Mains dans les poches, le jeune écossais se promenait dans la jungle sans se soucier de la pluie qui venait humidifier ses cheveux ni de la boue qui tâchait ses souliers et le bas de son pantalon ; c'est que cela faisait du bien de prendre un peu l'air loin de cabanes ! Et puis plic, ploc, il n'y avait pas que de l'eau qui tombait par terre, mais aussi des gouttes de sang qui s'échappaient d'une vilaine plaie sur le bras du diplomate. Aie ! Ahah, non, bien sûr, il n'avait pas eu mal, mais il était tombé malgré tout à cause d'une racine glissante, et s'était bien éraflé le bras comme il faut. Cela saignait moins que ses habituelles blessures - celles qu'il s'affligeait lui-même - mais ce n'était pas beau à voir non plus. Enfin ! Ce n'était pas comme si cela allait déranger. Il ne se tint même pas le bras pour tenter de faire passer la douleur - vu qu'il ne la ressentait pas - et continua sa route à travers les fourrés de l'île. Il y avait bien pire dans la vie que des petits bobos comme cela ! Il s'en remettrait sans soucis en passant à l'infirmerie ce soir, ou bien en allant voir Cilla. Un bisou magique et ça repart !

La tête pleine de rêves éveillés, il s'imagina alors tomber face à face avec une créature extraordinaire - une Comète ou bien un Chenapan ! - avec qui il pourrait lier une amitié sans nom et qu'il pourrait ensuite présenter lors de ses spectacles ! Mais non, le Trouble-Vue tomba sous une toute autre sorte de créature.

« Salut Augur, lui lança la jeune fille. »

Interloqué, le voyant cligna des yeux un nombre incalculable de fois. Qui était cette demoiselle ? Comment connaissait-elle son nom ? D'où venait-elle ? Que faisait-elle ici ? Tant de questions qui traversèrent l'esprit vif du garçon perdu qui avait fini par arrêter sa route pour fixer son interlocutrice de ses yeux aussi ronds que des billes.

« Comment connais-tu mon nom ? S'interrogea-t-il tout en penchant quelque peu la tête de côté et en réalisant alors. Est-ce que tu es une sorte de magicienne toi aussi ? »

Il n'y avait pas d'autre solution !

Un autre garçon perdu que le Trouble-Vue se serait sans doute inquiété de voir ainsi une jeune fille - une adulte ? - connaître son nom et lui parler comme à un vieil ami ; mais Augur n'était pas n'importe quel garçon perdu. Lui, il se fichait pas mal des guerres entre les peuples et des rivalités en tout genre, il ne se rendait pas encore vraiment compte que des gens mourraient, il n'était pas là depuis assez longtemps et.. quand bien même il s'en rendrait compte, sans doute ferait-il en sorte de ne pas le voir. C'est ça qui est pratique, lorsqu'on est un magicien comme lui : on peut voir beaucoup de choses, mais on est pas obligé de toutes les voir pour autant. On en a la possibilité, le droit - vraiment ? - mais pas l'obligation. Toutefois, si le diplomate ne fut pas inquiété par la situation, il en vint malgré tout à se poser tout un tas de questions, et de faire marcher sa terrible curiosité. Maintenant, il avait envie d'en apprendre plus sur cette étrangère bergère.

Les yeux toujours bien ronds, l'écossais regarda son interlocutrice d'un drôle d'air lorsque cette dernière lui confia qu'il était le plus mémorable de tous les diplomates ; et, d'une certaine manière, cela le fit gonfler de fierté. Un sourire vint même étirer ses lèvres, et il hocha très légèrement la tête, comme pour remercier la rouquine de son compliment. En était-ce un ? Pas forcément, mais pour lui, c'en était un.

« Et donc que fais tu ici Augur, à trainer dans la jungle ? Reprit finalement la jeune fille. Tu n'as donc pas peur de tomber sur une bête, ou pire ? »

Lui ? Craindre de se faire dévorer ? C'était vraiment mal le connaître. Augur ne craignait rien sur cette île, ni même dans le monde ordinaire ! Il était un magicien des mots et un voyant hors normes, il n'avait aucune raison d'avoir peur de quoi que ce soit. Au contraire, c'était aux gens de le craindre et de l'admirer !

« Voyons ! S'était-il exclamé d'un ton un brin trop dramatique. Si tu me connais aussi bien que tu sembles le prétendre, ben tu saurais que je ne crains rien ! Les bêtes sauvages ne me font pas peur, tout comme les horreurs et les pirates. Ma magie est plus forte que la peur. »

Pour conclure ces paroles, le jeune garçon posa ses mains sur ses hanches tout en affichant un brillant sourire. Est-ce qu'il tentait d'impressionner son interlocutrice parce qu'elle était drôlement mignonne ? Sans doute un petit peu, oui. A moins qu'il ne réagisse tout simplement comme il le faisait tous les jours avec tout le monde. C'était fort probable également. Sauf que. Attendez, est-ce qu'il avait bien vu ?

« Ton mouton a mangé un arc-en-ciel ? »

C'était une question très importante.

Un mouton né arc-en-ciel, en voilà une drôle de créature ! Décidément, le pays de jamais était rempli d'un tas d'animaux étranges et magnifiques, comme dans un rêve éveillé. Il était sans doute atypique pour son espèce, un peu comme Augur l'était pour les êtres humains. L'un était paré de mille couleurs, l'autre ne ressentait pas la douleur ; mais les deux étaient gentils.. enfin, d'une certaine manière. Le diplomate n'était pas forcément le plus sympathique de tous ses pairs, lorsqu'on songeait au fait qu'il demandait parfois à certains garçons perdus d'en bousculer d'autres pour réaliser ses prémonitions. Enfin ! Ça, c'était une toute autre histoire, et un autre acte de la grande pièce qui se jouait actuellement. En ce moment même, il n'y avait que trois personnages : Augur, cette drôle de jeune fille, et le mouton de la gay pride. Mieux valait se concentrer là-dessus pour le moment, avant de finir par être attiré par quelque chose d'autre.

Le regard brillant, le Trouble-Vue avait alors écouté son interlocutrice parler de la créature d'une oreille attentive ; même si, au fond, il ne désirait que de s'approcher et de passer ses doigts dans sa fourrure de barba-papa. Et ça, la demoiselle sembla le sentir.

« Il ne mord pas. Tu peux t'approcher pour le caresser si tu veux. »

Curieux, le magicien des mots ne tarda pas à s'approcher ; dansant presque d'un pied à l'autre pour venir s'accroupir devant l'animal arc-en-ciel. Doucement, il vint alors tendre ses mains devant le museau du mouton, avant de finalement les glisser sur sa tête pour la caresser. C'était un peu comme câliner un nuage, en mille fois plus coloré.

« C'est vraiment un bel animal, fit-il en souriant et en reportant son attention vers la jeune fille. Ça convient bien à une magicienne comme toi ! Tout sorcier a besoin d'un familier - il faudrait que je m'en trouve aussi un d'ailleurs. »

Peut-être qu'elle n'en était pas vraiment une, et qu'il y avait une autre explication derrière tout ça, mais.. le Trouble-Vue aimait bien croire que la magie contrôlait un petit peu tout sur l'île. Cela l'aidait également à croire en ses propres pouvoirs.

« C'est quoi vos noms ? Finit-il par demander tout en caressant le poil de la créature. Vous avez l'air de me connaître mais moi, ben, je peux pas vous rendre la pareille. »

Et, pour lui, il n'y avait rien de plus terrible que de ne pas savoir.

Sourire toujours aux lèvres, le Trouble-Vue frictionna de plus belle le pelage cotonneux du mouton lorsque la jeune inconnue lui donna son nom ; bonjour Anatole, lui souffla même-t-il d'une voix amicale. Puis, lorsque la jeune fille se désigna comme étant Claudia, l'adolescent la salua à son tour ; et ce, non pas avec une grattouille dans les cheveux, mais avec une sorte de révérence comme il savait si bien les faire. Eh oui, Augur restait un comédien quoi qu'il arrive ! Par contre, il était totalement incapable de reconnaître un mensonge lorsqu'on lui en soufflait un ; tout du moins.. pas lorsqu'il était aussi bien orchestré que celui-ci. Alors comme ça, sa sœur était une diplomate ? Cela expliquait bien des choses ! Attendez, est-ce que cela voulait dire que Vixen - car c'était son nom - avait parlé de lui à Claudia ? WOW ! Ça c'était quelque chose de terrible ! C'était sans doute l'information la plus importante du lot, et cela gonfla l'égo du voyant en herbe !

Toutefois, ce bonheur passager disparut lorsque l'écossais se rendit compte du souci : Vixen n'était plus aux cabanes, elle avait disparu, ou avait été bannie. Le Trouble-Vue ne se souvenait plus exactement, quand bien même il se souvenait de la tignasse rousse de la fille-renarde.. globalement.

« Tu vois de qui je parle, n'est ce pas ? Lui demanda-t-elle finalement. »

Pouvait-il lui annoncer qu'il avait déjà un peu commencé à oublier son visage ? Non, bien sûr que non, c'était impossible. Un magicien comme lui ne pouvait pas perdre des souvenirs, c'était impossible.

« Ben bien sûr que oui, je n'oublie personne ! Fit-il comme s'il ne craignait pas l'Oubli, avant de se raviser. Mais.. Vixen elle - »

Coup de tonnerre.

Surprit par ce bruit inattendu, Augur ne put s'empêcher de sursauter tout en laissant un cri s'échapper de ses lèvres. Génial, il allait passer pour un couard maintenant. Non ! N'importe qui pouvait être surprit par un bruit sourd, même un voyant. Le diplomate avait vu qu'il y allait avoir de l'orage, mais comme c'était un phénomène naturel, c'était juste difficile de dire quand est-ce qu'il allait tomber exactement. Oui voilà, c'était l'explication qu'il donnerait à la jeune fille.. quand il en aurait l'occasion. Parce que pour le moment, il avait d'autres chats à fouetter. En effet, tout autour de lui, des animaux se mirent à courir pour sauver leur peau, tandis que des arbres s'écroulaient sous les coups des éclairs meurtriers. Ouah ! Le Trouble-Vue avait déjà assisté à de terribles orages dans le monde ordinaire, mais là, c'était quelque chose de plus terrible encore. Vous avez déjà vu un éclair s'écraser par terre à seulement quelques mètres de votre nez ? Non ? Eh bien vous n'avez sans doute pas envie que cela arrive. Ouah ! L'écossais eut l'impression que tout son corps était électrisé ; et pourtant, il ne ressentait pas la douleur.

Puis, tout à coup, quelque chose lui heurta violemment le dos ; tant et si bien que l'adolescent ne put retenir un hoquet surprit.. à moins que ce ne soit juste son corps qui tente de réagir à la douleur qu'il aurait du ressentir. Quelque chose le sauva néanmoins d'une violente brulure : l'odeur du cramé. Interloqué, le Trouble-Vue n'attendit alors pas instant pour se débarrasser à mains nues de ce truc qui l'avait attaqué, avant de contempler du mieux qu'il pouvait les dégâts. Ses mains avaient noircies, mais ce n'était pas aussi terrible que lorsqu'il jouait avec les feux follets ; et son dos, il ne savait pas trop. Sa cape avait un peu brulé et arborait désormais un trou calciné, de même que sa chemise en dessous. C'était ses habits qui avaient prit le plus cher, mais son dos n'avait pas été épargné par des brûlures superficielles. Zut. Entre ça et sa vilaine plaie au bras, le diplomate risquait de grave ennuis avec les soigneurs s'il arrivait vivant jusqu'au Grand Arbre.

« Oh, c'est pas bon pour moi ça, fit-il avec la gorge presque nouée, avant de reporter son attention vers Claudia. Soul va pas être content. »

Toutefois, un sourire crispé ne tarda pas à étirer ses lèvres malgré la peur qu'il avait ressenti. Quoi ? Avait-il craint de souffrir ? Craignait-il de se faire engueuler par le chef des soigneurs ? Non, pas le moins du monde. Avec ces éclairs meurtriers, Augur venait de frôler la mort et il le savait, tout comme Claudia, et.. où était passé le mouton arc-en-ciel ? Oh non.

« Ton mout.. Anatole. Il a disparu ? »

Pauvre petite chose qui avait du être effrayée par le tonnerre.

Ce n'était pas bon, pas bon du tout. Où avait bien pu disparaître le pauvre petit Anatole ? Oh ! Espérons qu'il n'ait pas fini en poussière à cause des éclairs ! Non, non, il ne fallait pas penser à ça. Quand on pense au pire, eh bien, souvent, ça arrive. Donc oui, Claudia avait raison : il fallait retrouver la pauvre bête. Surtout que d'après ses dires, il avait toujours vécu en élevage, et ne savait donc pas comment faire pour se débrouiller tout seul, comme un véritable petit bébé. Il n'allait pas survivre, et n'allait pas réussir à rentrer à la maison auprès de sa douce maitresse. Ah, c'était un drame ! Il fallait faire quelque chose, et vite. D'autant plus que la jolie bergère avait vraiment l'air d'être terrassée par la nouvelle. Le Trouble-Vue se devait de faire quelque chose, et vite ! Mais quoi ? La rassurer, déjà, c'était une bonne idée.

« T'inquiète pas, on va le retrouver. Il doit pas être loin. »

Sauf que la jeune fille, elle, eh bien, elle était déjà un peu plus loin. Tandis que le diplomate se voulait rassurant et amical, la rouquine elle n'attendit pas pour filer à travers les bois à la recherche de son animal. Merde, ce n'était pas bon. Le Trouble-Vue n'attendit pas un instant pour se lancer à la poursuite de son amie. Mieux valait la retrouver avant qu'elle ne se fasse mal ou se fasse attaquer par des bêtes féroces ; ou pire encore. Heureusement, l'adolescent avec sa cape allait plus vite que la donzelle avec sa robe.

Lorsqu'il parvint à sa hauteur, la Bergère semblait dépitée.

« C'est ma faute, l'entendit-il sangloter. Je n'aurais jamais dû l'emmener ici. Je n'aurais jamais dû le lâcher. On aurait mieux fait de rester à la maison. »

Accablé par de telles paroles, le diplomate ne put s'empêcher d'afficher une certaine grimace. Comment ça, tout était de sa faute ? N'importe quoi. Ce n'était pas possible. Elle disait n'importe quoi la Claudia. Non, ce n'était pas de sa faute, elle était accablée par le chagrin et l'inquiétude. On ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Qui aurait pu lui en vouloir ? Surtout pas Augur, et sans doute pas Anatole.

Alors, il s'avança vers elle avant de croiser les bras.

« C'est toi qui a fais tomber la foudre ? Demanda-t-il sans attendre de réponses de sa part. Ben non, bien sûr. C'était pas de ta faute du coup, tu pouvais pas savoir que ça allait arriver. »

Tout en disant ces quelques mots, l'adolescent n'avait pu s'empêcher de regarder autour de lui, comme s'il cherchait une solution à cette triste situation. Un tour de magie, une échappatoire, quelque chose, n'importe quoi. Et c'est là qu'il le vit, ce petit morceau de fourrure multicolore et ondulée. Les moutons arc-en-ciel ça ne courrait pas les bosquets, pas vrai ? Espérons que non.

« Je crois qu'il est parti par-là, lui indiqua-t-il. »

Ils allaient retrouver le pauvre petit Anatole, c'était obligé. Ils ne pouvaient pas le laisser tout seul au beau milieu de la forêt. Il allait se faire dévorer sinon - non, mieux valait ne pas y penser. Ils allaient le retrouver.

Piquée à vif par la découverte du magicien des mots, la rouquine fila comme l'éclair à travers les bois. Ouah ! Qui aurait cru qu'on pouvait courir aussi vite avec de tels jupons ? Il fallait croire que l'adrénaline pouvait faire des miracles ; à moins que ce ne soit l'un des super-pouvoirs de fille que de pouvoir courir avec n'importe quel accoutrement. Augur se souvenait encore des talons gigantesques que sa mère portait lorsqu'ils allaient à l'hôpital ; ça lui donnait des airs d'autruche. Claudia, elle, avec plutôt des airs de renarde s'en allant à un bal. Ah ! Elle aurait bien sa place parmi la Vallée Fabuleuse, ça, c'était certain ! Enfin, là n'était pas le sujet de la discussion. Le plus important, c'était de retrouver le pauvre Anatole perdu. Et devinez qui les jeunes gens ne tardèrent pas à entendre au détour d'un bosquet ? Le petit mouton perdu, pardi !

N'écoutant que leur courage, les deux âmes libres continuèrent leur course jusqu'à un grand arbre aux feuilles bleues ; et jusqu'à ce que la jeune fille ne s'arrête elle aussi. Pour un peu, le diplomate lui serait presque rentré dedans. Ouf ! Mieux valait éviter un drame de plus.. surtout lorsque cette drôle de scène se mit en place devant leurs yeux ébahis. Anatole, le petit mouton qui avait fuit l'orage. Le voilà désormais dans un arbre comme si de rien n'était, à faire des feuilles bleues son quatre heures. Oh, ça ferait une sacrée histoire à raconter ça !

« Bon, comment on va le faire descendre de là maintenant ? »

Perplexe, le diplomate resta silencieux un court instant. Que pouvaient-ils faire pour régler ce problème ? Couper une branche ? Très mauvaise idée, surtout s'ils voulaient récupérer le mouton vivant et sans pattes cassées. Couper l'arbre ? Cela revenait au même, mais en pire encore. Voler jusque là haut et récupérer l'animal ? Ils n'avaient pas de poudre de fée sous la main, pis Augur n'était pas Peter Pan. Malheureusement.

« Pis si je grimpe et que je le pousse vers toi, il risque de te faire mal et de te salir en te tombant dessus, pensa-t-il tout haut avant de se taper dans la paume de la main. J'ai une idée ! »

Sourire aux lèvres, le brun ne tarda pas à reporter son regard brillant et fatigué vers la bergère. Un grand hourra pour le héro qui sauverait Anatole de son destin funeste !

« Tu penses que tu pourrais grimper toi à l'arbre et me l'envoyer ? Demanda-t-il le plus sérieusement du monde et sans craindre un quelconque os cassé. Promis, je ne le laisserais pas tomber. »

Promesse de magicien.