C'était une de ces journées où il pleuvait, sans plus, mais inlassablement. Il n'y avait pas de trombes d'eau tombant du ciel, non, juste une pluie, fine, sans interruption, formant comme un fin rideau brillant.
Celle qui commence à vous mouiller doucement les cheveux, puis le visage, puis les vêtements. Celle qui fait onduler votre chevelure. Certes, cela peut plaire à certaines demoiselles, dont fait partie Heaven. Mais ce qu'elle appréciait moins, c'est le fait que lors de ce temps là, ses mèches se collent les unes aux autres, rendant ses cheveux pareils à des "baguettes de tambour" (dixit Maman dont la Récolteuse ne se souvient plus) et les plaquant tout contre son visage, leur donnant ainsi un bel air de serpillère dégoulinante.
Là, le phénomène était, disons, moins important, étant donné la longueur de sa chevelure en ce moment présent. Le reste de ce qui avait enfin commencé à faire sa fierté était entre les mains d'un Pirate, le même qui avait ravi tant de choses aux habitants du Grand Arbre.
En grande partie, des pieds, et des vies.
Mais aussi une casquette, et maintenant, des mèches de cheveux rose bonbon. Qui sait ce qu'il allait bien en faire ! Peut être les considérait-il comme un souvenir de la personne qu'il avait menacé de tuer la prochaine fois ? Histoire de dire, "la fille aux cheveux roses, je la raterai pas."
Il pourra toujours courir, ce sale
V.I.P. aux dents gâtées ! D'ailleurs, il aurait au moins pu lui faire un carré proprement, au moins elle n'aurait pas eu de remarques à ce sujet.
Enfin, bon, il était inutile de penser à une chose pareille maintenant, surtout pas en ce lieu. Car ici, Heaven pense à autre chose : elle songe aux animatroniques qui y sont présents, se demande s'ils ne rouillent pas avec toute cette pluie, si le toit du restaurant les protège bien. Et puis, elle n'est pas venue pour rien : elle attend quelqu'un :
Silver.Tous les jours, en début d'après-midi, elle se rend au Parc d'Attractions. Ils ont prévu de s'y donner rendez-vous, il y a longtemps. Mais impossible de fixer une date, la notion de temps étant absent -ou du moins, diférente- sur l'Île. Alors la Mésange revient, inlassablement, près du Carrousel, et elle regarde aux alentours pour voir si son proscrit n'y est pas.
Espoir et
patience sont les maîtres mots.
Surtout qu'il lui manquait cruellement.
Cette fois, elle n'est pas la seule à l'attendre.
Assise en amazone sur l'un des chevaux de Russel (le nom qu'elle avait elle-même donné au Carrousel), un Lapelote se tient à ses côtés, assis sur l'arrière-train du cheval de bois, occupé à faire sa toilette.
Cette petite chose était devenue sa petite protégée depuis le jour où elle avait dû ramener de un mouton à Pit. La Récolteuse avait dans l'optique d'aller en chercher un en compagnie de Pretty, ce qu'ils firent. Après s'être fait arrêter par toute un groupe de Lapelotes, la Mésange avait fini par repartir avec l'un d'eux, une petite femelle qui s'était attachée à elle pour on-ne-sait quelle raison et ne quittait plus son épaule.
Heaven avait par la suite réussit, par elle ne sait quel miracle, à le dresser. Ainsi, la petite lapine cotonneuse qu'elle avait prénommé Patchouli réagissait à son nom et quelques ordres simples, tels que "Viens" ou "Ne bouge pas", ordres prononcés uniquement en français.
- Russel, un peu de musique ?Fit-elle d'une petite voix, rejetant la tête en arrière, fixant les mécanismes faits de sortes d'étranges poulies, donnant leur mouvement de course aux chevaux du manège, celui de balancier du carrosse, qui commençaient à lentement se mettre en marche.
Haut, bas, haut, bas...Le cortège de chevaux de bois et d'autres animaux, et véhicules, divers et variés, s'ébranla au rythme de l'orgue présent au coeur de Russel, qui jouait
Fontaine Lumineuse.
Comme en réponse à cette musique, le Parc commença à s'animer, et l'on pouvait entendre au loin des échos de différentes bruitages et musiques de toutes les époques; pop, techno, rock, swing...
À moins que ce ne soit parce que quelqu'un d'autre venait d'entrer !
Ça, Heaven ne s'en rendit pas tout de suite compte. La tête toujours rejetée en arrière, maintenant les yeux clos, elle se laissait porter par la musique et le mouvement du manège. Ce ne fut que lorsque Patchouli commença à lui donner de petits coups de patte sur les cuisses, que la Récolteuse remit vivement sa tête droite, affichant un grand sourire.
D'un ton à la fois joyeux et soulagé, elle s'exclama, parlant rapidement :
- Arrête-toi, Russel ! C'est toi, S-Elle s'arrêta aussi net, en même temps que le Carrousel cessa toute activité. Mouvement, et musique comprise. Seule celle des autres attractions pouvait se faire entendre au loin, comme un écho.
Elle avait ouvert les yeux avant de commettre l'irréparble en prononçant de nouveau un nom interdit devant un Perdu. Car ce n'était pas Silver qu'elle avait en face d'elle, mais une fille, blonde, en tenue de "bonne soeur", et qui semblait relativement de son âge.
La Mésange se renferme brusquement, son sourire disparait. Elle regarde maintenant la nouvelle venue avec un air hautain sans masquer une petite grimace, la détaillant sous toutes ses coutures, de la tête au pied.
- Mmmmh... Tu dois être Duck...Fit-elle après un moment d'observation. Aussi, c'était la seule qui était habillée ainsi, lui avait-on dit, elle ne passait pas inaperçue. Un peu comme quand on a les cheveux roses, ou verts, le bleu et le rouge étant plus répandus.
Mais là n'est pas la question. Cette fille ne devrait pas être là, en général, le Parc est désert lorsqu'il pleut... Les Perdus restent au Grand Arbre, bien à l'abri dans leur Cabane, ou bien ils s'amusent autour de celui-ci, courant dans l'herbe qui s'est bien vite transformée en boue.
- T'es pas occupée à donner des cours de cathé, ou je ne sais quel délire sur la religion à des gamins qui ne comprendront rien, et qui est purement et simplement inutile ici ?Lui lance la Mésange sur un ton piquant. Elle a vraiment une sainte horreur de ce qui peut se rapporter à la religion, et surtout en ce qui concerne le cathé, dont elle avait dû prendre des cours dans le Monde Ordinaire. Son mercredi matin était sûrement le pire des moments à passer dans la semaine, encore pire que lorsqu'elle devait avoir un contrôle de maths !
Et voilà qu'elle se retrouvait nez-à-nez avec une pieuse au look qui va avec, qui avait failli l'entendre prononcer le nom de son proscrit !
L'échange entre ces deux-là risquait d'être mémorable.