Écoute.
Écoute la rumeur du vent qui chante une histoire. Tends l'oreille et sois attentive. Il y'a un conte, une légende, qui dit que le Pays de Jamais a sa propre couleur, un pigment unique, caché dans les jupons de l'île, là où les fées ont par trop murmuré et enrichi la terre de leurs baisers.
Et J'écoute.
Attentivement.
Les feuilles soupirent, ou plutôt elles s'offusquent de la présence d'une plante remuante, grimpante et agressive. Une vilaine fleur qui rage et qui bourgeonne, incapable de rester enracinée. Mais qui, de bien curieuse manière, est source d'un miracle inexpliqué. Une cachoterie de l'Île. Une plaisanterie, presque. Pressez ses bourgeons et le suc vous donnera une couleur impossible. Une teinte improbable.

La couleur de Jamais.

Mon coeur s'en retourne dans son lopin de chair. Voilà un mystère qu'il me faut élucider. Si l'île à sa propre couleur , il me faut l'utiliser. Je suis son témoin le plus fidèle et le plus acharné. Mes peintures attendent ce pigments inconnu. mes murs doivent accueillir cette excentricité pour se parer de vérité.

Armée de ma machette, et de mon ceinturon où pendent mes bourses de cuir à herbes, mon carnet de peaux et mes fioles d'encre, j'arpente le Bois Joli, là où s'arrête la parole des fées. On dit qu'à la lisière, il y'a cette fleur étrange et gesticulante  qui arpente les sentiers. Silencieuse, comme une ombre, à l’abri des feuillages et des grosses racines.

J'écoute.
Oui.
J'écoute ce que la nature me susurre pour la débusquer...

J'hume l'air boisé. Impressions et couleurs dansent à l'orée de ma vision. Mon odorat affuté détecte une anomalie dans le parfum herbacé du Bois Joli. Quelque chose n'y a pas sa place. Quelque chose, mais quoi ?
Du bout des doigts j'effleure pétales et feuilles, à la recherche d'un frémissement, un parfum, une ombre. Mon pelage se laisse caresser par les branches, la flore me salue. Et sous ma pulpe, soudain, des bourgeons. De minuscules bourgeons mais d'une fleur que je n'ai jamais vue.

Curieuse, je me penche sur cette inconnue.

Sa structure n’appartient à aucune autre, pas de mon répertoire connu : Une unique fleur, énorme, rose mais pas seulement, vénulée de rouge, et d'une pointe de lait , parfois de violine. Un mélange bien incongru mais incroyablement vivace. Sa corolle refermée se situe au sommet d'une tige à deux branches et au bout de ces deux appendices, de tout petits bourgeons, bubons pâles et timides.

Je renifle un peu mieux cette étrange spécimen, approchant mon museau au plus près.

HRP: