Peter était empreint de ces petites manies qui rappelaient qu'il était, tout de même, un petit garçon. Par exemple, il cachait les choses qu'il ne souhaitait pas être vues sous son grand lit. C'était idiot pourtant, personne ne venait sans sa permission. Personne n'oserait. Mais Peter Pan n'était plus sûr de rien, plus sûr de personne, il cachait jusqu'à lui-même.
Et aujourd'hui, après avoir passé la journée assis sur ses couvertures, fixant un vide qui semblait l'engloutir, il finit par se relever, se mettre à genoux, et extraire de son "sous le lit" un petit coffret noir et luisant. C'était, d'ailleurs, un très joli objet, incrusté de petites parures et habillé de peintures délicates. Il avait été conçu par les fées. Peter ne l'a jamais utilisé jusque là. Jusqu'à la mort de la démone Shifty.
Peter a trouvé la force d'imaginer son propre récit. Sa propre version. Bientôt, il la raconterait tant et tant que les enfants finiraient par y croire. Que la légende prendrait le pas sur la vérité, comme toujours, toujours ici.
C'est la Démone qui a abattu le malheur bleu sur l'île de Jamais. C'est elle qui maltraite le ciel. Mais que personne ne s'inquiète. Peter s'est vengé. Peter l'a térassé.
Son esprit a déjà transformé l'apparence de Shifty, comme lorsqu'il était venu à elle. C'était bien cela, d'ailleurs, qui l'avait tué. De se voir monstre. De se voir inhumaine. Elle en était morte. Et il avait attendu qu'elle le soit tout à fait. C'était long, trois jours.
Peter fixe longtemps le coffret. On dirait qu'il hésite à l'ouvrir. Il ne le fait pas.
Un trait de lumière zèbre la pièce et s'approche à quelques centimètres de son visage. C'est Tinkerbell, qui n'ose pas trop l'approcher en ce moment. Ça lui a redroidi les ailes de voir son petit roi caresser les cheveux d'une femme presque aussi bleue que lui, mais d'un bleu de non-vie. Ça a refroidi tout le monde. Mais cela, Peter Pan s'en fiche. Lui-même est déjà si froid, maintenant.
—
Je dois faire quelque chose, Tink. Ne viens pas avec moi. Son ton n'est pas si sévère, mais il n'est pas doux non plus. C'est un ton neutre, débranché. C'est le ton qu'il prend sans arrêt à présent. Tink regrette ses éclats de colère et de joie.
Elle s'asseoit au sommet d'une chandelle et le regarde partir, vêtu d'une cape rouge, épaisse, puisqu'il a froid, tellement froid.
*
Peter tient le coffret contre son coeur. Il parvient à voler, ce soir. Son Ombre l'accompagne, car sa présence le rassure. En fait, il semble même qu'il ne peut pas se passer d'elle.
Il rase la cime des arbres sur laquelle rebondit le chant du vent. Un chant triste. Les fumerolles pullulent sur son passage, car sa force est toujours là, vibrante, pulsante, bien qu'enmurée de glace.
Bientôt, il distingue le bateau. Il se découpe dans la nuit presque noire, parce qu'il est encore plus noir. Le navire est un peu balloté, mais pas trop. Pas trop encore. Peter accélère. Son visage s'est durci. Le vent souffle plus fort.
*
Peter connait la fenêtre qui donne sur les appartements de Hook. Quand il était encore gai, il venait y jouer de la flûte pour l'irriter. Il laisse son Ombre l'ouvrir. Il n'est pas là pour rigoler. Il n'est pas là pour narguer, même pas pour pavaner. C'est sérieux, c'est plus grave que jamais.
Son coeur tape contre le coffret qui l'étouffe, toujours serré.
Il pénètre dans la cabine, posant délicatement ses pieds nus contre le parquet. Hook est à son bureau, debout, penché sur une carte. Il n'a pas entendu son ennemi violer son seul foyer. Mais il le sent. A présent, il le sent.
Le Capitaine, dont les yeux pâles, si proches de ceux de Peter maintenant, luisent dans la pénombre trouée de quelques bougies, relève brusquement la tête dans sa direction. Son visage se décompose et on devine l'horreur qui est la sienne. Peter, lui, n'exprime rien. Rien du tout.
Soutenant le regard du pirate, il ouvre le coffret, qu'il laisse tomber à terre. En revanche, son contenu est tenaillé entre ses doigts. C'est un coeur. Un coeur tout rouge encore, on pourrait presque le voir battre. L'Enfant Roi l'exhibe aux yeux de Hook et il voudrait que son allure soit fière, mais bientôt, l'impassibilité de son visage se crispe, tremble, et ses yeux s'embuent.
Il dit d'une voix qui suinte la haine et la douleur :
—
Je l'ai tué. J'ai tué Shifty. Je suis le plus fort. Ses mots sont dépouillés de panache, et, plus grave encore, on dirait, de conviction.
Je l'ai tué de mes mains. Personne ne peut me faire tomber. Personne ne peut me faire pleurer. Je vous tuerai tous. Un vacarme éclate au loin. C'est l'orage qui approche. La navire est un peu remué, et l'on entend le son de la pluie qui s'abat, en crescendo.
Une larme s'écoule de l'oeil furieux de Peter Pan. Elle s'écrase sur le sol de la cabine, qui l'absorbe sans la faire disparaitre. Peter Pan lâche le coeur qui s'écrase à son tour, et dont l'empreinte sanglante incruste ses petites mains. Son regard de haine, si semblable à ceux de Hook qu'on les confondrait, fixe Hook encore un instant.
Puis il disparait par la fenêtre, s'envolant d'un bond plus rapide qu'un coup de tonnerre. Laissant quelques feuilles bleu et argent sur son passage.