Voilà de quoi s’agacer encore plus. Faire les cent pas, attendre, incapable d’atteindre le but et ne pas pouvoir demander de l’aide. Enfin… si, il pourrait, mais Cyber n’en avait absolument pas envie. Il voulait éviter les gens, il irait à eux uniquement en dernier recours. Alors, il continua à méditer, fixant le haut d’une branche d’arbre. Il avait tenté de grimper, mais c’était trop haut. Et rien sous la main pour gagner en hauteur.

Point positif : dans les bois, y avait moins de gens.

Point négatif : l’un de ses précieux câbles usb servait de décor à un arbre.

Comment cette situation était-elle possible ? Simplement une bestiole qui avait voulu attraper le câble, puis l’avait abandonné dans les branches. Et le Hacker, lui, n’allait pas du tout abandonner le moindre élément moderne. AUCUN ne sera délaissé.

Il se massait l arrête du nez, avec un grand soupir.

Il était agacé, très agacé.

Cyber tira la chair de son visage, puis se frotta les yeux et finit par glisser les doigts dans ses cheveux en les tirant en arrière. La capuche tomba sur ses épaules, et ses mains finir jointes derrière la nuque.

Il était mal.

Il sentait la frustration, le manque d’écran qui se faisait présent. Très présent.

- Raaaaah bordel, bordel, bordel…

Les yeux tournés dans le ciel gris, décidément, ça ressemblait au béton. Mais bon, pas le bon béton de la ville, celui qui voulait dire que quelque part et partout il y avait des réseaux wifi.

Cyber se laissa tomber en tailleur au pied de l’arbre, et termina couché sur le dos. En grande observation de l’un de ses précieux qui servait de guirlande maintenant.

Alice se promène.

Alice est toujours une bonne maman, tu sais. Depuis peu les fruits ont recommencé à pousser dans les bois près du grand arbre. Et ses petits livreurs chéris vont bientôt rentrer de mission, alors Alice veut leur préparer un goûter avec ces fruits tous frais. Alice n’est pas très habile de ses mains et ne sait pas faire beaucoup de plats, ni rien de très compliqué. Mais les petits ne se sont jamais plaint de ce qu’elle leur prépare. Et puis, Pit lui a promis qu’elle était une bonne maman, tu te souviens ?

Alors Alice marche dans les bois.

Elle se souvient bien ce qu’elle est venue faire ici, mais l’idée s’estompe progressivement dans sa tête. Peut-être qu’elle oublie, ou simplement qu’elle se laisse distraire par autre chose. Le pas rapide, le regard fixant ses pieds. Alice n’aime pas beaucoup s’aventurer toute seule dans les bois, en fait. Elle a peur de s’y enfoncer trop loin et de ne plus pouvoir revenir. En plus, il fait encore, encore noir. Elle a si peur de se retrouver perdue en plein milieu de la nuit. Elle a peur, peur d’avoir peur.

Alors elle marche à toute vitesse.

Une voix.

C’est drôle, mais elle a l’impression de connaitre cette voix. Avec prudence, elle s’approche de là où elle provient… Elle n’aurait jamais du faire ça, tu sais.

Là. Couché au pied d’un arbre, sur le dos, à observer le ciel. Il est là. Lui. A seulement quelques mètres. Lui pour qui Alice respire. Son cœur s’affole, son visage se pare d’un rouge furibond. Que faire, que faire, que faire ?

Alice lâche un bruit bizarre, sorte de petit cri étranglé incontrôlé.

Elle se plaque les mains sur la bouche, et court se cacher derrière le premier arbre venu, non sans casser plusieurs branches mortes sous ses pieds – elle n’est donc pas très discrète, tu sais. Mais, les mains plaquées sur la bouche, elle ferme fort les yeux, espérant de tout cœur.

Pitié, qu’il ne m’ait pas vue, pas vue, pas vue, pas vue…

Alors que Cyber pensait toute la haine du monde à l’encontre d’un animal et même d’un arbre, un bruit bizarre lui fit tourner la tête. Dans la direction d’où il avait supposé que ça venait. Il crut voir une ombre, une silhouette, avec des craquements de branches. Bravo la discrétion.

Il se redressa, avec toute la non-conviction du monde en plus de la haine. Un temps, il ne bougea pas. Juste fixant la zone où la silhouette était allée se fourrer. Que faire ? Oh ! Cyber eut l’évidence en tête. On lui donnait de quoi exploiter, de quoi reprendre son câble qui ne servait à rien pour le moment. Là, le sourire était revenu. Pour une fois que les gens allaient être utile.

Enfin, dans la supposition qu’il s’agissait bien de quelqu’un. Et non de quelque chose.

Il se mit debout pour venir vers cette fameuse zone qui servait maintenant de cachette. Il observait, puis finalement, il fit le tour de plusieurs arbres avec une nonchalance visible, mains dans les poches.

Et, bingo. Lorsqu’il se pencha pour voir derrière un arbre qui semblait cacher une chemise blanche, il trouva une humaine.

C’était qui déjà… ? Ah oui ! Alice, la Mère des Livreurs. Les Mères, ça, il arrivait à les assimiler dans sa mémoire. Bon, et aussi, il se souvenait d’elle. Elle avait un comportement un peu étrange, il lui avait aussi donné un bracelet. Parce qu’il l’avait croisée alors qu’elle pleurait. Et qu’il voulait s’en débarrasser. Réconforter, c’était pas trop son trip.

Internet est cruel. Cette île l’était tout autant.

Bon, il lui avait rendu service. Et même si elle semblait être du genre très très timide, il allait pouvoir l’utiliser pour atteindre son trésor perdu.

- Heeey, Alice.

Politesse de saluer, en soit, mais très vite il fallait passer à ce qui l’intéressait avant les relations humaines.

- Dis, toi qu’est toute légère, tu pourrais m’aider dans une toute toute petite quête ? S'il te plaît. Je peux te montrer un lolcat après pour te remercier.

Les filles aimaient bien les chats, non ?

Il avait joint les mains comme si ça allait appuyer sa demande. Il n’avait aucune idée si la Mère pourrait l’aider, ou voudrait bien l’aider. Mais il estimait qu’elle lui devait bien ça. Il lui avait prouvé qu’il pouvait être sympa, non ? Et on aide les gars sympas, non ?

Tant qu’on sait pas encore qu’ils sont juste des trolls.

On pourrait dire qu’il ne fallait pas toujours faire confiance à Cyber, qu’il paraissait sympa, mais pourtant il trainait des crasses derrière lui. Cependant, ici, il n’avait plus moyen de jouer à ça. Plus d’internet. Un pirate sans mer ni bateau. Enfin, si, il avait son « bateau », son smartphone et son ordinateur portable. Mais il n’avait pas l’océan numérique. Il n’avait plus moyen de jouer avec les pantins humains.

Promis, Alice, Cyber n’était plus qu’un requin sans aucune dent.

Et puis, il venait de faire de gros efforts de socialisation. Lui qui n'aimait pas toujours interagir. Une légère tremblote prenait ses mains, il était en panique en fait. Sa précieuse technologie lui manquait.

Les yeux fermés, les mains sur la bouche, comme si elle se persuadait que comme ça, elle disparaitrait. Elle essaye de faire le moins de bruit possible, d’effacer totalement sa présence. Que personne ne l’entende, que personne ne la voit. Et elle s’en veut, s’en veut de ne pas être invisible, et de ne pas savoir courir très vite. Elle s’en veut de porter cette jupe qui la gêne pour courir. Et ses bas aussi qui descendent si elle court. Car elle veut courir, tu sais, courir si vite qu’elle le peut pour s’enfuir et qu’il ne la remarque pas.

Trop taaaard, chante une petite voix dans sa tête.

Il l’a vue, il l’a retrouvée, et s’est planté face à elle pour la saluer. Alice lâche un cri étranglé et se plaque contre l’arbre qui lui servait jusque là de refuge. Ses yeux s’écarquillent plus que de raison. Et elle sourit. Elle sourit de plus en plus jusqu’à s’en rider les commissures. Tu serais incapable de dire quelle émotion la traverse en ce moment. Mais ça ressemble à une étrange terreur.

Alice a peur d’avoir l’air bizarre, et plus elle en a peur, plus elle le devient.

Ses traits se détendent tandis qu’il lui demande un service. Son sourire se fait un peu plus normal, à défaut d’être naturel, il a un peu plus l’air d’appartenir à une fille normale de quinze plutôt qu’à une malade mentale. Elle n’est pas malade, tu sais. Pas malade, pas malade du tout. Elle n’a pas besoin de médecin, ni de médicaments ni de rien d’autre. Elle est normale, normale, normale.

C’est ce dont elle tente de se persuader tandis qu’il lui demande d’accomplir une quête pour lui en échange de voir un lolcat. Tu sais, Alice déteste profondément tout ce qu’on peut trouver sur internet. Si elle avait eu un écran avec un lolcat dessus face à elle, elle l’aurait certainement éclaté à coup de poings. Internet est ce qui a détruit sa vie. Internet est ce qui l’a rendue comme ça.

Mais c’est Cyber, et dans sa plus grande infortune, tu sais qu’elle ne peut rien lui refuser.

Alors elle sourit.

- Ah ! Euh, oui, enfin, si tu veux. Je, je, je ne sais pas si je serais très utile, mais, euh, je, je peux essayer, c’est, c’est vrai que je suis plutôt légère, et… Ah ! Que, quoi, qu’est-ce que tu veux ? Que je fasse ? Je serais heureuse, heureuse, teeeeeellement heureuse si je pouvais t’aider, Cyber ! Alors, alors, dis-moi, de quoi il s’agit ? Je crois que je ne peux pas voler, par contre, alors, désolée si c’était ça, mais, enfin, je veux bien essayer, quand même.

Alice parle vite, très très vite, comme à son habitude. Elle a l’habitude de dire des choses sans queue ni tête. Elle en a tellement l’habitude que àa lui semble normal à présent. De bégayer, de parsemer ses phrases de gloussements nerveux, de resserrer ses poings à chaque mot au point que ses ongles ne lui transpercent la peau.

Tu sais, elle a tellement, tellement envie de l’aider. Peut-être qu’il la remarquera, comme ça.

Alice devait être de ces gens qui ne sont pas toujours à l’aise avec les autres personnes. Cyber ne pouvait pas lui tenir rigueur de l’attitude étrange, lui-même pouvait se comporter de manière assez taciturne. Mais il se félicitait de pouvoir outrepasser l’handicape lorsqu’il en avait réellement besoin.

Tant qu’il y avait un but, pour lui. Toujours ce fond égoïste.
Le Hacker mit toute sa concentration sur ce que la Bancale lui répondit. Chose peu aisée… elle parlait si vite et il y avait des bugs. Enfin… elle bégayait et on sentait vraiment qu’elle n’était pas à l’aise.

Avec de l’effort, l’Artisan parvint à comprendre. C’était donc positif. Elle allait l’aider, c’était parfait.

- Nickel alors. Suis-moi.

Cyber se mit en marche pour son spot d’origine, vers ce satané arbre auquel il ne parvenait pas à monter.

Une fois arrivé vers la plante, il pointa le câble du doigt.

- Me demande pas comment, j’me suis foiré. Maintenant il faut que je le récupère, mais j’atteins pas la branche.

Il mima en levant le bras avec nonchalance avant de reprendre les explications. Ravalant sa misanthropie le temps de régler le foutu problème.

Il détestait vraiment ça.

- Donc, tu pourrais grimper sur mes épaules peut-être et tu attrape mon câble. Mais faudra qu’on se magne, je suis pas un genre de sportif. Même si t’as l’air légère.

Qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire pour récupérer un précieux matériel ? Sans doute qu’il fallait tout faire. TOUT. Dans la mesure du possible. L’adolescent faisait de son mieux pour ne pas paraître trop dirigiste, trop sec. Il avait même gardé son air détaché au lieu de faire un peu plus la tête. Un minimum, c’était déjà pas mal pour lui.

Alice flotte.

Ses petits pieds trottinent à la suite du garçon perdu, comme sur un nuage. Elle est contente, tellement contente, Alice. Elle a réussi à parler à Cyber, et puis, il ne l'a même pas trouvée bizarre. Peut-être qu'au fond elle ne l'est pas tant que ça alors ? Ravie, enchantée, la petite mère suit, flottant sur son nuage comme si elle était en rendez-vous amoureux. Comme elle est naïve, Alice. Elle ne se doute même pas qu'il se sert d'elle pour régler son problème, qu'il n'en a rien à fiche de sa personne en réalité. Si elle savait, Alice. Elle en serait dévastée, tu sais. Il vaut mieux qu'elle n'en sache rien, pas vrai ? Laisse-la flotter encore un peu.

Son regard guilleret se pose sur l'arbre où il était assis précédemment. Alice fait semblant de ne pas connaître cet arbre ; il ne faudrait pas que Cyber sache qu'elle était là juste avant, il y avait à peine quelques minutes, à l'observer de loin. Sinon il trouverait ça bizarre. Tu sais, Alice ne veut pas lui faire peur. Elle est déjà bien assez loin de lui comme ça, tu ne trouves pas ? Alors Alice fait semblant. Tu sais, Alice est une championne pour faire semblant. Si le mensonge était une discipline olympique, Alice serait médaille d'or, ça, c'est sûr.

Alors Alice tend le cou vers le câble pendu en haut de l'arbre. Cette vision lui fait avoir un frémissement d'effroi. C'est avec un câble similaire qu'elle a pendu son portable, le soir où elle a failli mourir. Alice écarquille les yeux et fait un pas en arrière par mégarde. Des flashs hallucinatoires lui font s'imaginer elle au bout de cette longue rallonge électrique. Elle se voit la nuque craquée, les yeux exorbités, la langue dehors. Cyber veut qu'elle meurt, alors ?

Alice lâche un gloussement étranglé.

Ses lèvres s'étirent à nouveau en un rictus bien trop large, toutes dents dehors. Alice glisse sa main droite sur son poignet gauche, et sa main gauche sur sa gorge. Et elle gratte, gratte, gratte.

- Je, je, je vais aller le chercher. Mais, ne, ne me fais pas. De mal. Je. Je te promets que je vais te le ramener. Alors, alors, alors, s'il te plaît, ne, enfin, tu vois, je, je veux pas. Mourir. D'accord ? Promis, je, j'y vais. Promis. Promis. Promis.

Alice ne flotte plus.

Sa voix se fait suppliante. Ses longs ongles déchirent ses chairs et bientôt, la voilà qui se met à saigner du poignet et de la gorge. Elle fixe le sol de ses grands yeux de poisson mort, ce sourire terrorisé comme figé sur ses lèvres. Cette fois c'est sûr, Alice a l'air bizarre.

Alors elle ignore les conseils de Cyber qui propose de la porter sur ses épaules. Elle s'attaque directement à la source du problème et s'en va grimper à ce fichu arbre. Mais tu sais, Alice ne sait pas vraiment monter aux arbres. Mais bon, elle essaye, quand même. Elle veut que Cyber soit fier d'elle, tu vois. Du moins qu'il arrête de vouloir la tuer -car elle s'en est déjà persuadée-. Peut-être que descendre ce câble de là lui permettra d'éviter de finir pendue.

Alice grimpe.

Enfin au moins, elle essaye de grimper. Ses doigts s'écorchent contre le bois, ses chaussures s'abîment, ses cuisses et son ventre frottent et se griffent. Et elle monte, monte, monte, tant qu'elle le peut. Elle s'agrippe, se hisse, presque désespérément. Et finalement elle atteint enfin la petite branche où est coincé le câble. Alors elle se tend, essaye de l'atteindre. La branche est fragile. Mais Alice est assez légère, pas vrai ? C'est Cyber qui lui a dit.

Oh non, Alice est toute sale, maintenant.

Bizarrement, Cyber n'avait pas l'impression qu'Alice l'écoutait. Il en eut la confirmation lorsqu'elle se mit à parler. Il fut un peu perdu à ce moment, ne comprenant pas trop l'attitude qui se mettait en place. Et surtout... elle disait des trucs vraiment étranges.

Il se contenta de la fixer, tentant de trouver une blague cachée... peut-être ? Mais franchement, il avait un gros doute sur ça.

- Jecomptepastefairedemalqu'est-cequetuchantes- ah! ...

Il avait parlé très vite un peu dans sa barbe, parce que ça le vexait qu'on ne l'écoute pas correctement. Mais, il avait terminé sa phrase par une exclamation en voyant ce que la Mère se faisait.

- Heu...

Certes, il se fichait complètement de ce qu'un imbécile d'humain pourrait se faire, mais quand même...

Le Hacker suivait du regard Alice, la voyant s'acharner à grimper à l'arbre. Puis maintenant de tendre la main pour attraper le maudit câble.

Elle ne l'avait absolument pas écouté. Pas une seule parole. Ça l'agaçait, qu'on ne suive pas le plan déterminé. Maintenant, on allait peut-être le brimer parce qu'à cause de lui... une Mère s'était blessée.

Il se frotta le visage, sentant qu'en plus de ça la nervosité augmentait par manque d'écran.

Cyber fit les cent-pas, finalement il s'avança jusque sous la branche.

- Alice ! Fais gaffe, tu vas te faire encore plus mal. Essaie plutôt de secouer la branche, on s'en fout où tombe le câble, c'est pas fragile.

Comment est-ce que la Bancale allait faire pour descendre de ce foutu arbre maintenant ? Le Hacker se posait déjà la question. Elle aurait vraiment dû l'écouter, bordel.

- Après, tu veux faire comment pour descendre ? Faut pas te péter la gueule, tu t'es assez fait mal là.

En fait, actuellement, Cyber ne savait pas du tout comment juger Alice. Y avait un truc vraiment bizarre dans la réaction, mais... il le mettait sur le compte du passé. Ici, y en a beaucoup qu'ont pris cher dans le monde ordinaire.

Il avait aussi vu des trucs sales dans le Dark, ou simplement sur les réseaux sociaux. Pas besoin d'aller loin. C'est bizarre, les humains, hein ?

Est-ce qu'il allait devoir faire de la psychologie avec elle ? Pour qu'elle se massacre pas plus ? Aucune idée, mais cette possibilité l'inquiétait un peu.

- Hey, je pars pas tant que je suis pas sûr que t'arrive à descendre sans d'embrocher, k' ?

Bon, Cyber avait vraiment pas envie qu'on vienne l'accuser de meurtre sur une Mère en fait. Il imaginait déjà le pire des scénarios pour sa propre pomme.