Sam grommelait dans sa barbe en avançant péniblement. « Le premier clown qui croisera mon chemin blah blah blah ». D’abord, Sam Miller n’était pas un clown. Ensuite, il n’avait pas croisé le chemin du Capitaine, il avait juste atterri à quelques mètres de lui, prêt à faire un rapport sur les conditions météos à venir. Alors qu’il descendait en chutant à moitié, comme s’il dévalait les pentes d’une montagne, il n’avait pas prêté garde aux mots de son supérieur… Et se retrouvait à devoir grimper le long des pentes d’une autre montagne – et non des moindres, celles du Sommet Enneigé. C’était bien là sa veine.
Il devait ramener la peau d’un grizzlion… Et évidemment il était parti seul, avec pour seule compagnie son sabre et une pétaudière qui réveilleraient sans doute le moindre machin en hibernation à des lieux à la ronde s’il faisait mine de s’en servir. Il s’était tout de même habillé chaudement – un peu trop chaudement pour l’instant, alors qu’il ne côtoyait pas encore les neiges – mais cela ne le protégeait nullement de cette fine bruine qui, en plus de faire boucler ses cheveux, s’infiltrait partout en laissant une odeur d’humidité renfermée. Il avait l’impression d’être passé entre des brumisateurs – quoi que soient des brumisateurs, son esprit embué par l’Oubli n’en étant plus très sûr.

Cette expédition impromptue avait au moins l’avantage de lui permettre de prendre l’air, loin des autres pirates. L’eau, après le feu, commençait doucement à courir sur les nerfs de ses camarades, qui auraient aimé, juste une fois, que Peter Pan lâche un peu la bride et laisse le temps redevenir sensé. Les gros nuages gris, la pluie, le brouillard… C’était assez ! Sam, bien que sa situation concernant les éléments ne fût guère plus reluisante, pouvait au moins s’extirper de l’ambiance salée sur le bateau, et avec une bonne excuse en prime. Sur le retour, peut-être irait-il faire un tour au port, saluer quelques unes de ses connaissances. Annabelle serait sans doute contente de l’entendre blablater à propos d’un combat contre un grizzlion. Même si c’était moins impressionnant qu’un serpent de mer géant.

Après avoir crapahuté en râlant et ahanant autant qu’il était possible, le Voltigeur parvint finalement sur les versants du Sommet Enneigé. Est-ce qu’il rôdait ici plus dangereux que des grizzlions ? Sammy n’en était pas sûr… Mais à vrai dire il préférait éviter de vérifier. Plutôt que de se mettre à hurler pour attirer… Quelque chose ( ?) il se contenta d’avancer, cherchant s’il ne pouvait pas voir une caverne, ou un amas rocheux, ou quelque chose dans ce style là. C’était là que se cachaient les grizzlions, non ? Honteux, Sam devait bien avouer qu’il n’en avait jamais croisé, et qu’il ne connaissait rien de leurs mœurs. C’était un peu la roulette russe cette expédition… Il n’avait peut-être même pas les armes nécessaires pour aller chasser cette bestiole.

Avec un soupir désespéré, il resserra son manteau, qu’il se félicita d’avoir pris, et se dirigea vers un truc un peu plus sombre au loin, sans doute des cailloux. La neige rendait sa progression un peu plus lente, aussi put-il voir distinctement les formes se préciser dans son champ de vision. C’était bien une grotte ! Parfait. Il allait commencer par là, à défaut de mieux… Entrant dans l’antre, il fut soulagé de voir que ses pas laissaient quelques traces neigeuses sur un sol tout à fait sec ; par contre le lieu était sombre, et il devait plisser des yeux pour voir au fond de la caverne…

Sam était nerveux et angoissé. Il n’arrivait pas à voir quelle taille pouvait bien avoir la grotte, et il avait dans l’idée qu’une… Meute ? Un Banc ? Une tribu ? … de grizzlions pouvait sortir de là à n’importe quel instant. Il aurait l’air fin, tiens, transformé en hachis de pirate. Il n’était même pas sûr d’être digeste, en plus.
Alors, quand quelqu’un, derrière lui, prit la parole, il sursauta, et se retourna vivement en sortant son sabre. Aowh ? Les grizzlions ne font pas « aowh », normalement. Il était sur ses gardes, ne s’attendant guère à de la compagnie humaine ici. C’était a priori un Peau-Rouge… A moins que ça ne soit une Peau-Rouge ? Avec le contre-jour, il avait du mal à s’en rendre compte. Il s’approcha d’un pas, et prit la parole, toujours le sabre devant lui, méfiant.

- Salut… Qu’est-ce que tu fais là ?

Il n’était pas particulièrement agressif, mais il était suspicieux : pourquoi diable un habitant de l’Île, qui plus est pas particulièrement bien habillé pour la saison, serait là ? Il n’y avait guère de raison, et le hasard ne tenait guère, tant la montagne était isolée… Il n’avait pas l’air belliqueux pour autant – il ne semblait même pas armé -, certes… Mais ça n’empêchait pas les soupçons ; Samuel se tenait légèrement de biais, son arme devant lui.

La personne en face de lui ne semblait pas armée, et pas pour le moins du monde stressée ou sur les nerfs ; c’était étonnant dans ce contexte, et pas tout à fait rassurant. Était-ce une ruse ? Un guet-apens ? Sammy observa les alentours avec une suspicion non cachée. Mais d’un autre côté, quand son nouvel interlocuteur répondit… C’était tellement à des milles de toute excuse valable, et dit d’un ton si innocent, que Sam ne pouvait qu’y mette de la foi. Alors, étonnamment, il baissa son arme ; sans doute que s’il avait été avec un autre de ses camarades, il aurait été plus belliqueux. Mais là, seul, il ne cherchait pas forcément l’affrontement, et était plutôt même rassuré d’être en compagnie d’un autre être humain. Il acquiesça donc à ces mots, et leva sa main libre – sans pour autant baisser son arme, toujours quelque peu méfiant, avant de répondre :

- Je m’appelle Sam Miller, vigie du Jolly Roger. Il esquissa un sourire maladroit, et reprit : Tu n’as pas trop froid… Si tu es arrivé là par hasard…

Il se tut et retint un grondement : vraiment ? Un inconnu se présentait là, et la seule chose qui lui venait à l’esprit c’était son bien-être ? Alors qu’il avait l’excuse la plus naze du monde, qui se résumait à « j’ai vu de la lumière et je suis entré » ? Sam aurait pu se baffer, mais il n’y pouvait rien. Il leva les yeux au ciel, et tout en gardant le Delaware dans son champ de vision, il plissa des yeux pour voir si rien de méchant n’arrivait de la grotte.

- Tu connais bien les environs ?

Effectivement, son interlocuteur semblait quelque peu transi ; il faudrait que Héron Placide redescende dans la vallée s’il ne voulait pas perdre des petits bouts : c’était déjà suffisamment étonnant qu’il ait supporté la montée jusqu’ici.
Le pirate n’était pas du tout méfiant : si danger il devait y avoir, il ne pourrait que venir d’une bête sauvage, qui s’entendrait venir bien avant qu’elle soit sur eux. Surpris par l’arrivée d’un nouvel « adversaire », il ne put guère réagir, sinon en se retournant brusquement – heureusement sans remonter le bras qui tenait son arme – et accueillir la chute de Crow avec un recul brusque et un souffle coupé. Le Voltigeur fit tomber son arme, et enlaça son camarade, pour éviter qu’il ne chute, avant de le reposer par terre.

- Merde, ça va pas la tête !

Il s’en voulait plus qu’au jeune homme, même si sa bêtise avait arrangé la situation. Stupide d’avoir baissé sa garde… Et stupide de la part du futur doc d’avoir attaqué sans faire attention… Lequel était le pire ? Sam soupira, ramassa son arme, qu’il rangea : trop d’émotions pour l’instant, tant pis si quelque chose d’autre leur tombait au coin de la gueule.

- Ca va, tu n’es pas fait mal ?

Il se tourna vers Héron Placide, qui avait fait un pas en arrière, et semblait hésiter sur la marche à suivre. Acquiesçant, la vigie répondit :

- Il vient aussi du Roger. Mais je ne savais pas qu’il était là… Il se tourna légèrement vers le nouvel arrivant : Tu es là aussi pour le grizzlion ? Je ne savais pas que le Capitaine avait demandé à quelqu’un d’autre de partir, je pensais que j’étais le seul. Il y a quelqu’un d’autre que toi en route ?

Spoiler:

Interloqué, Sam ne put rien faire en voyant avec horreur que Crow allait utiliser sa hache. Surpris – et naïf et gentil, surtout – Sam réagit en même temps que la neige chutait :

- Mais t’es malade ! Notre ennemi ici c’est la mé- *SCRAMBL* - téo. OH PUTAIN

Comme un fait exprès, la neige appuyait son phrasé. Le pirate soupira, et mit les mains devant lui, jusqu’à atteindre une épaule. Vu la hauteur et les fringues, c’était Crow. Il allait ouvrir la bouge, quand la voix du Peau-Rouge lui parvint, depuis… L’arrière de la grotte ? Ouh, flippant. Grinçant entre ses dents, Sam resserra sa prise sur Crow :

- Qu’on soit bien clair, ici, personne n’étripe personne. Tu vas mettre de côté quelques heures ta colère, on a besoin les uns des autres. Et si jamais tu tentes quoi que ce soit, je te file une rouste.

Sam n’en menait pas large pour qu’il soit agressif ainsi. Son tempérament doux et anxieux avait laissé place à une détermination mêlée de colère et surtout de peur. Le tout aidé par le fait que Crow semblait tellement gringalet à ces yeux qu’il refusait de se laisser commander. Il relâcha sa pression, et se tourna vers la voix du Delaware.

- Ce serait avec plaisir, il semblerait qu’on soit coincé ici un bout de temps… Et désolé pour l’attitude de mon camarade…

Crow ne risquait pas vraiment de s’excuser de lui-même de toute façon…

HRP: