A sa réplique, Soul avait légèrement froncé les sourcils. N’était-elle pas une ‘fille’ elle-même ? En quoi serait-elle épargnée de cet ‘amour’ qu’elle renvoyait vers ces « autres » qui n’étaient pas elle ? N’était-ce d’ailleurs pas la cause première de ce rendez-vous ? Mais il avait choisi de ne pas relever. Sur certains plans, Stealth agissait un peu comme Lace. Lui-même oubliait parfois que la chasseuse faisait partie du sexe faible. Pourtant avec Stealth, il ne l’oubliait pas.

En un sens, l’Ardente l’amuse autant que l’agace. Il aura rarement été plus partagé à propos d’un des enfants de l’Arbre.
Son accolade virile le prend de cours, il l’observe du coin de l’œil. Une nouvelle gorgée vient brûler son gosier, comme fuel à son moteur. L’alcool lestait ses préoccupations les plus sourdes, rendait ses réflexions plus futiles. Moins concernées. Assourdissant tout ce qui n’était pas agréable ou distrayant. Le plus souvent, et jusqu’un certain point qu’il ne devait pas dépasser. Il le savait. Comme il savait aussi qu’il en avait de moins en moins le contrôle.

« Peut-être bien Stealth, mais tu vois… , il répond à son accolade en l’entourant de son bras droit, main sur l’épaule, sa bouche se rapprochant de son oreille et d’un ton plus bas; J’ai comme le sentiment que tu continueras à te mettre en danger. »

Les pupilles sont un peu plus dilatées, le regard plus goguenard, plus railleur. Le poison s’insinue, atténue l’empathie, musèle peu à peu sa réserve.

« Continue à rugir, et à me donner envie de t’étrangler, l’Ardente, c’est ainsi que je te connais. » achève-t-il, couvrant sa joue d’un chaste baiser avant de s’éloigner, la moitié d’un sourire pendant aux lèvres.

« C’est bien petite-fille. C’est mieux. »

Son regard s’est adoucit légèrement ;

« Plus qu’à la personne, c’est à la provocation qu’il te faudra résister Stealth. Car à cette danse, nombre des garçons – et des hommes – sont rois. »

Une nouvelle goulée rejoint ses lèvres, qu’il essuie du revers de sa manche.

« Et à ce jeu, c’est toujours toi qui aura le plus à perdre. »

Il s’est rapproché, partagé entre ce même jeu de provocation et l’idée d’une petite démonstration sur les dangers qu’elle s’appliquait à défier, tout en y cédant dangereusement. Ses mains caressent les joues un peu trop chaude de l’éclaireuse.

« Surtout s’ils comprennent tes émois. »

Et l’état dans lesquels l’adolescente, femme en fleur se mettait. Les mettraient. A jouer avec trop d’ardeurs, on se brûlait.

Il anticipe sa réaction, comme s’il lui concédait la menace tantôt proférée :

« Tu as parlé de bouche. Pas de doigts. » - Un sourcil haussé et les yeux visiblement amusés, il attend l’explosion.

Et l’espère aussi. Que Stealth ait compris la « leçon ».

« Qui sait. »

Il semble sourire, ou peut-être ricaner aussi. Les yeux dans le vague comme troublé. Présent mais ailleurs, quand les embruns commencent à monter. Suffisamment pour tanguer un peu, pas assez pour tout oublier. Pour tout relâcher.
Et Soul se surveille. Pas d’erreur. Et surtout : pas de malheur.
Aucune conséquence hasardeuse, même sur une gamine aussi volage. Aussi naïve. Aussi voluptueuse.

Il reprend une rasade. Il devrait s’arrêter. Il le sait.

La dernière devant elle. La dernière avec elle.

Et oublier ce qui démange au fond, oublier les questions, oublier les responsabilités à la cons. Oublier qu’on ne vit rien par soi-même, par retenue, par peur du prix à payer. Et à faire payer. Oublier le désir. Les pulsions.

On verra toujours après. Pour évacuer.

Oublier la provocation et le langage des corps, oublier l’ingénue qui continuait de s’agiter. Inconsciente, insouciante de ce qu’elle avait réveillé.

Réussir encore à se contrôler. Réussir encore, à ne rien laisser perler.

Et la faire partir. Surtout.


« Tu devrais rentrer. »

Il s’est redressé, chasse une mèche rousse de sa « patiente », dangereusement près.

« Parce que je ne suis pas sûr tu vois, d’en être capable. »

D’arrêter de rire.

Il parait voir au travers, au dedans. Son regard, sa vindicte étouffée et ses lèvres mouillées.
Il essaie encore de s’en détourner et pourtant, il ne peut qu’y faire attention. Attentif au moindre tremblement, chaque soupir, chaque variation. Elle ne l’a pas repoussé.
C’est un appel muet pour lequel l’adolescent n’est pas loin de s’embraser, sa respiration s’est accélérée et sa main court sur son visage pour le redresser:

« Idiote. » - Qu’il lui répond à son tour, sur le même ton.

Il devait lui donner une leçon, n’est-ce pas ? A cette sempiternelle mauvaise élève. Stealth a perdue toute innocence avec son peau-rouge, l’Ardente a même plus … d’expérience.

Soul s’est rapproché encore, ses lèvres sont à quelques centimètres des siennes. Elle ne l’avait pas repoussé, et pour une fois, il n’a pas envie de s’interdire cette pulsion là ; goûter. Et lui faire peur. Goûter, qu’elle en connaisse la saveur.
Il l’embrasse. C’est léger, presque doux, sa main s’est glissée derrière sa nuque alors que sa langue s’insinue, vorace et impatiente.

Son premier baiser l’avait été d’une fleur d’orient. Stealth, elle, a un goût de caramel un peu piquant, réminiscence des derniers arômes du rhum perlant. C’est… excitant. Le Chef de Soigneurs sent tout son corps se tendre, devenir brûlant. Il veut plus, plus encore, et sa langue en joue, titille, tournoie pour s’enivrer de son nectar. Sa main s’emmêle dans la flamboyante chevelure, la seconde est tentée par une toute autre aventure…

Il s’arrache à elle soudainement, le regard un peu hagard, un peu perdu. Il se doute, il sent l’osmose, la trop grande attirance qui les oppose. Les unis.
Il sourit, un peu narquois, de la découvrir dans cet état. Et un dernier filet de raison lui insuffle les regrets futurs.

L’immuable n’est pas encore complètement saoul, c’est d’un effort surhumain qu’il revient à ce qu’il faut, ce qu’il doit ;

« Si tu me laisses faire, petite fille, j’irai bien plus profondément cette fois. »

Sa main gauche s’est agrippée à l’une de ses courbes plus affirmée.

« Crois bien que j’en ai autant envie... Mais si tu me laisses faire, tu ne seras pas toute seule à être bannie »

Il a prononcé le mot honni, celui qui effraie tant la cheffe des éclaireurs. Pour la réveiller, la secouer. Séparer leurs corps un peu trop compatibles.
Il sait bien qu’il n’aurait rien à craindre, c’était Elle qui prendrait. Mais il ne pourrait pas… ne pas en porter la responsabilité. Si l’Ardente changeait par sa faute. Si en elle grandissait autre chose que de la culpabilité.

« Alors casse-toi de mon infirmerie. »

Soul a relâché toute étreinte, pour libérer la furie un peu trop brûlante, un peu trop Ardente.

« Et ne laisse plus personne te toucher comme ça. » - Il l’a soufflé comme un regret, comme une excuse non prononcée.

Ps:

Son cri, sa fierté fracassée, ce qui chute en sa lueur. La peur qu’il a semée. Soul s’était attendu à une gifle, à un coup, à une injure égale à celle perpétrée ; Seuls des mots sont proférés.

Et les larmes contenues de la fuite d’une petite fille.

Il s’assoit, à la place qu’elle vient de quitter, un poids immense sur les épaules qui se courbent. Sa main droite vient masser son crâne. Demain la migraine poindra. Demain, elle ne la quittera pas. Juste châtiment.
La gauche récupère la bouteille qui a roulée là, oubliée dans leurs ébats.

C’était pour le mieux. C’était ce qu’il fallait. L’éloigner du danger dans lequel elle se mettait. Elle les mettait.
Oui, c’était mieux pour eux.
Ce n’était pas si grave.

« MERDE ! »

La bouteille se fracasse contre la paroi. Rares sont les moments où l’immuable perd son sang-froid. Rares sont les moments où il est autre que le pilier sur lesquels tant peuvent se reposer.
Mais pas cette nuit. Pas cette nuit. Où elle l’aura ébranlé plus de fois qu’on ne pouvait compter.

C’était mieux ainsi. Elle se méfierait. Elle arrêterait de se risquer.
C’était mieux ainsi oui.

Cette nuit, il s’était rarement autant haïe que cette nuit.

C’était pour son bien qu’il l’avait repoussé si fort. Pour son bien.

Ps: