Le temps n’est pas réel, ici. Il a vu des papooses grandir, des enfants perdus demeurer à jamais petits.
Mais les cœurs battent, toujours. Les oreilles écoutent ces souffles réguliers, les longues oreilles du Nécrophage guettent et portent les pas de la créature vers eux. L’être n’entend pas le sien, de cœur. Alors il doit toujours chercher un autre vivant afin que ce dernier le partage avec la chimère. Neutre, il n’arrachera pas l’organe de la poitrine du porteur. Laissez-le juste écouter. Pas besoin de grand silence, ses oreilles ont l’ouïe aiguisée. Ainsi ses veines portant un sang gris fait de fer croiront être aussi chaleureuses que les autres êtres, ainsi le cœur que le Nécrophage pense absent aura droit à son moment d’existence. Il cherche la compagnie de ceux qui pourraient partager ces battements de vivant.

Il erre, le Nécrophage. Si le cœur ne partage pas, c’est-à-dire mort, la Créature se couchera aux côtés du cadavre. Il espère que de leurs corps ce ne soit pas la froideur du sien qui prenne le dessus sur l’autre. Tête sur la poitrine du mort, il espère que le cœur ne le boude plus, qu’il revienne, qu’il ne le laisse pas seul. Par pitié, qu’il batte encore. Il n’attend pas forcément un temps pareil d’un reste à l’autre, cependant, il est arrivé qu’il attende plusieurs semaines. Refusant de voir le corps à ses côtés déjà pourri. Il pourrait encore se remettre à battre, il ne l’ignorerait plus. Kâduin se tait, de peur de rater ne serait-ce qu’un minuscule signe. Le deuil est lent à passer ses étapes…
Mais le signe ne vient pas, les morts ferment la lumière dans leurs yeux, l’âme se retourne et choisi de taire le cœur. Ainsi, le Nécrophage perd et se retrouve seul, sans battement pour son existence. Il entreprend alors de dévorer les restes. Peut-être qu’ainsi, tous ces morts feront partie de lui, et son cœur battra encore plus fort lorsqu’un vivant partagera ses battements. Ces morts l’ignorent, c’est douloureux mais… au moins, ils sont avec lui. Jamais seul.

La Créature n’est pas fixée à un seul être, elle change, elle se promène. Elle reste plus ou moins longtemps, tout dépend des battements. Un cœur qui bat, heureux de partager avec la Chimère au sang de fer, sera plus chaleureux. C’est si agréable de se sentir apprécié. De ne pas être face à une pierre sans cœur.

Kâduin n’aime pas se sentir seul, il n’aime pas ces moments où il n’est pas avec un cœur battant.
Il n’aime pas lorsqu’il laisse une larme bleue tomber pendant que ses crocs de fer mâchent les chairs des morts. Les corps de ces cœurs qui ont pourtant partagé, qui ont pourtant donné de l’affection… Pourquoi se sont-ils détournés ? Pourquoi ne le regardez-vous plus ? Pourquoi le laissez-vous sans cœur à nouveau…

Lorsqu’il est né, il était déjà seul, pas plus grand qu’un chiot. Inquiet, il avait cherché désespérément les battements de cœur de sa mère. Jamais ils ne furent trouvés. Mais les oreilles firent raisonner parmi les globules argentés de fer qui parcouraient le corps du Nécrophage, les signes de vie d’un être. Un enfant.
Il resta à ses côtés, jusqu’à son dernier souffle.

La Chimère erre toujours, ni bonne ni mauvaise. Elle ne cherche que les cœurs, pas à en tuer, pas en sauver. Elle est un peu comme une ombre, derrière ces êtres au sang rougeoyant. Continuez de faire battre l’île, car ainsi, le cœur froid sera existant. Kâduin porte un peu une nécropole dans son cœur, alors il ne battra pas, mais il est bien vivant, aidez-le à battre… Ainsi il sera en paix.
La Chimère pense ne pas avoir de cœur en réalité, alors que oui, mais ses oreilles ne l’entendent battre qu’au travers de ceux des autres.
Il préfère le monde nocturne au jour, mais cela ne lui donne pas un rythme nocturne. Il dort parfois la journée, parfois la nuit.

Il aime se blottir contre les êtres qu’il trouve, pour le cœur battant. Il fait de même avec les morts, mais la peine en lui car il espère tant entendre les boums dans la cage thoracique.

Kâduin est charognard. Il nettoie l’île merveilleuse des tâches qui trouble le rêve enfantin, mais lui espère juste qu’ainsi peut-être un cœur se mettra à battre et finalement le choisira lui. Un cœur qui serait aussi léger qu’une plume. Ce sera celui-ci qui le rendra réellement vivant, ce sera celui-ci qui purgera son sang.
Cœur, cœur, cœur, et encore des cœurs. Voilà tout ce qui trotte dans la tête de la Créature. Un mort aura finalement peut-être la bonté d’offrir son organe battant. Pour vivre avec la Chimère de fer en symbiose. Mais le fer est un minéral, et non un organique.

Une petite graine de folie ? Juste de l’ignorance. Et un espoir toxique.

En permanence, il sent le goût du sang sur sa langue grise. Ce ne sont que ses dents, puisque de fer elle sont faites. Il en est de même pour son sang et ses os.
Cela ne lui donne pas plus de résistance, juste un squelette différent en matière. Juste un goût horrible sur les babines.
Devrait-il être autre chose qu’un charognard ? Il ne le sait pas, mais il se base sur ce que le premier être qu’il avait rencontré lui avait dit. Sans parents, il avait appris comme il le pouvait des paroles d’un vivant.

Il tente d’approcher les gens, oreilles basses, seront-ils des rocher ou comme son Amie ?

En général il n’attaque pas pour rien, mais il ne sauvera pas non plus d’instinct. Le fer est utilisé de différentes manières, il est toujours plus tendre lorsqu’il est réchauffé. Mais arrache la peau lorsqu’il est glacé.

- Un sang, un squelette et des dents de fer. Le sang se présente sous la forme d’un liquide grisâtre aux reflets parfois bleuté.

- Les yeux brillent d’un bleu clair, dans la nuit c’est ce que l’on voit en premier.

- Sa queue et ses oreilles sont longues. Ces dernières lui permettent d’entendre au mieux, et ces sons. Surtout les vibrations nées des cœurs battants, ce qui fait vibrer la matière du sang qui fait ainsi comme un écho. Kâduin se sent plus vivant dans ces moments.

- Il mange les cadavres d’humains, d’animaux, de créatures, de sirènes, de monstres ou même de fées. Il mange de tout tant que c’est un cadavre. Il ne se jette pas sur la trouvaille, il attend à côté, espérant d’abord que le cœur se batte.

- Il n’a pas une excellente vue, c’est pourquoi il se sert principalement de son ouïe et aime beaucoup les contacts.

- Le Nécrophage peut se montrer réservé, lorsqu’il ne sait pas encore si le cœur battant qu’il a trouvé veut bien partager un peu ses vibrations.

- Le corps est froid comme le métal, son sang ne le réchauffe pas. Mais il cherche cette chaleur chez les vivants auprès desquels il se blotti ou qu’il suit.

- Il apprécie vivre en symbiose avec les cœurs battants.

- Lorsque les gens parlent, cela raisonne dans tout son être. De même lorsqu’il marche ou court, il entend en lui les grincements métalliques, il n’entend jamais son propre cœur battre.

- Kâduin peut manipuler le fer, tout comme les autres Chimères sachant manier leur élément. Il ne pourra pas faire apparaître cette matière minérale. Elle devra être présente quelque part.

- Il sait parler, mais sa voix a un timbre métallique et son haleine est de fer.

- Il est grand pour un chacal, environs 1m30.

- Grand mais sous la fourrure, il arrive qu’il soit maigre. Cependant, sa masse osseuse faite de fer et son sang lui donne un poids conséquent. La fourrure cache mais lorsqu’on le caresse, on peut parfois sentir la forme des os.

- Kâduin se prononce simplement : Kaduine

- Il a peur de l’eau, il avait voulu nager un jour, mais son corps semblait vouloir couler de toute manière.

- La Chimère parle d’elle à la troisième personne, rappelant son nom. Car l’animal craint d’oublier le nom que sa Mère lui avait donné.

C’est la maison, le monde où je suis né. C’est un endroit cruel, ce n’est qu’un avis objectif. Sans doute sans ce lieu, je n’existerai pas. Il est déjà si difficile d’exister…

Parfois, je me demande si les cœurs sont généreux ailleurs, dans le monde ordinaire. Cependant, cet autre monde m’inquiète. J’espère ne jamais y avoir affaire, j’espère que le cœur au poids de plume est en ces terres.

Peter Pan, il doit en avoir de la chance, d’avoir tous ces cœurs autour de lui. Le Grand Arbre a cet air si battant. J’entends leur cœur battre et raisonner dans mes veines et mes os. Je l’envie un peu, je me demande si je pourrais être un peu dans ses pattes, si son cœur partagerait ses battements. À moins que l’Enfant Roi n’en ait pas et soit comme moi ? Il s’entoure peut-être autant pour profiter du cœur des autres ?
Il est en tout cas différent du chef des Pirates, Hook. De ce que j’ai appris par moi-même, c’est le méchant. Cependant, d’autres disent le contraire. Lui aussi a des cœurs battants autour de lui, je l’envie aussi un peu. Ces deux, ne sont pas si différents en fait. Selon mes yeux malvoyants. Selon mes oreilles qui entendent tous ces cœurs battre.
Continuez, battez encore, tant que mes entrailles raisonnent, tant que le fer dans ma gueule est celui de mes dents et non celui oxydé de vos sangs, je serai plus heureux.

Il fait froid. Le désert est glacé lorsque la nuit est là. Le décor est vide, rempli de sable et de dunes. Au milieu, dans un désert presque de poudre de fer à cause de la lueur de la lune pleine, un rocher. Ce rocher est l’abri de minéraux de fer, et c’est à son pied que se trouve une silhouette noire roulée en boule, maigre et au pelage malmené par quelques blessures, cherchant désespérément la chaleur de cette masse rigide. Ils semblent avoir tout deux cette odeur de sang sans en être, ne sont-ils pas liés alors ? La jeune Chimère pensait peut-être qu’il s’agissait de sa famille, mais aucun battement. L’élément l’ignorait ? La jeune Créature pleurait comme le chiot qu’elle était, se blottissant encore plus à la paroi rugueuse de la pierre renfermant les traces de fer.

Le vent soufflait dans le dos du petit être, éclaircissant la fourrure en y fourrant des grains çà et là. Mais cela ne taisait pas les pleures et gémissements de la créature qui tremblait de froid et de tristesse face à l’impression qu’une mère l’ignorait. Il était presqu’aveugle et ne savait encore rien du monde.

Le fer a le goût du sang, on s’en sert pour cesser les battements parfois…

Pourquoi le cœur ne répondait pas aux pleurs ?

Le Nécrophage était ainsi depuis un bon moment, ne sachant ni son origine, ni comment il était arrivé ici. On ne naît pas d’une pierre. Mais ça, il ne le savait pas encore.

Il ne ressentit pas la présence tout de suite, les oreilles étaient déjà longues mais elles étaient trop occupées à chercher le cœur vivant de l’abri de roche.
La présence s’approchait.

-… qu’est-ce que tu fais… là… toi… ?

Une voix faible, elle semblait être celle d’un être ayant souffert de lourdes blessures, à en juger par la respiration difficile.
Cependant, la Chimère de fer n’avait encore jamais entendu des mots. Les oreilles se dressèrent et la tête se tourna légèrement, laissant ainsi paraître des yeux brillants et portés par des larmes bleues qui avaient fini par colorer un peu le sable.
La petite Créature essayait de voir, mais ses yeux ne le lui permirent pas. Elle sentit que la personne devait être bien plus grande qu’elle lorsqu’elle entendit le sable s’aplatir pour laisser le nouvel être se poser. Le geste avait été fait sans retenue. Signe d’un grand épuisement. Il ne devait sans doute plus tenir sur ses pattes. La présence avait coupé la sensation de vent dans le pelage du Nécrophage. Ce dernier en déduisit qu’il se trouvait maintenant entouré. Il se retourna, il sentit que la présence était différente de celle du rocher. Il y avait ce bruit, ce battement.

Les pleurs qui avaient cessé sous l’effet de surprise, se refirent entendre. Car il était pressé, pressé de ramper jusqu’au thorax de cette personne. Apparemment, le flou que voyait la Créature lui montrait que cet interlocuteur s’était effondré dans le sable.
Arrivé au niveau du cœur, la Chimère de fer se tut. Elle écoutait le cœur battant, ralenti, et le souffle profond de ce visiteur. La chaleur aussi était là. L’odeur de fer aussi.
Elle se blottit tout contre cette rencontre qui ne parlait plus.

Les silhouettes restèrent ainsi durant plusieurs heures.

Plus tard, la voix revint, faible. Mais le cœur battant toujours.

- T’es encore… là ?

Il y avait comme un sourire. La petite Créature ne dit rien, attentive aux mots et aux battements si apaisants.

- …t’as un nom ?

Une sorte de couinement sortit de la minuscule bouche du chacal. Il n’en avait pas, de nom. Sans doute la personne ne devait pas comprendre, mais impossible pour l’animal de le savoir.

- Je vais plus bouger… d’ici je pense. Alors… autant que je sache… comment t’appeler.

Un temps, la Créature n’était pas sûre de comprendre. Mais qu’importait ? Elle avait trouvé quelqu’un, un être de sa famille qui partageait son cœur et sa chaleur.
Il y avait comme un accent dans sa voix parlant l’anglais que les gens utilisent sur l’île. Bien sûr, l’animal ne savait pas noter cette différence.

- … que dirais-tu de… Kâ, en première syllabe, puis de… duin en seconde ? Tu serais… Kâduin.

Deux mots en un, deux mots de langues différentes. L’un ayant quelque chose à voir avec le cœur et l’autre les dunes.
Ce que cherche Kâduin, et ce où les battements ont trouvé la Chimère de fer.

C’était étrange pour le canidé, il ne savait pas même l’importance des noms. Par contre, lui, il n’avait pas de nom. Du moins, il ne donna pas son nom au Nécrophage.

Impossible de dire combien de temps passa, mais le cœur battait encore, de plus en plus lent. Mais Kâduin grandissait déjà de quelques centimètres, de petites dents avaient percé ses gencives. Il n’y avait plus de vent, et il faisait un peu plus chaud. Un jour était peut-être passé, ou deux, ou trois ? Les êtres de l’île pouvaient grandir plus vite que la normale, mais le temps restait capricieux.

L’ami s’était tourné sur le dos, Kâduin ne bougea pas, toujours collé à cet ancrage moins froid et dur que le rocher sans cœur. Des fois, le visiteur caressait un peu le Nécrophage. Ce dernier commençait à avoir faim, il ne savait pas quand était la dernière fois qu’il avait mangé. Il ne savait pas où aller, comment trouver de la nourriture. Tout ce qu’il savait, c’était ce que son Ami lui disait sur le monde et sur ce qu’il fallait faire. Mais ces dernières heures, il parlait de moins en moins, cet Ami.

L’odeur de fer flottait encore autour d’eux. Cette odeur était agréable pour le Chacal. Pour une fois.

Quelques autres heures. Le cœur était discret. Trop discret. Quelques plaintes se firent entendre de la silhouette noire. Elle chercha le thorax, il sentit une odeur fleurit au niveau de la tête de son Ami. Il y avait quelques fleurs dans un mauvais état.
Pourquoi l’odeur de fer n’était pas aussi forte à ce niveau ?

La Chimère chercha alors encore le cœur, il ne battait plus, et l’odeur était encore plus forte au niveau du tronc.
D’autres pleurs, pourquoi l’être s’était détourné de Kâduin ? Il avait mal agi ? Pourquoi était-il pareil que le rocher ?

Durant plusieurs jours encore, deux ou trois, l’animal resta contre le corps qui ne battait plus. Pleurant pour qu’il arrête de ne plus le voir. Mais rien à faire. Le voilà aussi sourd que la roche.

Au final, après des heures d’attente, le petit chacal dévora son Ami, en laissant les larmes couler sur la chair qu’il mangeait. Il avait failli se laisser mourir… cependant, il aurait fait du tort à ce cœur qui avait bien voulu partager. Cet Ami avait dit que le nom qu’il lui avait donné, ne devrait jamais lui être enlevé. Qu’il devrait vivre en portant ce nom.
Il devait donc vivre.
C’est ce qu’il fit ce jour-là, et parti de ce petit abri lorsqu’il eut assez de force, lorsque son pelage retrouva une majesté.

Jamais Kâduin ne sut que cette odeur de fer sur son Ami, était due à une profonde blessure au ventre. Jamais il ne sut que durant tout ce temps, il s’agissait d’une bannie qui mourrait lentement en se vidant de sang.
Le Nécrophage se remémore souvent le premier cœur qu’il avait mangé. Son Amie est avec lui. Il n’est pas comme le rocher froid. Plus tard, il comprendra qu’il s’agissait d’une Amie. Grâce aux comparaisons de voix et à sa vue qui s’améliorera un peu lorsqu’il put rencontrer d’autres personnes.

Son Amie le nomma et fut le premier cœur. Son Amie fut aussi sa Mère. Le premier battement que l’on entend, est celui de la mère.