Eau. Eau eau eau eau eau Père nous revoilà.

O nage. O vérifie que leur chère île va bien et n'a pas été blessée pendant leur absence. O vérifie avec attention chaque corail, chaque récif. La Grande Goutte est là, infinie comme toujours.

Cela fait quelques temps que tout le monde est rentre. Du moins ceux qui ont pu. Et pourtant quelque chose a change. Les anciennes captives restent faibles et souffrantes. O chasse pour elles, mais ce n'est pas assez. Jamais. Alors O cherche d'autre proies. O, de temps à autres, s'aventure sur la terre ferme une fois la nuit tombée. Le premier soir ce n'est que se hisser plus haut que la marée, sur le rivage. Observer les jambes. Revenir dans l'eau. Voir ses tentacules qui réapparaissent. Mais au fur et à mesure, la Doyenne se fait plus hardie. Elle marche un peu plus, s'est même aventurée dans la forêt depuis les berges de la rivière mystérieuse. Pour l'expérimentation, pour apprivoiser le traumatisme de cet abandon soudain lors de leur epopée au Monde Ordinaire. Même hors de l'eau, Père est là.

Elle s'entraine, la doyenne, a percevoir ses soeurs et l'Ocean même depuis la terre ferme. A sentir la Grande Goutte et son infinité de vies qui fourmillent et grouillent à l'abris des regards indiscrets.

Elle se souvient du festin dans le Musée. Se souvient de la leçon : oui, elle peut faire venir la nourriture à elle dans les eaux. Mais il lui est aussi possible d'aller à son encontre sur la terre ferme. Et ça, c'est une toute nouvelle dimension de chasse qui s'ouvre à elle.

Chasser sur terre.

Pourquoi cela lui rappelle-t-il quelque chose ? Une course dans la forêt qui traverse sa conscience. Le sang vermeil, et la chair tendre qui la fait saliver sans qu'elle ne puisse se rappeler d'où vient ce souvenir. Ba-boum. Pourquoi ?

Et puis finalement, un appel. O venait d'attraper un perdu, tendre encore. Dans la forêt. Chasse. Nouveau territoire. Il est plaqué au sol, avec elle à califourchon dessus. O est sèche et vieille mais étonnamment forte. Et elle allait le manger devorer festoyer oui ! Ba-boum encore un peu. Elle allait croquer savourer quand l'appel se fait. Tenu, mais insistant. Elle entend. La sirène s'immobilise. Se deplie. S'en va. L'autre au sol, il la regarde faire avec un melange de surprise et de soulagement, mais elle est déjà partie.

PLOUUUUUUFFFFssshhhhhhhh.

Les remous chatouillent la peau élastique de la Doyenne alors que celle-ci s'enfonce dans les eaux douce de la rivière pour rejoindre à toute allure l'ocean. Père père père appelle. Appel de l'eau, appelle O.

Coquillage. Mission. Sauvetage. Soeurs, oui, aider soeurs !

Tapie dans un renfoncement de roche en péripherie de la lagune, à quelques mètres de la surface, elle t'appelle a son tour. Coquillage, jeune, energique soeur. Coquillage dont elle se souvient du bleu ocean. Et, fidèle, tu réponds à son appel. Tu viens à elle, alors qu'elle écoute son père et l'admire.

Ses tentacules jouent un peu avec toi, te saluent à leur manière. Deux longues mains osseuses effleurent délicatement tes coquillages comme on jouerait quelques notes sur un piano.

Soeurs malades. O Coquillage aider. O Coquillage chercher vase. Vase aider. Cité d'eau, Vase noye. Chercher. Chercher ramener boire. Aider aider soeurs!

Les mots de O sont souvent un peu décousus, mais également toujours accompagnés de pensées et d'accents télépatiques lorsqu'il s'agit de ses soeurs. Un tentacule se ventouse tendrement à ton bras et O t'attire à elle, commence à se diriger vers la cité engloutie.

Tenir sœur main tentacule. Tenir nager nager sentir. O ondule et file dans l'eau, toi à ses côtés. Sereine. Mais inquiète ne même temps. Tout est beau autour, en tout cas à son avis. L'Océan a toujours été pour elle le paradis ultime, où tout commence, tout se passe et tout se termine. L'Océan en lui même est toutes les temporalités réunies en un seul endroit. Alors que vous nagez, O en finit rapidement par oublier pourquoi vous vous rendez à la Cité. Elle sait juste que vous y allez, que c'est votre destination. Mais le plaisir de nager avec une sœur prend le dessus, et elle se sent juste bien. Un moment parfait, dans l'ordre des choses, à être en osmose avec son monde. Ne manque peut-être qu'un petit quelque chose à grignoter. Bulles et anémones, poissons et crustacés. Nager.

Nager.

Nager.

Nager. Et puis finalement elle se découpe tranquillement. De toute sa splendeur, la Cité vous attaque le rétine et entache vos regards de sa majestueuse beauté. Ce n'est pas vraiment l'élégance des bâtiments qui touche O. Après tout, elle considère cet endroit comme façonné par votre père au même titre que les récifs ou les grands fonds obscures. Mais c’est justement ça qui l'émeut toujours. L'amour inconditionnel de son élément. D'une extension d'elle-même en quelque sorte. Ba-boum. Son cœur s'emballe d'amour et elle accélère encore un peu.

Vous arrivez enfin et. Et tu lui poses une question. Allez où ? Où quoi ? Vous êtes arrivées, non ? O plisse les yeux en t'observant, tâchant de faire le lien avec ce que tu lui dit. L'incompréhension se voit sans doute sur son visage. A son âge on a moins de mémoire. Surtout quand on se sent connecté à l'Océan tout entier.

- Chercher.. Nager ?

Elle n'est pas vraiment sûre de ce que vous cherchez à vrai dire. Mais il y a cette impression obscure que oui, vous êtes bel et bien en quête de quelque chose. C'est pour les sœurs, elle en est presque certaine. Un sifflement incertain s'échappe de ses lèvres. Vase. Ce mot est remonté à la surface de sa conscience, sans qu'elle sache vraiment quoi en faire.

Vase.

- Chercher !

Et O part droit devant. Comme ça.

Parce que de toute manière elle ne connait pas les lieux par cœur, qu'elle s'amuse au contraire à les redécouvrir à chaque visite. Il y a toujours quelque chose de différent, de nouvelles anémones, des poissons curieux aux nouvelles habitudes. Alors s'occuper des breloques statiques, bien sûr, elle s'en soucie généralement moins.

- Caché chercher !

Et la connaissant, elle serait tout à fait capable de regarder même dans les plus petites fissures, quitte à y glisser son corps mou et élastique.

Chercher. Chercher nager, nager chercher. O furète ça et là, toi à ses côté. Son corps sans consistance se glisse dans quelques fissures en vain, ses yeux d'abysse épluchent les riches corridors de quelques bâtiments morts. Rien. Rien qui ne soit le vase, ce vase. Tes doutes et tes questions imbibent son esprit déjà peu sûr d'elle. O doute, O angoisse de ne pas trouver ce bibelot. Pourquoi important ? Oui il peut sauver, mais en même temps cela lui semble abstrait. Et pourtant O nage, cherche, tout comme toi. Combien de temps ? Bonne question. Il y a juste ce mot d'ordre qui hante son esprit. TROUVER VASE.

Soudain du bleu ! Deux mains fermes qui agrippent ses épaules, et tes yeux d'or qui cognent à ses rétines de nuit. O cligne des yeux, t'écoute. Cligne à nouveau. Ses tentacules incertains s'accrochent un peu à toi, d'autres retournent ça et là un caillou ou écartent une algue comme pour continuer à chercher. Poissons. Appeler poissons.

- Poissons ?

Poissons. Poissons ! C'est pas bête d'appeler les poissons. Poissons amis. Poissons gentils. Soudain, ses lèvres trop fines se fendent d'un sourire étrange. Autre, mais pas moins sincère. Poisson aider ! Une caresse sur ton bras -oh ! Coquillage tu es là merci !- et ses tentacules t'enlacent un peu plus avec tendresse. Voilà pourquoi Père Océan te voulait avec elle. O est certes de bonne volonté, puissante et parfois même redoutée. Respectable et sans doute respectée. Mais O n'a plus autant sa tête qu'avant, pas de la même façon. Ce genre de quête est bien difficile pour elle, qui n'a plus que l'instinct et l'empathie pour la guider.

- Coquillage appeler aussi.

POISSONS.

POISSONS !

POISSONS. VASE. SACRE. POISSONS AIDER. POISSONS VASE.

POISSONS !

Elle crie sans un son, mais très fort. Sa vague d'empathie, télépathie, ou autre. O ne sait même plus comment appeler ça, comment le nommer ou l'expliquer. Elle sait juste le faire, utiliser cette force qui l'unie à son élément. Fermement arrimée à toi, O appelle ses compagnons. Et ils viennent. Sans doute plus rapidement si tu joins ton appel au sien, mais ils viennent, s'amassent autour de vous, virevoltent et s'agitent. Aujourd'hui l'Océan tout entier semble s'être donné rendez-vous à la cité Engloutie. Ils sont là, jouent parfois un peu avec vous. Ils attendent la suite. Les ordres. Les demandes. Quand enfin autour de vous le monde semble être davantage fait d'écailles que d'eau, O se redresse et tourne sur elle même doucement, autour de toi sans jamais rompre le contacte. C'est un vestige de ce qu'elle fut sans doute, mais O a presque du prestige quand elle parle à l'assemblée.

- Poisson trouver vase. Vase sacré pour soeurs. Vase dans cité. O Coquillage chercher.

Un regard vers toi. Ton tour de parler. Votre mission, à vous deux.

Les poissons sont là, les mollusques, les crevettes. L'Océan tout entier a envoyé ses enfants, et la vie grouille et pulse dans la cité engloutie comme celle-ci n'en avait sans doute plus vue depuis bien longtemps. L'appel, votre appel à toutes les deux, est fort clair. Et ils y ont tous répondus. Ils sont là. Avec vous. O se le répète encore et encore, s'émerveille de ce spectacle. De votre collaboration. D'un peu tout. Et comme toujours, la Doyenne partage ses émotions avec tout le monde. Elle diffuse cette sereine satisfaction, cet émerveillement de vous tous.

Tes mots, Coquillage ! Heureusement que tu es là, oui. A pouvoir mieux. Elle t'approuve, approuve ton message et tes belles phrase si joliment formulées. Ses tentacules et son corps tout entier prend la teinte du tien, comme pour être à l'unisson de ton grand coeur. Et quand enfin quelqu'un répond à votre appel, qu'un petit poulpe bloblote une réponse, O bat des mains comme une enfants. Son corps devient violet lui aussi et se détache de toi pour envelopper le petit animal. Tentacules à tentacules, violet sur violet. Unis. Amis.

- Vase ? Vase où ? Ami aider montrer Coquillage O soeur aider.

Elle ramène son nouveau compagnon vers toi, te le montre. Puis le soulève et lui montre toute la cité. Ouvre délicatement ses mains pour qu'il ouvre le chemin.

- Blub.. Suivez-moi blblbl..

Le petit poulpe vous mène vivement à travers le dédale de la cité. Il hésite parfois, mais toujours retrouve son cap. Il ne faut pas longtemps à O pour tout simplement suivre et ne plus se poser de questions. Pour rentrer, il suffira de nager au dessus de la cité. C'est un vrai labyrinthe, et une fois de plus la sirène se réjouit de vous avoir avec elle. Vous arrivez finalement devant un bâtiment à moitié écroulé, une peu en périphérie du "cœur" de la ville. L'entrée est bloquée et d'ailleur votre guide ne s'y arrête même pas. Vous contournez le bâtiment et tombez nez à nez avec une deuxième entrée, plus menu. Ce n'est même pas une entrée mais comme une ouverture vers une cave. Un rocher le bloqué, sans quoi cela aurait fait un bon passage.

- Blblbl. Le vase est là dessous, dans un coin du bâtiment. Tout est plus ou moins écroulé à l'intérieur blbl. Avec des amis on y va parfois, c'est comme ça que je l'ai vu blbl. Mais il est trop lourd pour que je puisse vous l'amener.

O s'approche, essaye de se glisser dans l'interstice, mais l'espace est trop menu même pour elle. D'un coup, elle se retourne vers toi et enroule ses tentacules autour de tes bras.

- Coquillage soulever rocher ? O passer dessus O eau fine coule Coquillage forte aider.

Que penses-tu de ce plan ?

Vase caché coincé O Coquillage retrouver ramener.


C'est ce qui passe en boucle dans sa tête, à la doyenne, alors que ses tentaculent frôle la roche qui leur fait obstacle, encore et encore. Vase caché coincé O Coquillage retrouver ramener. Pas le droit d'échouer, non, pas le droit. Soeurs en danger. O rampe, se colle un peu plus à la paroie alors que ses tentacules roulent impuissants contre cette barrière naturelle. O ne prend même pas garde à ton hésitation, à vrai dire. Elle a formulée une idée, oui, que tu soulèves la roche. Mais aussitôt cela exprimé, c'est comme si l'idée avait physiquement quitté son esprit. Ne reste qu'une femme pieuvre qui inlassablement tente de se glisser entre la roche, de trouver un passage.

Soudain, deux mains. Une, bleue, large. Devant elle. Curieuse, O la poque de la tête, recule soudain d'un mètre ou deux. La main possède un bras, un corps. Soeur. Coquillage. O l'avait oublié, toute à sa quête d'un passage vers le vase. Une fois de plus, un noeud dans ses entrailles, un frisson. C'est plus impérieux qu'auparavant, maitrisable encore, pourtant. La FAIM.

Quelques bribes de sa conscience dérivent un peu plus loin encore. O oublie le vase, O tend ses sens pour la chasse..

Une voix. Une bouffée de fierté et de joie. Toi. Soudain, O se retrouve à nouveau ici, à tes côtés. Le rocher repose plus loin, et devant vous une petite cavité obscure donc les remous vaseux ne dissimulent pas tout à fait la forme. Son cou se tend vers l'ouverture, ses tentacules se tortillent soudain furieusement. Un battement de coeur, et..

.. Elle est déjà dedans, à rouler contre les gravats pour agripper férocement le vase que vous convoitez tant. Elle se souvient, vaguement. Détresse. Soeurs. Danger. Vase aider vase ramener. Focus ! Dans un effort, un dernier effort contre le montre qui lui dévore les entrailles, O garde le précieux objet contre elle et ressort du trou. En d'autres occasions, elle s'y serait plu. Peut-être y reviendra-t-elle, si le souvenir tient assez longtemps dans sa mémoire. Quand tu la vois à nouveau, elle est de toute évidence agitée.

- Vase rentrer soeurs guerir aider chasser manger chasser FAIM.

Le dernier mot, elle l'a ponctué d'une vague télépathique de cette famine qui la gangrène tout entière. O commence à en sentir la douleur, les boyaux qui se tordent. Encore un peu, et elle aura l'impression de se digérer elle-même. Assez longtemps, et elle en oubliera ses soeurs pour ne penser qu'à la FAIM dévorante qui a dominera.

Rentrer. Rentrer vase donner soeur sauver chasse.

Faim.

FAIM.

O est contente. O satisfaite. Vase trouvé. Sorti. Oh, soeurs sauvées ? Ses tentacules ondulent frénétiquement, de joie et de nervosité à la fois. Elle te regarde furtivement, puis se concentre en direction du rivage. Son corps se teinte ça et là de rouge, d'ocre, de noir, de plusieurs teintes qui traduisent sa tention contenue.

Tu prends le vase, que son esprit inconstant commençait dejà à oublier. Oui, prends le. Prends le, il vaut sans doute mieux. Elle te le laisse bien volontier, et te suit docilement quand vous commencez à rentrer vers la lagune. Mais c'est lent. Trop lent. Un nouveau spasme qui la secoue tout entière alor qu'elle nage, et ses tentacules qui se crispent et se recrovillent tant la faim la submerge. Faim. FAIM. Manger ronger rogner faaaim ! O bave un peu en se laissant songer à la viende, et son estomac se noue un peu plus de famine.

Tu vérifies de temps à autre qu'elle te suit, mais peut-être que tu ne remarques pas malgré tout qu'elle s'échappe à moment donné. Ou peut-être que si, tu le vois. Toujours est-il que la Doyenne file à tout allure pour chasser manger croquer. Elle est si affamée que cette fois elle ne prend pas la peine de choisir sa proie, de lui parler, de jouer ce jeu habituel du sourire et de l'enchantement. Dès qu'elle voit un debout, l'Originel chante sans hésiter, et l'engloutit en quelques minutes sans ne sentir quoique ce soit d'autre que son estomac qui enfin s'apaise un peu. Une fois l'humain gobé, O file, file file ! Rejoindre Coquillage, vase, mission ! Soeurs malades, soeurs aider ! En vérité, c'est bien une des rares choses qui puissent lui faire garder le cap, avec la faim.

Elle te rejoint donc discrètement peu de temps avant que vous n'arrivier à la Lagune. Et puisque tu ne demandes pas où elle éait, O ne pense même pas à te donner une quelconque explication. Faim, chasser, revenir. Cela lui semble évident.

Vous arrivez ensuite à la Lagune, et là Coquillage tu prends la parole. O sait que tu es meilleure qu'elle à ce jeu, elle te cède donc volontier la place. De son côté, ses sens se tendent autour, pour voir si un autre Debout rôde dans le coin. Faim. Encore. Il y en a bien un, que tu lui amènes gentiment, et O en voyant la chair, ne se pose pas de question. Ce n'est qu'en sentant une pensée de faim de la part d'une de ses soeurs -celle qui justement avait la viande- que O s'interrompt. Faim. Soeur. Veiller. Protéger soeur.

O s'apprête à lui donner de la viande -protéger soeur- quand tu reprend la parole. Merci. Merci quoi ?

- Coquillage nager chercher. Appeler poissons. Porter vase aider soeur. Soeur Merci Coquillage.

Une caresse de ses tentacules, et la Doyenne repart à la chasse. Non sans lâcher la viande vers la sirène avide.

Il faudra plus d'un humain, pour combler sa faim à elle.
Mais soeurs protégées.