Ta cheville tire ; habituel, tu as encore été trop loin, trop vite, aucun filet pour te retenir lorsque tu as voulu te jeter d’un rocher à un autre un jour précédent. Pourquoi ? Pour rien, pour tout. Tu dévies ton poids de l’autre côté, radio qui grésille dans ta main, ton arme qui frappe ta hanche à chaque fois que tu dois esquiver une partie du paysage devenu obstacle. S’il y avait une tour radio, tu t’y serais réfugiée depuis une éternité. Au lieu de ça tu as le zeppelin, membres qui disparaissent dans le Givre et qui ne reviennent pas. Tu n’es pas là pour les retrouver ;  enfin, tu n’en sais rien. Tu as du mal, avec le froid qui glisse contre tes coupures, qui s’infiltre dans deux paires de chaussettes l’une sur l’autre, hauteur inégale à cause des bandages.

Retourner sur tes pas, rentrer. Il ne faut pas que tu oublies de le faire, pas que tes blessures deviennent insurmontables, plus nombreuses que tes tatouages. Tu soupires, son lourd qui se répercute contre l’écharpe courte qui est à moité enfoncée dans ton pull pour ne pas qu’elle se coince quelque part, qu’elle ne t’étrangle ou te gêne. Tu es fatiguée, toi âme solitaire qui continue une route sans fin au rythme de la radio. Le signal finira bien par apparaître, triangle—ou autre anomalie sans nom—étendue à tes pieds. Une offre que tu n’as jamais été en mesure de refuser.

Il y a un peu de rouge contre tes doigts, blessure que tu as frotté sans réfléchir plutôt, coupure sur ta joue qui est passée de rouge à marron, cellules tentant de t’empêcher de tout ruiner. Tu lèves la radio, nuages empêchant le moindre rayon de t’atteindre et de te réchauffer depuis le ciel. Le signal te semble plus clair, soudainement, trois pas à gauche, puis tout droit jusqu’à—ce que ton vieux cœur lâche, que tu rencontres une chance ou le désespoir.

Ou simplement un bonnet avec un gros machin jaune dessus, soleil égaré dans le ciel. Un détour serait profitable, totalement acceptable pour toi qui ne t’exprime pas, qui évite les autres autant que tu le peux. La radio qui grésille, qui chantonne et semble pulser dans ta main, t’indique le contraire pourtant.

Tu te forces à avancer, à approcher le gamin avec un vague signe de tête plein de fatigue et de mauvaise volonté.

Taikatalvi

Une musique dans la tête, et les visages flottants qui semblaient se souvenir des paroles, Lunatic arpentait ses chemins. Ceux qui finissaient toujours par retrouver le point de départ, des labyrinthes où il suffisait de suivre précisément un cercle afin d'arriver à un point d'intérêt.

Encore fallait-il y trouver de l'intérêt.

Le Saturnien faisait de son mieux pour ne pas se faire avoir par le givre, bien couvert, Cuzco dans la jaquette, il ne pouvait pas juste rester à attendre. Il était éclaireur, non ? C'était dans sa nature. Et puis les visages étaient envahissants lorsque l'adolescent ne faisait rien.

Il s'était retourné quelques fois, croyant avoir perdu une partie de lui-même. Il avait l'impression que son intérieur était en bouillie... Le temps allait finir par le dévorer en entier, avant même avoir pu changer ses organes. Un jour, il oserait en prendre des neufs. Un jour. Pour le moment, il n'était pas très sûr... le Rocher parlant avait raconté qu'il le fallait. Qu'au pire il suffirait de faire grandir un jardin d'organes. Mais il faudrait planter des humains, il pourrait ensuite récolter un foi comme une tomate.

Lunatic était perdu dans ses pensées, inquiet de dépérir trop vite.

Il se rendait justement à son rocher pour lui demander conseil, mais quelque chose se trouvait sur la courbe du cercle qui y menait. Ah non, pas quelque chose, mais quelqu'un. Les visages étaient surpris, Lunatic aussi.

D'abord, l'éclaireur avait été sur ses gardes, sentant les muscles se tendre pour avoir de bons réflexes. Cependant, les yeux scrutaient le mieux possible. Histoire de discerner QUI précisément était là. Première bonne nouvelle, une Garçonne Perdue. Seconde, elle semblait avoir toute sa tête. Enfin... il voulait dire par là qu'elle n'était pas habitée par le virus. Le Saturnien ne pouvait pas vraiment juger les gens sur l'esprit créatif ou non. Il s'appelait "Lunatic". Bien qu'il n'ait pas tout de suite compris pourquoi, il s'y était fait. Les gens n'avaient pas tous la chance de parler aux visages de leurs ancêtres.

Le salue de tête, quasi-pas chaleureux, rassurait l'éclaireur.

C'était Goner. Une des rares personnes à avoir choisi d'être des résistants. Le garçon se détendit, les visages semblaient calmes par rapport à l'Onde.

Les sons n'étaient donc pas dans la tête du Saturnien, ils venaient de la radio qui grésillait. Il rendit la salutation à l'armurière.

- J'entends que t'as la radio qui fait du bruit. C'est safe dans cette zone ?

Lunatic posait les yeux sur les côtés en même temps, les visages avaient l'air de chercher quelque chose.

- Qu'est-ce que vous cherchez, vous ?

Radota ensuite le Saturnien à l'encontre de ses compagnons fantomatiques, ils étaient détestables à avoir des coups d'avances parfois. Ou à savoir des choses que lui ne savait pas. Un peu agacé, il remit en place une mine plus calme, accompagnée des gloussements de son cochon d'Inde. Le nom de Goner lui faisait penser justement aux fantômes, tiens.

Au rocher, il avait enterrer des provisions, pour ses explorations. Il devrait y passer, il commençait à avoir faim. Et le ventre se fit entendre d'ailleurs. Bizarre, pourrir mais quand même avoir besoin de se nourrir.

La communication qui ne passe pas par des ondes, ça te met pas franchement à l’aise. Pourtant, au milieu de nulle part, tu as mieux à faire que d’éviter le seul autre être vivant du coin. Et puis, ça te donne une excuse pour te reposer, pour faire craquer les jointures de tes mains l’une après l’autre, jusqu’à ce que la tension s’évapore. Mieux que rien, sans compter que le gosse n’est pas agressif. En plus, il parle de la radio, de son trésor qui doit indiquer un truc important vraiment pas loin.

Tu manipules les boutons, cherchant la fréquence exacte de l’anomalie. Tu espères que ça soit un triangle, comme toujours, même si ça peut réserver d’autres surprise. La radio te parle, sans être claire, sans avoir de sens. Il y en a qui disent que tu as été envoûtée ou une bêtise dans le genre. Les grésillements s’amplifient, petit à petit. La direction est différente de celle dont vous venez tous les deux, un trésor caché, si proche que tu peux sentir les cheveux sur ta nuque se redresser.

« Anomalie. Proche, » une fois encore, tes paroles sont minimales, allant droit au but.

Le passage du tu au vous te laisse perplexe, te faisant prêter attention au garçon. Pas certain que ça soit à toi qu’il s’adresse. Oh, l’île regorge de mystères et de problèmes, ça ne te dérange pas outre mesure. Le bruit de l’estomac, un peu plus. A quoi bon sortir si c’est pour ne pas avoir de provisions ? Ton sac glisse de son épaule, machin solide qui n’est pas totalement rempli. Tu as quelques vivres néanmoins. Reste à savoir si tu veux les partager.

« Barre aux fruits ? » Tu proposes. Fabrication artisanale livrée par des perdus qui sont venus prendre des nouvelles des habitants du Zeppelin. Pour une fois que tu étais présente au bon moment. Les fruits sont un peu collants, même emballés dans un torchon, et la barre probablement humide à cause de l’air ambiant. Ce qui est suffisant pour remplir l’estomac. Tu n’as pas franchement l’attention de créer une grande amitié juste là ; te faire accuser d’avoir laisser un autre gamin crever par égocentrisme, ça t’attirerait des problèmes. Sans compter que cette barre là, elle est pleine de fruits que tu n’aimes pas, donc tu veux bien t’en débarrasser.

« Pourquoi tu es si loin ? »

Du camp, tu essayes de dire. Tu ne remarques pas d’arme prête à être levée face à un orbleu—venir aussi loin sans être capable de se défendre, c’est de la folie.