Avec le temps, Meteor a apprivoisé sa peur de la Machine. C'est comme ça qu'il fonctionne, Meteor, il ignore la peur, il fait comme si elle était presque rien. Ça marche toujours. Il se dit pas que ça s'appelle le déni, il se dit que c'est différent. Puisque le déni, c'est plutôt un truc d'adulte, pas vrai ?

La Machine vomit toujours plein de trucs. Des morceaux de métal, de bois, de plastique parfois, et même des objets carrément. Meteor attend qu'elle chie tout ça et fait le tri. Quand elle dort, il s'approche et met ses trouvailles dans son grand sac.
Aujourd'hui, il a trouvé deux machins pour Cyber, rien pour lui. Ça le frustre, du coup ça l'irrite, du coup ça le tend. Alors il est déjà tendu quand elle arrive.

Il l'entend arriver, et c'est presque un miracle puisque, déjà à l'époque, elle glissait plus qu'elle marchait. Pendant tout ce temps, tout ce temps d'absence, Meteor l'entendait aussi. Sauf que c'était jamais vrai.
Alors il est là, tendu, au milieu d'un petit champ de débris métalliques, et elle continue d'avancer. La Machine ronfle à quelques dizaines de mètres, au milieu des arbres. Il est accroupi et ses cheveux blancs jurent avec le gris et le vert. Il porte un jean troué et un t-shirt de base-ball. Virgule est à côté. Elle l'a entendu, elle aussi.

Quand Elle arrive, Virgule redresse ses oreilles, puis tout son corps, et se précipite en jappant. Meteor a compris, il est dos à elle et il ferme les yeux. Son coeur se crispe comme si une main de pierre le pressait.
Alors sans se retourner, sans bouger, il dit d'une voix toute basse :

— Qu'est-ce que tu veux...

C'est une voix qui fait penser aux grondements qui annoncent l'orage.

☆

Elle sent l'orage Moon ?
Est-ce qu'elle voit comme ses épaules tremblent ? Comme tout son corps s'est tendu, d'un coup ? Comme il n'est plus qu'une boule de nerf, de rage ?

Tu m'as manqué.

Il fait tout pour garder son calme. Pas juste pour garder son calme, non, mais parce qu'il veut lui montrer qu'il s'en fiche, qu'il n'a pas mal, et surtout il veut se le montrer à lui.
Et ça marche pas. Il est pas bon à ça, Meteor. Il s'appelle Meteor, hein.

Alors Meteor se retourne et se relève en même temps, et balance l'espèce de télescope qu'il tient dans la main. Contre le champ de métal, ça fait un bruit d'enfer.

— "TU M'AS MANQUÉ !!"

Des éclairs bleus crépitent sur son crâne brusquement hérissé. C'est un peu impressionnant aujourd'hui.
Virgule se met à aboyer.

Il plaque ses paumes contre sa tête, une grimace crispe sa bouche.

— Merde...

Les éclairs se calment.
Pas l'orage.

— Pourquoi tu es revenue ??

Des larmes roulent sur ses joues, mais son visage n'est encore que rage, orage.

— A quoi ça sert ! Tu vas repartir, de toutes façons !! ET JE M'EN FOUS ! J'm'en fous...

Il shoote dans un cube de métal troué.
Virgule aboie encore. Elle reste à côté de Moon. Presque collée à ses jambes toute frêles.
Meteor fait tout ce qu'il peut pour pas pleurer.
Mais il s'appelle Meteor, hein.

☆

Meteor s'attendait pas à la colère de Moon.
La sienne brûle ses os et embrase son crâne, mais il la muselle encore. Ses yeux dépareillés fixent le visage contractée de la Revenante, mouillés, interdits. Peut-être un peu déboussolés. Peut-être qu'il a rien compris.

Le silence s'étend, s'étire, même Virgule ose plus bouger. Quand Virgule pleure pour de vrai, ça fait un son très léger, étouffé, qu'on entend presque pas. Peut-être qu'elle fait ça, et que Meteor entend pas à cause du bourdonnement dans ses oreilles.

— Je t'ai cherché.

Sa voix est toute cassée, elle se brise à chaque mot. Il s'attendait pas à ça non plus.
Il a comme plus de force.

— J'ai pas compris...

Il pleure pour de bon, ses larmes s'arrêtent pas, ses traits sont déformés par la peine.

— Je suis allé dans... dans l'espace.

La fin du mot se casse en mille morceaux.
Et puis d'un seul coup ça explose, ça vient de nulle part, c'est une météorite de violence et d'injustice.

— J'TE DÉTESTE SELENE ! JE TE DÉTESTE !!! T'aurais du... T'aurais du rester là-bas !!!! AAAH !

Des oiseaux quittent les arbres et gagnent le ciel.

☆

C'est comme le choc des titans, sauf qu'ils sont pas grands. Sauf qu'ils sont des enfants.
Leur colère est plus grosse qu'eux, leur douleur bien plus encore, ça les dépasse, l'un comme l'autre. L'orgueil les empêche peut-être encore de voir qu'ils ne se sortiront pas de là, que la peine les fera exploser encore et encore, l'un sur l'autre, et que c'est bête. C'est super bête.
Meteor est trop bête, là.

Heureusement, il arrive encore à écouter, les mots de Moon traversent avec effort le bourdonnement et accèdent à sa conscience. Une crevasse. Quelle crevasse.

— J'aurais préféré mille fois être avec toi.

Non. Non, non !!
Pourquoi tu fais ça ??
Meteor t'en veut, s'en veut, tu l'as pris en traitre, et il est trop con pour recevoir ça avec douceur. Il se débat dans son remord confus, ça doit se voir un peu sur son visage, mais son corps est toujours raide, figé.
Peut-être que c'était plus facile de gueuler. C'est toujours plus facile d'être en colère. D'en vouloir, de rejeter, de culpabiliser, c'est tellement facile.

Il passe sa main dans ses cheveux, ça l'électrocute un petit peu, il dit rien.
Il dit rien pendant longtemps.
Il n'est plus capable de former la moindre pensée, de la formuler encore moins. Il n'est plus qu'un noeud de sentiments et de réflexions qui se rentrent dedans.

— Ils t'ont appelé comment, les Hurons ?

Une biche curieuse est venue les regarder, entre deux arbres.

☆

Meteor regarde Virgule, qui lèche les mains de Moon, qui se réjouit que l'orage soit passé, parce que Virgule n'a pas d'orgueil, Virgule n'a pas de rancoeur, pas vraiment, et que tout est plus simple pour elle. Virgule est plus maline qu'eux. Surtout plus maline que lui.

Moon est tellement petite, quand elle est assise. Tellement petite tout court.
Le paysage métallique, brut, qui l'entoure, l'insupporte tout à coup. Il aimerait que tout disparaisse.

Il y a un long silence après.
Meteor s'accroupit aussi, en face de Moon, mais plusieurs mètres les séparent encore. Virgule le regarde, et regarde Moon, et le regarde. Elle comprend pas Virgule, évidemment, et Meteor a presque honte.

— Tamia Stellaire. il répète, et un sourire écorche sa lèvre.

Il ramasse une sorte d'antenne et ses doigts jouent avec machinalement. Il la regarde pas trop longtemps, surtout dans les yeux.

— C'est plutôt classe.

Il s'asseoit par terre, repousse du pied des débris gris, ça l'opresse.

— J'ai cru qu'on t'avait enlevé. Ou que t'avais voulu mourir. Y en a qui disaient ça, que tu étais partie mourir.

Il déglutit. Il sait pas s'il va réussir à dire la suite.

— Peut-être que ça aurait pas été si dur si...

Sa gorge le brûle.

— Si c'était pas la deuxième fois.

Y a même pas vraiment de colère, là.
C'était même plutôt faible.
Il se sent tout dépouillé.

☆