il approche son visage du tien. Vous êtes si différents d'apparence malgré l'ivoire qui vous unit.

- Pòt mwen se pou ou ouvri, et le Bwat Kontra il t'accueille si un jour tu as besoin. Mwen ta kontan si ou vizite.

Il n'y a jamais assez d'animaux autour de lui, non. Mardi t'aime bien, Susu Ana. Il ne sait pas encore ce qu'il veut faire de toi, un ami, un familier ou autre chose. Alors en attendant il te sourit et ronronne pour toi, il te gâte avec une sincérité qui n'est pas feinte. Il aime les animaux, oui, ça n'a jamais été un secret.

- Je serais content de pouvoir dire que Susu Ana est mon ami.

Et puis, il avise tes colliers et trésors pendus au cou. Des objets inconnus. Des trophées, vraiment. Et Mardi se demande comment tu les as eu. Mais peut-être que ça c'est une aide que tu pourrais lui apporter. Un service rendu. Un sourire fend ses lèvres, doucement. Inclinant son visage, la Toile t'enveloppe de son regard.

- Si un jour j'ai besoin de quelque chose, d'un objet. Est-ce que tu m'aideras ? Je te donnerais des cadeaux en échange de ce que tu m'apportes.

Il saura comment t'appeler. Après tout, tu portes sa marque, désormais.

Il sourit en coin, Janblan, en te voyant tout sucre tout miel. Pour un peu il s'attendrait presque à ce que tu ronronnes. Joli pelage de feu, oui. Jolie frimousse qu'il est content d'avoir apprivoisé. D'avoir laissé sa marque sur toi le satisfait aussi. Qui sait, ce sera peut-être utile en temps et en heure. Que ce soit pour t'inviter de grignoter des suaterelles grillées, ou te demander une faveur. Que tu sois prêt à l'aider, ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Et Mardi sait se rappeler de ces choses là.

Il a un léger rire de gorge, d'ailleurs, quand tu lui demandes s'il a besoin de quelque chose. Quelques gratouilles en plus, et le Baron jongle avec l'idée de te prendre contre lui. Ton pelage est décidément fascinant, et très différent de ce qu'il peut voir au Bayou. Il y a même un effet relaxant, à le caresser paresseusement comme Mardi le fait là. D'un mouvement lent de la tête, le guédé te répond à la négative. Non, il n'a besoin de rien pour l'instant. Mais merci bien.

Tu enchaines sur tes trésors, et là Janblan t'offre toute son attention. C'est que ça l'intrigue, ces choses là qui ne ressemblent pas à quoi que ce soit qu'il connaisse. Du bout des doigts, il les effleure respectueusements. Ces choses là sont de vraies reliques, il le sent. Non pas qu'il sache exactement comment tu les as obtenu ni si tu pourrais en avoir d'autres. D'ailleurs, qu'en ferait-il ? Malgré tout, la Toile sait voir le côté précieux que cela peut avoir, de tels vestiges d'un autre monde.

- Parle moi du Rial World, Susu Ana. Qu'est-ce qui brulait, heh ? Et gris, sans rien de couleur à part les objets ?

Les couleurs, c'est important pour lui. Tu t'en doutes. Alors un monde en cinquante nuances de gris.. Cela lui semble si étrange, si exotique qu'il lui faut plus de détails.

De gratouille en caresse, Mardi s'amuse de ton pelage et de ton petit corps si vif. Plus tard, peut-être, cedera a la tentation de te porter.