La journée n'avait pas été si longue, pourtant Earl l'avait senti peser sur ses épaules. La faute au temps, sans doute, à cette pluie qui ne cessait de s'abattre et rendait toute l'Île aussi florissante que morose. L'Argenté ne s'en plaignait jamais que doucement et savait ne pouvoir rien y faire d'autre qu'attendre. Il patientait donc et s'inquiétait légèrement pour Peter Pan et ses enfants. Combien en négligerait-il, trop occupé à se morfondre ? Ce serait alors à lui et d'autres de réparer les pots cassés, du mieux qu'il le pouvait. L'idée le préoccupait d'avance.

C'était sur ses pensées, fébriles et un brin agacées, qu'Earl avait poussé la porte de la Taverne Rhumantique ce soir-là. Il était encore relativement tôt mais les lieux se remplissaient doucement. S'avançant vers une table libre, le médecin s'y laissa tomber et - laissant son nécessaire d'urgence sur la table - fit commande d'un alcool qui, s'il méritait son nom, lui permettrait néanmoins d'exercer ses fonctions de façon sûre en cas d'urgence. L'Argenté souriait, résigné : quand on devenait réparateur, on l'était pour toujours et à tout moment. Il faisait avec, comme pour la pluie. Il faisait avec, observait et écoutait les conversations de ceux qui l'entouraient. Il pourrait se joindre à une table, bientôt, à moins que...

A moins que quelqu'un se joigne déjà à lui.

Une nouvelle tête fit son apparition dans la Taverne. Il la reconnut, lui adressa un sourire courtois. Toutes les tables étant occupée, Earl se demanda où le nouvel arrivant allait se poser. Chez lui, ailleurs ? Il n'avait rien contre un peu de conversation, après tout il n'était pas sorti pour rien. D'autant plus que le personnage lui semblait familier : ils avaient fait partie du même équipage.

Avec malice, Earl suivit du regard les déambulations de Salazar.

La journée n'avait pas été si mauvaise pour Salazar. Un peu pluvieuse, certes, comme d'habitude depuis de nombreux jours (voir semaine ? Il avait arrêté de compter). Il attendait d'ailleurs avec impatience la commande qu'il avait passé à Azel car il n'en pouvait plus de revenir trempé tous les jours. De plus, il n'y avait pas eu d'enfants aujourd'hui, ce qui était fort dommage. Mais mis à part cela, la journée avait été bonne. Il avait pu explorer une nouvelle zone, fait pleins de nouveaux croquis et sa carte s'était encore élargie. Aussi avait il décidé de ne pas rentrer de suite au navire et de passer d'abord à la taverne pour boire un verre, se recinquer un peu et y trouver bonne compagnie. Il n'avait pas eu beaucoup l'occasion d'y mettre les pieds encore, quelques fois tout au plus. Pareil pour la maison close (même s'il ne le regrettait pas vraiment) ou l'opiumerie. Cela lui arrivait souvent d'y songer, de se dire "Ah, si j'avais le temps, j'y ferais bien un tour". Et puis finalement, le temps, il ne l'avait pas, ou alors sa motivation s'en allait et il soupirait en lui même "Ah, tant pis. Ce sera pour une prochaine fois." et la prochaine fois ne venait toujours pas.

Mais ce soir là, il s'était motivé. Il avait poussé la porte de la taverne et laisser la chaleur du feu, des boissons et des pirates le réchauffait entièrement. Que d'agitation il y avait là, et on était même pas encore à l'heure de pointe. Presque toutes les tables étaient prises. Il laissa donc son regard se promener, à la recherche d'une place libre, quand ses yeux croisèrent des rides et un sourire. Il s'avança vers cet homme, une expression sereine au visage.

-Bonjour docteur, fit il avec le respect que l'on doit aux plus anciens et plus sages que soi. Cela vous dérange si je me joins à vous ?

Et, voyant qu'il ne semblait guère avoir d'objections, il s'assit en face et commanda du rhum. Il avait besoin de ça au moins pour se réchauffer et se requinquer.
Salazar aimait bien Earl, et même plus que cela, il le respectait. Cet homme, si vieux et si calme, ne pouvait être qu'une bonne personne à ses yeux. Il en avait même occulté le fait que c'était un ancien garçon perdu, lui qui avait toujours été si méfiant à leur égard. Non, réellement, cet homme devait surement être là depuis toujours, il ne pouvait pas y être autrement. De plus, avec son bon caractère, il était difficile de le détester. Et de ce fait, le docteur du port avait toute son amitié.

-Sale temps qu'il fait, hein ? J'en regrette vraiment la canicule. Ca ne me dérangeait pas du tout moi.

C'était une tentative comme une autre de lancer la conversation. Echange de banalité sur le beau (enfin le sale) temps.

-Vous avez passé une bonne journée ? s'enquit-il.

Earl aimait bien Salazar. Il admirait ses talents d'assembleurs de sons comme son caractère, bien qu'il ne le côtoie plus tellement depuis son déménagement au Port. Ainsi l'accueillit-il avec son éternel sourire de vieux gamin, ravi d'avoir un peu de compagnie en une énième nuit pluvieuse.

- Sale temps qu'il fait, hein ? J'en regrette vraiment la canicule. Ca ne me dérangeait pas du tout moi.  Vous avez passé une bonne journée ?

Ah, les joies de la conversation. L'Argenté s'y prêta avec bonhommie, répondant sans trop se faire prier :

- Assez, oui. J'ai eu quelques patients mais rien d'extraordinaire. La routine.

Des rhumes d'un côté, des coup de blues de l'autre. La faute à la pluie ?

- Personnellement, je ne regrette pas la canicule. C'était beaucoup plus dur de rafistoler tout en rationnant l'eau. Et lui-même en avait souffert, comme tous les autres.

Retrouvant son espièglerie, il reprit :

- Par contre, cette pluie rouille mes articulations, je te jure que c'est quelque chose ! Rire. Mes vieux os ne sont plus ce qu'ils étaient.

Nouveau rire, Earl remercia la serveuse qui vint leur apporter les boissons et s'empara de sa pinte tout en adressant un clin d'oeil à son interlocuteur.

- Et ta journée, flûtiste ? Comment ?

Puis il leva sa chope.

- Trinquons au retour des beaux jours.

Cela lui paraissait une raison tout à fait appropriée.

- Assez, oui. J'ai eu quelques patients mais rien d'extraordinaire. La routine. Personnellement, je ne regrette pas la canicule. C'était beaucoup plus dur de rafistoler tout en rationnant l'eau.

Ah la la, pourquoi personne n'était de son avis ? Cependant il ne fit pas de commentaire.

- Par contre, cette pluie rouille mes articulations, je te jure que c'est quelque chose ! Mes vieux os ne sont plus ce qu'ils étaient.

Le fait de l'entendre rire lui donna un début de sourire ceci dit. Et même plus que cela, il eut également un début de rire aussi. Il aimait vraiment la bonhomie d'Earl, l'entendre rire. Par sa simple présence, il était de ceux qui vous mettait de bonne humeur. Et à cela, Salazar ne pouvait pas vraiment résister. Il attrapa son verre que lui servit la serveuse. D'ordinaire, il ne buvait que très peu. Il n'aimait pas être ivre et quelque part, sa religion le lui interdisait un peu. Mais là, il était dans une taverne, il pouvait bien se permettre un verre, voir deux mais pas plus.

- Et ta journée, flûtiste ? Comment ?

Le dénommé Flutiste sourit en entendant cela. Il s'apprêta à répondre quand il vit l'autre lever sa choppe.

- Trinquons au retour des beaux jours.
- Et qu'ils reviennent vite ! Foutu pluie !

Sur ce, il avala une longue gorgée de rhum. le liquide lui brula un peu la gorge. Il avait oublié le gout de ce breuvage. Puis il reposa son verre et sourit.

-Ma journée ? Plutôt bonne ma foi. Regardez.

Il sortit son carnet de note et lui montra ses croquis du jour.

- J'ai remonté a rivière et suis allé jusqu'à la plaine des bisons où j'ai pu prendre de nombreux croquis. Puis j'ai encore exploré du côté des rives et j'ai eu de précieux renseignements sur la jungle. Et le tout sans trop me faire tremper. Une bonne journée productive en somme.

Il attrapa une feuille volante sur laquelle se trouvait un dessin crayonné de bison et lâcha d'un ton pensif :

-Ces bêtes sont réellement impressionnantes. Vous auriez vu cela.

- Ma journée ? Plutôt bonne ma foi. Regardez.

Avec curiosité, le regard de l'Argenté suivit les gestes du Flûtiste, s'arrêta à la couverture du carnet. Lorsqu'il l'ouvrit, un éclat de ravissement presque enfantin éclaira les prunelles du médecin.

- J'ai remonté a rivière et suis allé jusqu'à la plaine des bisons où j'ai pu prendre de nombreux croquis. Puis j'ai encore exploré du côté des rives et j'ai eu de précieux renseignements sur la jungle. Et le tout sans trop me faire tremper. Une bonne journée productive en somme.

Earl s'attarda sur les croquis quelques instants, admirant la précision qu'il décelait dans le trait.

- Joli travail !

Il se redressa du mieux qu'il put et but à son tour.

- J'adorerais voyager comme toi mais on a trop besoin de moi, par ici... c'est comme si j'étais maudit, en quelque sorte.

Il disait ça avec le sourire.

- Je te dis pas la fois où je suis resté trop longtemps à la Fumerie. Quand je suis ressorti, j'ai cru que la Peste avait frappé le Port !

Et le voilà qui riait à nouveau, dans sa bonhomie habituelle. Earl reposa sa chope et reprit :

- Alors, comment allaient les bisons ?

C'était que l'Île l'intéressait, lui qui ne quittait jamais le Port.

- J'adorerais voyager comme toi mais on a trop besoin de moi, par ici... c'est comme si j'étais maudit, en quelque sorte. Je te dis pas la fois où je suis resté trop longtemps à la Fumerie. Quand je suis ressorti, j'ai cru que la Peste avait frappé le Port !

Il faut croire que le rire était contagieux chez les vieillards car tous deux éclatèrent de rire en même temps. Cependant Salazar en venait à trouver que la situation de son compagnon était presque triste. A l'entendre, il n'avait pratiquement pas de temps à lui et qu'il travaillait pratiquement tout le temps. Alors certes, Salazar aussi faisait cela mais lui avait une plus grande liberté et ne dépendait de personne. Aussi le plaignait-il intérieurement.

- Alors, comment allaient les bisons ?
- Ils allaient bien. La pluie n'avait pas l'air de trop les déranger quand elle s'est mise à tomber, et rien que pour cela ils sont bien chanceux. Quoi que, la plupart étaient sous l'abri. Les autres vagabondait dans leur plaine.

Il eut un petit sourire et but une gorgée avant de reprendre :

-Un jour Earl, je t'emmènerais les voir, promis. Et pas qu'eux d'ailleurs ! Je te ferais visiter l'île et ses coins les plus extraordinaires. Je t'emmènerais même au dessus des nuages, dans le ciel enchanté !

Cette idée l'emplissait de joie et lui donnait presque un surplus d'énergie, ou du moins tout autant qu'un "vieil homme" comme lui pouvait en avoir.

-Et pour ton travail au port eh bien... Il y a bien un médecin et son apprenti sur le bateau. Ces jeunots passent leur temps à se tourner les pouces ou presque. Qu'ils viennent te remplacer pour un jour, cela ne les tueras pas. Tu bosses tellement, tu as bien le droit à des congés !

C'est vrai quoi. Ils étaient deux, ils pourraient venir aider sur la terre ferme. Et plus il en parlait, plus il avait vraiment envie de partir à l'aventure avec son camarade. Aussi lui fit il un clin d'oeil complice.

-A quoi cela sert d'être vieux si on ne peut plus rien exiger des jeunes ?

Spoiler:

C'était drôle, de voir Salazar s'animer ainsi et lui promettre de formidables visites - Earl se serait presque attendu à l'entendre chanter, c'était dire ! Avec un sourire espiègle, il hocha la tête frénétiquement : l'idée de découvrir un peu plus l'Île n'était évidemment pas pour lui déplaire.
Le Flûtiste reprit :

- Et pour ton travail au port eh bien... Il y a bien un médecin et son apprenti sur le bateau. Ces jeunots passent leur temps à se tourner les pouces ou presque. Qu'ils viennent te remplacer pour un jour, cela ne les tueras pas. Tu bosses tellement, tu as bien le droit à des congés !

Un clin d'oeil, auquel il répondit d'un rire.

- A quoi cela sert d'être vieux si on ne peut plus rien exiger des jeunes ?

Un temps. Earl leva sa pinte et avala une gorgée d'alcool. Son ton se fit plus songeur, plus sérieux aussi lorsqu'il répliqua :

- Tu ne t'en souviens peut-être pas, mais j'ai été apprenti aussi, sous les ordres de Monsieur Obnova.

Il avait prononcé, comme à son habitude, le nom de son formateur avec déférence. Il s'en souvenait par fragments, cela avait suivi son Bannissement.
Presque précautionneusement, l'Argenté reprit :

- Avec les têtes brûlées à bord, on avait déjà pas mal à faire à l'époque. Je pense que ça ne s'est pas trop arrangé...

Un temps. Il se remit à sourire.

- En parlant de ça, comment va l'équipage ?

Si la plupart de ses collègues ne lui manquaient pas réellement, il appréciait toujours de se tenir au courant.

Salazar s'était attendu à ce que le vieil homme acquiesce ces propos, ou que du moins cela le fasse rire. Son esprit s'accommodait vraiment avec les souvenirs et il ne se souvenait plus du tout que Earl ait été un garçon perdu autrefois. Aussi fut il surpris par ce silence, et se demanda un moment s'il n'avait pas dit une bêtise, s'il n'avait pas blessé, sans le vouloir, son compagnon de beuverie. Mais il ne prononça pas un mot, se contenant

- Tu ne t'en souviens peut-être pas, mais j'ai été apprenti aussi, sous les ordres de Monsieur Obnova.

Non, non il ne s'en souvenait plus. Cela lui faisait bizarre d'entendre cela. Il aurait voulu lui demander des détails. Quand était ce ? Quel poste avait il eu avant ? Pourquoi ce crocodile et pas Shadow ou Taz ? Pourquoi avoir migré au port dans ce cas ? Que s'était il passé ? Tant de questions qui déferlaient dans sa tête mais qu'il n'arrivait pas à poser.

- Avec les têtes brûlées à bord, on avait déjà pas mal à faire à l'époque. Je pense que ça ne s'est pas trop arrangé...
-Moui.

C'était peut être logique et valable comme justification mais le maure était buté et n'avait aucunement envie de l'accepter. Aussi s'était il contenté de cette réponse prononcé du bout des lèvres. Un silence dura quelques instants avant que l'autre ne demande :

- En parlant de ça, comment va l'équipage ?
-Bien.

Bon ok, cette réponse était probablement bien trop succinte aussi détailla-t-il un peu plus :

-Dans l'ensemble ils sont content que la canicule soit fini et chacun est retourné à ses petites affaires. Le capitaine semble de meilleur humeur (enfin, dans la limite du possible le concernant). Ca rassure Smee. Il y a eu une sorte de bataille l'autre jour (enfin une petite) avec les garçons perdus et tout le monde s'y est donné à coeur joie.

Enfin lui s'en était mal sorti de cette "bataille" mais c'était un détail. Quelque chose lui vint alors en tête :

-Ceci dit, depuis la création du port et donc le départ de Brau à la taverne, c'est bien plus calme. Les soulards vont au port quand ils ont envie de faire la fête donc il n'y en a plus beaucoup sur le bateau. Et puis il n'y a plus de mystérieuses explosions.

Il avala une gorgée et conclut :

-La routine quoi. Et vous au port, tout se passe bien ? Vous n'êtes pas trop envahi par... la racaille ?

Il avait prononcé ces derniers mots avec une sorte de petit rire mauvais. La racaille ici, c'était les garçons perdus et les bannis. Ces individus auquel il n'accordait aucune confiance, persuadé qu'ils n'étaient que des ennemis. Ceci dit cela ne comprenait pas les Peaux rouges. Pour eux, il avait un peu plus de respect que cela.

- Bien. Dans l'ensemble ils sont content que la canicule soit fini et chacun est retourné à ses petites affaires. Le capitaine semble de meilleur humeur (enfin, dans la limite du possible le concernant). Ca rassure Smee. Il y a eu une sorte de bataille l'autre jour (enfin une petite) avec les garçons perdus et tout le monde s'y est donné à coeur joie.

Earl hocha la tête. Il n'avait pas désiré quitté le Port pour aider son camp officiel mais avait assez eu de travail, au retour des Pirates, pour qu'il lui ait été définitivement impossible d'ignorer l'embuscade et ses conséquences.

- Ceci dit, depuis la création du port et donc le départ de Brau à la taverne, c'est bien plus calme. Les soulards vont au port quand ils ont envie de faire la fête donc il n'y en a plus beaucoup sur le bateau. Et puis il n'y a plus de mystérieuses explosions.

L'Argenté but une gorgée : c'était vrai que l'apparition du Port, pour lui comme pour d'autres, avait été une opportunité précieuse. Pour sûr, ils auraient fini par sérieusement s'entretuer s'ils étaient tous restés sur le Jolly Roger.

- La routine quoi. Et vous au port, tout se passe bien ? Vous n'êtes pas trop envahi par... la racaille ?

Ah oui, avec le temps Earl avait oublié que Salazar était de ce genre de Pirates - ceux qui méprisaient les enfants, ceux qu'il ne condamnait pas mais ne pouvait pas rejoindre pour autant. Officieusement.

Il mit quelques instants à répondre, pas pressé.

- Tu sais bien le traitement qu'on réserve aux gosses qui viennent traîner ici, Salazar. Une pause, le temps d'avaler une gorgée supplémentaire. Difficile d'être envahi dans de telles conditions ! Il avait gardé son sourire, serein dans le rôle qu'il jouait et avait façonné pendant des années.
Puis, soutenant sa tête de son poing, il reprit :

- Parle-moi un peu de la bataille - j'ai cru comprendre que tu y étais. tu y as croisé de vieux ennemis ?

Il connaissait très peu d'hommes qui n'aimaient pas parler de leurs exploits au combat.

- Tu sais bien le traitement qu'on réserve aux gosses qui viennent traîner ici, Salazar. Difficile d'être envahi dans de telles conditions !

Ces propos accentuèrent les rire du pirate. Enfin, "le fit ricaner de nouveau" fut plus exact. C'était ce genre de propos qu'il appréciait entendre. Surtout quand la personne en face semblait être de son avis. Et assurément Earl devait l'être, le contraire était impossible aux yeux de Salazar.

- Parle-moi un peu de la bataille - j'ai cru comprendre que tu y étais. tu y as croisé de vieux ennemis ?
-Meeeh, fit-il en haussant les épaules. Tu me connais, je ne suis pas vraiment un combattant.

Il but une gorgée, et faillit avaler de travers tandis qu'une pensée amusante lui traversait l'esprit.

-Avant je l'étais. J'étais le genre de môme à sortir mon épée pour un rien et chercher querelle pour un moulin. Mais avec le temps je me suis calmé. Et je préfère désormais la tranquillité et la sureté quand je me balade sur l'île que d'être reconnu et attaqué.

Il se rendit alors compte que sa choppe était vide. Déjà ? Vraiment quand on était en bonne compagnie comme le médecin, on ne voyait ni le temps ni les litres passer. Il en redemanda deux (au cas où ce serait également le cas pour son compère) et conclut :

-Tout ca pour dire que non, pas vraiment, je n'ai fait aucune bataille mémorable là bas.

Il songea alors qu'il parlait beaucoup et, par esprit de politesse, s'excusa aussitôt :

-Mais j'ai l'impression de monopoliser la parole là, quel rustre je fais à ne parler que de moi même.

Earl s'était surement attendu à un récit de combat un peu plus palpitant et ce qu'il lui avait offert à la place était bien maigre.

- Meeeh. Tu me connais, je ne suis pas vraiment un combattant.

Earl haussa les épaules : il voyait tant de gens défiler au Port qu'il en oubliait parfois qui aimait quoi.

- Avant je l'étais. J'étais le genre de môme à sortir mon épée pour un rien et chercher querelle pour un moulin. Mais avec le temps je me suis calmé. Et je préfère désormais la tranquillité et la sureté quand je me balade sur l'île que d'être reconnu et attaqué.

Le doc hocha la tête : il n'avait jamais été du genre belliqueux, mais il pouvait comprendre. C'était surprenant, de s'imaginer un tout jeune Salazar : alors qu'il tentait de se figurer un gamin lambda, la tronche grincheuse que le Flûtiste pouvait faire parfois s'y accola. Devant la vision, Earl dut se retenir de rire.

- Tout ca pour dire que non, pas vraiment, je n'ai fait aucune bataille mémorable là bas.

C'était une affaire de point de vue, sans doute : pour le coup, il aurait été curieux de connaître le point de vue des Enfants Perdus ayant participé à l'embuscade.

- Mais j'ai l'impression de monopoliser la parole là, quel rustre je fais à ne parler que de moi même.

- Ne t'inquiète pas, j'aime bien écouter aussi. Le rassura, au tac-au-tac, le médecin. Il fallait dire que, comme la plupart de ses activités demeuraient secrètes, il ne parlait jamais de lui que par fragments.

Récupérant la nouvelle chope que l'on lui servait, il en prit une nouvelle gorgée.

- C'est drôle, de t'imaginer petit.

Il fronça les sourcils.

- Mais tu es de l'équipage d'origine, juste ?

Il peinait à s'imaginer la version miniature de Salazar au Grand Arbre.

- Ne t'inquiète pas, j'aime bien écouter aussi.

Ces simples propos rassurèrent un peu le flutiste. D'habitude c'était lui qui écoutait et parler autant lui semblait bizarre. Mais aussi très gratifiant et ce fut donc sans plus aucun remord qu'il aborda la suite. Par chance, leur boissons arrivèrent à ce moment et tous deux burent une gorgée. Le flutiste écouta tout de même ce que le vieil homme avait à dire.

-C'est drôle, de t'imaginer petit. Mais tu es de l'équipage d'origine, juste ?
-Evidemment, fit-il d'un ton indigné. Tu me prends pour qui ?

L'idée qu'on puisse penser qu'il était un nouveau venu, un opportuniste, une graine de traitre, l'outrageait pleinement. Aussi, pour bien appuyer ses propos, il se pencha et bougea le bras devant une lumière, faisant apparaitre son ombre sur le parterre.

-Regarde ! J'ai une ombre et tout ce qu'il faut.

Ses biais de pensées l'empêchait totalement de remarquer l'absence chez son compagnon. Il se redressa, but une gorgée de nouveau et, vu que Earl lui avait assuré que l'écouter ne le dérangeait pas, il continua :

-Si tu veux tout savoir, je suis maure. Ma famille vivait dans le désert et j'y suis resté jusqu'à mes... quinze ans ? Un truc du genre. Et puis un jour, je ne sais plus pour quelle raison, on a dû s'approcher de la côte. Et là j'ai découvert l'océan pour la première fois.

Il éclata de rire à ce souvenir. Tout cela lui semblait si lointain, et à juste titre.

-Et je te l'ai dit, marmot je tenais pas en place alors évidemment, tout émerveillé que j'étais par cette découverte, j'ai fait la première chose stupide qui m'est passé par la tête, je me suis engagé comme mousse sur un bateau. Et ensuite, je suis passé d'équipage en équipage jusqu'à arriver sur celui du capitaine, je dirais, deux à trois ans avant qu'on n'arrive sur l'île.

Un soupire s'échappa de ses lèvres cette fois ci. Vraiment, si vieux. Et que d'aventures il avait eu depuis. Peut être était ce déjà l'effet de l'alcool mais se ressasser ces vieux souvenirs le laissait nostalgique. Il eut un sourire triste et lui retourna la question :

-Et toi ? Peut être bien que tu me l'avais déjà dit mais j'ai oublié.

Et cela l'intéressait en un sens. Surtout que Earl ne parlait pas beaucoup de lui. D'où venait il ?

-Evidemment. Tu me prends pour qui ?

Salazar ne put s'empêcher de pouffer, comme le gamin qu'il était - au fond - resté, devant l'indignation de son compère. Son regard suivit les gestes du navigateur, se figea sur l'ombre de ce dernier. C'était vrai, lui n'en possédait pas...

- Regarde ! J'ai une ombre et tout ce qu'il faut.

... mais bon, elle ne lui manquait pas vraiment non plus.

Salazar reprit :

- Si tu veux tout savoir, je suis maure. Ma famille vivait dans le désert et j'y suis resté jusqu'à mes... quinze ans ? Un truc du genre. Et puis un jour, je ne sais plus pour quelle raison, on a dû s'approcher de la côte. Et là j'ai découvert l'océan pour la première fois.

Il rit, Earl sourit en retour : l'histoire humanisait drôlement son collègue et c'était bien ainsi (c'était plus facile de vouloir sauver tout le monde lorsqu'on éprouvait de la sympathie... pour tout le monde, justement. Tout était donc pour le mieux dans le plus enfantin des mondes).

- Et je te l'ai dit, marmot je tenais pas en place alors évidemment, tout émerveillé que j'étais par cette découverte, j'ai fait la première chose stupide qui m'est passé par la tête, je me suis engagé comme mousse sur un bateau. Et ensuite, je suis passé d'équipage en équipage jusqu'à arriver sur celui du capitaine, je dirais, deux à trois ans avant qu'on n'arrive sur l'île.

Il avait l'air d'avoir le coeur gros, tout à coup, le Flûtiste. Nostalgie ? Sans doute, mais le médecin n'allait pas se risquer à le lui demander. Le récit l'avait déjà contenté.

- Et toi ? Peut être bien que tu me l'avais déjà dit mais j'ai oublié.

Earl laissa aller son dos contre le dossier de sa chaise, se balançant légèrement au passage. Son regard se perdit au plafond de la taverne.

- ... moi, je viens d'Angleterre. Je ne sais plus le nom de l'endroit, mais il y avait un circuit de course à côté. J'y ai travaillé en tant que mécanicien, avec mon père, puis mon père est parti à la guerre et... j'ai suivi Peter. A moins que ce ne soit à son retour ? Il ne s'en souvenait plus clairement.

Il continua de se balancer, fronçant et défronçant les sourcils au fur et à mesure qu'il tentait de reconstituer son histoire, puis reprit doucement :

- J'ai été Soigneur pour les Enfants Perdus, mais pas très longtemps. En même temps, chez eux, j'ai pris 10 ans en un coup. Ils ont pas apprécié, forcément ! Il commença à rire, puis, avec une vivacité étonnante, se remit en position statique, les bras sur la table et un éclat malicieux dans le regard.

- Tu connais la suite, non ? Je suis arrivée chez les Pirates, monsieur Obnova m'a pris sous son aile et maintenant, je m'occupe des bras cassés d'ici.

Nouveau rire, il porta sa chope à ses lèvres. Contrairement à son compère, il n'était pas vraiment nostalgique. Pas ce soir, du moins.

C'était au tour de Earl de parler, de raconter. Par politesse mais surtout par intérêt, Salazar l'écoutait avec attention. Le fait que le pirate soit d'origine anglaise ne le surprenait pas pour un sous. Après tout, presque tout l'équipage venait de Grande Bretagne ou d'Irlande ou îles associées. Certes, de temps à autre il y avait un européen d'un autre pays mais au final, les étrangers comme lui étaient si rares que cela finissait par être leur caractéristiques. Donc non, le fait qu'il soit anglais ne le surprit pas pour un sous. Par contre, qu'il ait été emmené par Peter, et donc de fait qu'il soit un ancien garçon perdu, le prit totalement par surprise, si bien qu'il faillit s'étouffer avec sa boisson. Tout ce qu'il avait cru sur son camarade de navire venait de s'écrouler en morceau.
Et pourtant, il continua à écouter, sans dire de mot. Il tiqua sur les dix ans, se demandant comment Earl avait bien pu réussir son coup. Quand, finalement, il s'arrêta de parler, Salazar prit une grande inspiration et choisit soigneusement ses mots.

-A vrai dire, non. Je ne le savais pas. J'étais persuadé que tu étais.. enfin... que tu venais de l'équipage originel.

Il avala une gorgée pour cacher son malaise. Il ne savait pas du tout comment réagir dans cette situation. Il aimait beaucoup Earl mais savoir ce fait changeait un peu sa vision du médecin.

-Tu... ressembles pas vraiment aux autres bannis. Ils sont moins... enfin tu vois quoi.

Pas sûr que le médecin comprenne cependant les sous entendus qui se cachaient dans ses hésitations. Mais surement qu'avec un peu d'imagination, il pourrait retrouver tous les reproches qu'avait Salazar. D'ailleurs ce dernier se mit à le frustrer d'un air interrogateur, comme s'il cherchait à deviner s'il disait réellement la vérité ou si tout cela n'était que mensonge. Cependant, il n'arrivait pas vraiment à déterminer aussi rajouta-t-il :

-Et, sans vouloir te vexer, je crois que tu as pris bien plus que seulement dix ans.

Car oui, aujourd'hui, le médecin du port devait avoir la cinquantaine facile. Quand diable avait-il grandi autant alors ? Le pirate prit une gorgée avant de demander.

-A quel âge es tu arrivé sur l'île ?

- A vrai dire, non. Je ne le savais pas. J'étais persuadé que tu étais.. enfin... que tu venais de l'équipage originel.

Il était hésitant, le Salazar ! Tout précautionneux, comme si on venait de lui faire une révélation désagréable. Sans cesser de sourire, Earl continua de le fixer.

- Tu... ressembles pas vraiment aux autres bannis. Ils sont moins... enfin tu vois quoi.

- Non, je ne vois pas. Répliqua Earl aimablement et visiblement amusé par le malaise de son compère.

Ce dernier le fixa avec une intensité presque comique, avant de rajouter :

- Et, sans vouloir te vexer, je crois que tu as pris bien plus que seulement dix ans.

C'était drôle, comme remarque. Enfin, Earl le pensait sincèrement, si bien qu'un rire s'échappa d'entre ses lèvres. Il but une gorgée de sa boisson, se sentant presque revigoré par l'étrange précaution avec laquelle Salazar s'adressait à lui. S'imaginait-il qu'il lui mentait ? Ce serait comique.

- A quel âge es tu arrivé sur l'île ?

Earl reprit un semblant de sérieux.

- Dix ans, à peu près.

Il poursuivit :

- J'avais vingt ans quand j'ai été banni mais j'ai continué de vieillir ici. Ça ne fait pas si longtemps que j'ai arrêté, d'ailleurs. Je crois.

Le temps était difficilement mesurable, par ici.
Avec une étincelle malicieuse dans le regard, il adressa un sourire à son interlocuteur :

- Alors, qu'est-ce qui me différencie des autres bannis ?

Il ne lâcherait pas, non, non.
En même temps, la remarque de Salazar l'intriguait assez pour qu'il insiste.