D'abord, c'est l'odeur. Une odeur âcre, envahissante, qui déboule sans crier gare et s'installe sans demander. Une odeur de cigarette. Des Perdus qui clopent, y en a un paquet, alors bon ça veut trop rien dire. Mais là pour le coup c'est Smoke.

Il émerge de son propre nuage sans rien dire lui non plus. Il fait un peu sombre, alors c'est vaguement malaisant, cette manière qu'il a de se fondre dans la fumée qui lui donne son nom. Il est maigre, mais comme flouté par des vêtements subtilement trop grands. Il bouge avec une souplesse nonchalante qui accompagne les volutes dans l'air. Il est noir, blanc, gris. Yeux noirs, peau blanche, cheveux qui hésitent entre le noir et le gris. Les fringues, pas mieux.

Et puis il est là. Il écoute l'air de s'en foutre, jusqu'au moment où il balance une réponse sortie de nulle part. Sauf que même quand il cause, il a l'air de s'en foutre. Même quand il rit, de sa voix un peu rauque, un peu cassée, il a l'air de s'en foutre. Et pourtant, il se marre, Smoke, souvent, presque autant qu'il fume en fait. Mais jamais le sourire n'atteint ses yeux éteints.

C'est pas un mauvais bougre. Il est pas méchant. Mais il est pas gentil non plus. Il fait ce qu'on lui demande, et ça va pas plus loin. Il est là. Il regarde. Il commente. Il rigole, et il fume, il fume, il fume. Il attend.

Y'a des gens qui l'aiment bien. Il a la répartie facile, et puis il est pas chiant. Y'a des gens qui l'aiment moins. Il fait même pas l'effort de faire semblant de s'intéresser. Mais que les gens l'aiment ou le détestent, il réagit pareil. Il est là. Il se marre. Il fume, il fume, il fume.

On se demande un peu ce qu'il fout là, en fait. Qu'est-ce qu'il attend ? Qu'est-ce qui l'a amené sur l'île ? Mais personne sait, peut-être même pas (plus) lui. Il a pas l'air de vouloir quoi que ce soit. Il a l'air d'avoir renoncé à tout. Sauf, bien sûr, à son éternelle cigarette.

Il est, et c'est déjà pas mal. Il est là. Il se marre. Et il fume, il fume, il fume.

+ Arrivé en 2007. Parlait déjà anglais, avec un accent perdu depuis.
+ Habile de ses mains, il a fait un Raccommodeur efficace pendant quelques temps… puis les plaintes sur l'odeur de clope imbibant les vêtements se sont faites un peu trop nombreuses.
+ Le seul moment où il éteint sa clope, c'est quand il a les deux mains prises par son travail.
+ AAA. Aromantique, Asexuel, Agenre. Il utilise les pronoms masculins parce qu'il ne voit pas l'intérêt de faire des efforts pour ça, comme pour tout le reste.
+ Sa cigarette est éternelle. Elle a été enchantée par une fée des champs excédée que Smoke traverse en permanence ses cultures pour aller chercher du tabac.
+ Il ne recherche même pas particulièrement les effets de la nicotine. C'est juste une habitude, quelque chose qui fait partie de lui.

Neverland, franchement, il s'en fout. Comme du reste. Même si, quelque part, il a l'impression de comprendre un peu l'île. Elle est comme lui : au fond, derrière ses sursauts de vie apparente, elle reste toujours pareille, inchangée, et indifférente.

Sa vie d'avant, il l'a oubliée. Et il s'en fout.

Peter Pan, c'est le chef, alors il obéit. Mais qu'il choisisse de faire ami-ami avec les trois quarts de l'île ou de lancer un bain de sang du jour au lendemain, Smoke, il s'en fout. Il sait que de toute façon, ça changera rien.

Hook, c'est l'ennemi. S'il le croise, peut-être fera-t-il l'effort de s'enfuir. Ou peut-être pas.

Ce soir-là, il y avait une fête. Peter Pan avait décidé d'entrer en guerre avec les Piccaninny, alors on fêtait ça avant la bataille prévue pour le lendemain. Autour des feux de joie, les enfants riaient, chantaient, dansaient, hurlaient.

Smoke était assis dans un coin, un peu dans la pénombre, son regard indifférent posé sur l'allégresse ambiante. La lumière rouge-orangée des flammes essayait tant bien que mal de le colorer un peu, mais le résultat n'était pas très convaincant. La fumée de sa cigarette montait paresseusement au-dessus de lui. Comme d'habitude, il avait l'air de s'en foutre.

– Smoooooke, allez quoi, viens t'amuser un peu ! C'est la fête !

Il tourna la tête vers le gamin qui l'interpelait. Light, qu'il s'appelait. Il devait bien l'aimer, puisqu'il était souvent à essayer de l'intégrer.

– Arrête de tirer la gueule, insistait Light.

Smoke rit, faisant trembloter la fumée autour de lui.

– Voyons, tu sais bien que jamais je ne ferais ça… dit-il avec un sourire vide.

Light haussa les épaules et tourna les talons. Derrière Smoke, des voix qu'il ne chercha même pas à identifier commentaient qu'il cassait l'ambiance. Qu'il pourrait faire un effort. Que franchement, c'était criminel de pas s'amuser un peu alors que tout le monde s'éclatait.

+

Ce soir-là, il y avait un enterrement. La bataille contre les indiens ne s'était pas si bien passée. Bien sûr Peter avait gagné, comme toujours, mais il avait un peu gagné tout seul. Les Garçons Perdus, eux, avaient perdu. Les Soigneurs étaient débordés, et le bilan des morts provisoire. Peter Pan avait décidé que finalement, un enterrement c'était aussi un bon jeu, et il montrait l'exemple avec une solennelle tristesse de circonstance.

Assis dans un coin, Smoke regardait les enfants mettre les cadavres en terre au travers son perpétuel écran de fumée. Il en connaissait, parmi les cadavres. Mais là où les autres enfants déployaient des trésors de grimaces de douleur (peut-être même que certains profitaient du jeu pour pouvoir être sincères, allez savoir), lui n'affichait aucune émotion. Même si, quelque part, ça allait lui faire bizarre que Light ne soit plus là à le harceler. Mais bon. Ce n'était pas comme s'il s'était attaché.

Derrière Smoke, des voix qu'il ne chercha même pas à identifier commentaient qu'il cassait l'ambiance. Qu'il pourrait faire un effort. Que franchement, c'était criminel de pas être triste un peu alors que tout le monde pleurait.