De fait, son affirmation précédente n’était pas tout à fait vrai. Soul avait soigné les affections lié à ce genre de passion en réussissant à les endiguer pour une grosse majorité mais… Il y avait aussi les plus sournoises, celles qu’on ne pourrait distinguer bien après, qu’une fois installées ; qu’une fois qu’il était trop tard. Quand il ne s’agissait de celle qu’on ne pouvait voir, ou des actes de la Psyché malade qui concevait sur l’île de nouvelles pathologies effroyable contre lesquels il ne pouvait que peu. Ou rien.

Mais cela l’immuable lui tait, elle n’a pas besoin de le savoir, juste de se fier à ce qu’il sait. Cela sera bien assez – déjà – pour l’inquièter.

Sa réponse tonne, à demi-mot, dans le silence devenu glacé de l’Infirmerie, et le soigneur ferme les yeux quelques secondes avant de soupirer.

« Ok. »

Il inspire longuement avant de continuer ;

« Je vais te poser une série de questions. J’aimerai que tu me répondes le plus sincèrement, il n’aura pas de honte à avoir sur ce que le corps subit naturellement, et cela m’aidera à dissiper ce qui peut l’être. »

Il n’aimait vraiment pas cette partie-là, d’autant que l’île avec l’étrangeté de son temps, pouvait tout à fait fausser les jugements. Il tentait de garder son air le plus égale mais ne pouvait empêcher quelques rougeurs naitre sur ses joues.
Soul lâcha la main de l’Ardente ;

« Est-ce que tu es particulièrement fatigués ces temps derniers en ayant du mal à respirer ? La tête qui tourne, un peu de nausée ? Est-ce que tu as ressenti des douleurs particulières à cet endroit ? Y’a-t-il eu des odeurs bizarres par rapport à d’habitude avant de te laver ? Un changement ou une sensibilité sur tes seins ? » - Soul piquait carrément un fard mais feignait d’être parfaitement impassible en débinant toutes ces questions hâtivement, comme s’il s’en débarrassait.

Le soigneur la voit se raidir, se contenir, bouger sur place comme prête à éclater, il ne peut empêcher un soupir… Puis de continuer.

« Bien. »

Il se relève, retrousse les manches de sa blouse et prépare une drôle de couronne (une sorte de lampe frontale en fait, amplifiée par des miroirs incurvés, au centre du quel s’agitent des lucioles dans une petite bouteille que le soigneur aura plus excité et qui diffusaient une lueur suffisamment fortes pour son utilité), il se lave les mains et prend le temps de lui expliquer lentement ce qu’il va arriver, en priant que les rougeurs qui s’affirment sur ses joues pâles ne le dévorent pas en entier :

« Je vais devoir t’ausculter. » - Un silence, lui laisser un peu de temps pour ce qui va suivre.

« A cet endroit-même. »

Il n’a pas besoin de désigner où – pense-til -, elle l’aura probablement compris. Soul se hâte dans l’explication.

« Je vais vérifier s’il n’y a pas de signes d’inflammations, ou d’infections. »

Il s’éclaircit la voix, tentant de nouveau de dissiper la gêne mais c’est peine perdue.

« Pour ça, je vais devoir te toucher. » - Il toussote.

« Je ferais le plus vite possible pour ne pas te gêner. » Pour ne pas « nous » gêner aurait été une affirmation plus honnête, mais Soul tentait de conserver son rôle de médecin imperturbable.

L'hystérie. Un grand mal que l'on affuble plus généralement aux femmes et dont Stealth s'en montrait l'exemple le plus édifiant.
Le Chef des Soigneurs, un peu trop habitué à l'Arène, parvint à esquiver le simulacre de brancard qu'elle venait de lui envoyer dessus. Il lâche une grimace ennuyée.
La tâche n'était déjà pas des plus aisée ni confortable, mais il fallait EN PLUS qu'elle ne lui facilite pas les choses. Toute la commisération qu'il avait pu ressentir pour l'éclaireuse venait de s'envoler.

Le regard qu'il lui renvoie est un mélange de lassitude et d'agacement. Elle lui fait - encore - perdre son temps. Bien. Dans ce cas, il allait falloir l'amener plus subtilement. Moins "médicalement", se faire autre, autrement.

Il enlève sa "couronne", et le plus calmement du monde, ramasse le brancard. La furie semble continuer d'éructer et de feuler, épiant chacun de ses gestes et de ses intentions. A l'heure actuelle, Soul aussi se fiche bien que des étrangers s'amènent. C'est elle qui finirait par le payer, lui n'avait fait que son travail.

- Ok, je crois qu'on s'est mal compris.

On ne la joue plus rationnelle là, on s'éloigne du professionnel. Soul va chercher une bouteille. C'est bien du rhum, il sert ici, au sein de l’infirmerie de désinfectant, le Chef des Soigneurs dissimulant ses réserves ailleurs. Il déniche pourtant deux gobelets de bois, verse une large rasade dans chacun, et n'intente absolument aucun mouvement vers elle.

- Je crois qu'on a tout deux besoin de souffler. On va mettre le sérieux de côté. Je crois savoir que tu es plutôt résistante non ? Ce n'est pas ça qui devrait t'effrayer. Enfin, sauf si la rumeur aurait menti, et que l'Ardente serait en fait la Froussarde. Amène toi boire si tu l'oses.

Et au fond, tout au fond, le soigneur sentait poindre une excitation qui ne lui était pas inconnue.

L'alcool qui glisse lentement le long de son gosier, qu'il savoure lentement alors qu'elle s'y brûle entièrement...
Soul parait se délecter, s'amuser. Son regard aussi a changé. Du profond agacement à l'amusement le plus complet.

Et la morsure de l'embrun familier qu'il accueille en lui, comme une énergie nouvelle qui l'impulse hors de lui-même. Il n'a pas assez bu - à peine une gorgée - pour être totalement déridé. Mais il sait, Oh oui Soul sait, à partir de quel moment... Il ne pourra plus rien contrôler.

Et ce n'est pas son but. Non. L'objectif cette nuit n'est pas d'oublier, Stealth. Cette soirée est tienne. Le Chef de Soigneur te l'avait soigneusement réservée.

Bien qu'il ne s'attendait probablement pas que tu le pousses à aller jusque-là, mais... Aux grands maux; les grands remèdes.

- Pas mal, fillette.

Il vide le gobelet à son tour, expirant avec soufflet satisfait puis ramasse celui qu'elle a jeté à terre, toujours aussi nonchalant et ressert une nouvelle rasade. C'est un bon début.

Soul semble s'être totalement décontracté. Mieux, il parait apprécier le moment. Comme s'il n'avait jamais été si déroutant.

- Mais pas assez. Et par chez moi; on trinque; à la santé.

C'est à demi-faux, à demi-vrai, il lui tend à nouveau un verre alors que l'alcool aussi vite engouffré doit déjà lui tourner, il doute que l'éclaireuse y soit accoutumée mais qui sait.

- Chacun boit son verre, en croisant le bras (à défaut de fer), mais c'est sûrement trop pour toi.

Ses yeux pétillent, défiant. C'est un jeu, une scène lancée pour patient récalcitrant.

Il a trinqué, en même temps qu'elle, paraissant presque admirer d'un sifflement sa descente pour s'esclaffer:

- Te rendre docile ?

Le Chef des soigneurs esquisse un très léger sourire en coin. Il ne s'est pas reculé, conservant la proximité induite par leur Toast, il se rapproche encore un peu.

- Si je voulais "Te rendre docile", j'ai d'autres moyens autrement plus facile.
Il aurait suffit par exemple, que je glisse quelque chose dans ton verre... Celui-là même que tu as si goulûment avalé.

Ses yeux se plissent, amusés. Soul se doute qu'elle esquissera quelque chose pour le repousser. Entre défiance et fierté.

- Rassure-toi, ce n'est pas le cas.

Mais il aurait largement pu. L'essentiel était qu'elle le comprenne.

- J'ai juste envie de te laisser une chance, tu vois ?

Une chance de quoi ? Il laissait Stealth y gamberger.

Tiens, elle ne l'a pas repoussé.

Peut-être pour prouver qu'elle n'est pas du tout impressionnée, ni mal à l'aise. Ce que d'ailleurs ses dernières actions voudraient sûrement confirmer Stealth-aux-nerfs-d-acier.

Elle lui aboit pourtant toujours au visage. Aboie mais ne mord pas.
S'il était bien une chose qui le laissait de marbre, c'était les insultes, et l'agressivité. Qu'elle soit contenue, dissimulée ou débridée.

Son visage s'approche encore, son front pourrait presque effleurer le sien. Le bras s'est abaissé, s'est détendu dans une course synchrone, gobelet contre gobelet, lui aussi n'est pas vraiment libéré.

- La bouteille est loin d'être vide... Ne voulais-tu pas m'apprendre ce que je devais savoir, ce que j'ai à...

Il marque une pause à peine ralentie, il s'est légèrement éloigné pour darder l'intensité de ses yeux vert en son bleu profond.

- ... juger ?

Les doigs agrippants son verre, effleure les siens ... par mégarde ?

- Encore un verre ?

L’embrun doré brûle son gosier, étouffe le rire qu’il sentait poindre.
Elle savait se contrôler désormais ? Chat échaudé… Mais Ardente toujours, non ?
Il la ressert, l’œil amusé.

- Oh non, l’alcool n’a pas sur moi ce genre d’effet. Non.
Désolé ?

Il se gausse encore un peu, sans grande cruauté, plus continuité d’une ballade rythmée pour contrer le cynisme qui faillit surgir : « Je bois pour m’oublier et oublier ce que je le jour, je ne pourrais jamais me soustraire. Je bois pour vous oublier, quelques instants, avant que l’inquiétude et l’angoisse de ne pouvoir réussir à vous sauver ne me ravage de nouveau. Je bois pour tout ce que tu ne sais pas, petite fille, tout ce que ta jolie tête vide refuse de garder en elle. Je bois pour me freiner, car la seule volonté ne semble pas suffire, à m’empêcher de grandir. » - Mais ça, la fillette pourrait-elle-même le concevoir ?
N’y va-t-il pas toujours avant tout de ses désirs, de son bon vouloir à assouvir ?
Le plaisir avant tout.
Chez l’Immuable, c’était le devoir. L’abnégation. Il n’existait plus depuis longtemps déjà… pour lui-même. Il s’étouffait à en crever.
Alors peut-être que l’alcool le rendait mauvais à vouloir… s’amuser au dépend d’infortuné qu’il croiserait – mais non, il s’arrangeait toujours pour être seul – sauf cette nuit.
Cette nuit, c’était différent. Cette nuit se nimbait d’un mélange d’agacement et de jeu, de responsabilité et d’oubli.
Avec Stealth, il nageait soudainement en simultané, dans ses paradoxes les plus criants.


Il change de sujet et l’entraine derechef en prenant sa main, de l’autre côté de son bureau, là où git un livre entrouvert, qu’il écarte complètement de sa main libre (le gobelet avait été posé sans trop y réfléchir).
C’est un livre plein de dessins, de schémas complexes, de coupes avec des indications, de couleurs aussi. Il décrit les entrailles et leurs fonctionnement, celui des… animaux.
Du doigt, il lui montre la page.

- C’est ici qu’ils expliquent à quoi reconnait-on que tout va bien.

C’est un schéma d’appareil génital féminin. Celui d’un… chimpanzé ?

- Peter n’a pas réussi à me ramener celui qui concernait les humains. – anticipe-t-il. Il est loin d’être complet, il a fallu beaucoup deviner, travailler dans l’urgence… quand il fallait recoudre les enfants déchirés de l’intérieur, ceux qui n’avaient eu d’autres expériences que celle du viol. J’essaie de former certaines soigneuses (Eh oui, Stealth, celui-qui-sait-tout n’hésitait pourtant pas à transmettre ses connaissances au sexe faible) , mais elles sont beaucoup trop gênées de … comprendre ce que cela a bien pu vouloir impliquer.
Disons que c’est une peine que beaucoup ne veulent pas endurer, craignant ce qu’ils pourraient réaliser, et ne pas s’empêcher de… grandir.

Il la fixe intensément ses derniers mots prononcés, avant de continuer d’un ton égal :

- Mais je conçois que l’idée que je te touche t’effraie. Devrait-on demander à l’indien qu’il vérifie lui-même ce qu’il aura pu t’offrir ? La vie, ou la mort ?

L’assertion ressemble à une question sincère, sans équivoque ni moquerie. Pas une once de lassitude à cet instant, peut-être un peu de curiosité suspendue, sur la voie que l’Ardente choisira.

Ps:

Il s'arrête, et la fixe quelques secondes. Il n'y a plus le moindre amusement, plus aucune sollicitude.

- Vraiment ?

Ironique combien elle le sous-estimait. Et combien ses menaces se succédaient. L'Ardente aboyait toujours, à brandir la mort à tout va, sans jamais une once de respect pour le vivant. Croyait-elle seulement qu'elle s'en sortirait indemne si elle s'y risquait ? La multiplication des tentatives d'intimidation l'agaçait, qui croyait-elle vraiment berner ?
Soul refusait de croire la cheffe aussi stupide, il secoua légèrement la tête, désabusé.

- Si tu es certaine de n'être contaminée par aucune des maladies que transmettent la procréation. Si tu es tellement convaincue de ne pas porter la vie en toi...
Je ne peux te forcer en quoi que ce soit. Mais...

Une très courte pause.

- Sache que certaines n'ont parfois aucun symptômes, et plusieurs mois après, meurent en couches.

Il prend la bouteille pour la ranger.

- Je ne peux vraisemblablement rien faire pour toi, Petite fille, si tu choisis la voie du grandissement, cela reste ton choix. Crois-le ou non, j'essayais de t'aider.

Si elle était à ce point imbue d'elle-même pour ne se fier qu'aux apparences, c'était son droit. Soul ne s'acharnerait pas.