Il faisait chaud, le soleil brillait, le soleil chauffait tout autour de lui. Les pierres devenaient brûlantes, comme le sable... Heaven marchait pieds nus sur la Plage, ses ballerines à la main. Pourquoi donc s'était-elle rendue là ? Disons... Pour faire les courses. Pour aller chercher "un cadavre de Sirène, et lui couper la nageoire, ou la peau du dos", comme l'avait commandé ce... "cher" Pit. Rien que le fait d'avoir repensé au Joker donnait des frissons à la Mésange. Des frissons de peur, des frissons de rage, désagréables, qui se ressentent dans tout le corps. Elle se sentait comme enfermée dans une cage, forcée d'obéir à son géolier. Elle s'en voulait de s'être montrée si faible, et c'est justement sa faiblesse qui avait conduit à cette situation. La jeune fille avait beau se plaindre, cela n'arrangeait rien à l'affaire, malheureusement. Pour en finir vite fait bien fait avec cette histoire de cadavre de Sirène, Heaven s'était rendue à la Plage. Le soleil faisait souffrir ses yeux trop clairs, et la Récolteuse devait fixer le sol pour ne pas être éblouie. Le soleil était devenu son ennemi à partir du moment où une Fée changea radicalement la couleur de ses cheveux, et de ses yeux, rendant ceux-ci plus vulnérables à la lumière.
Franchement, la Plage n'était pas le meilleur lieu pour se protéger du soleil, et encore moins pour se sentir en sécurité, mais la Mésange pensait déja à autre chose : une Plage, un être cher trop loin... C'est une chanson ça... Fixant le bleu azur de l'océan, tout en marchant, elle se mit à chanter d'une voix claire et mélodieuse :

"Seul sur le sable les yeux dans l'eau,
mon rêve était trop beau
L'été qui s'achève tu partiras,
a cent mille lieues de moi
Comment oublier ton sourire et tellement de souvenirs ?
Nos jeux dans les vagues près du quai, je n'ai vu le temps passé,
l'amour sur la plage désertée
nos corps brûlés enlacés
Comment t'aimer si tu t'en vas
dans ton pays loin là-bas ?"

Heaven s'arrêta net, puis soupira. D'une voix las, elle déclara alors :

- Je déteste Rock Voisine.

Seule sur la Plage, elle pouvait parler français si elle le voulait, et d'ailleurs, elle en profitait. Si ça continue, peut être que l'Île va tout doucement effacer sa langue natale... Enfin, du moins, celle qu'elle a le plus souvent employée. Sur l'Île, la Récolteuse ne se sert du français que pour lancer des insultes, ou encore dire ou écrire des choses que les autres n'ont pas besoin de connaître. La langue dominante de l'Île est l'anglais, parlé avec ou sans accent. La plupart des gens ne savent pas d'autres langues, à part quelques exceptions notables comme Puzzle, Grenouille, et d'autres... Les bilingues, trilingues, ceux qui pourraient représenter une menace pour le Journal Intime d'Heaven... Mais encore fallait-ils qu'ils ne le trouvent, ce journal. Caché comme il était, il ne risquait rien. Et puis, tout le monde n'est pas mauvais...

Une énorme tache de sang maculait le sable doré, puis il y en eut une autre, puis une autre, et encore une autre, que la Récolteuse suivait à la trace. Bientôt, elle découvrit, étendue sur le sable, une magnifique Sirène aux longs cheveux bruns, allongée sur le côté, couverte de sang, un trou béant au milieu de la poitrine. À cette vue, la jeune fille recula d'un pas, se cachant les yeux. L'odeur du sang omniprésente, amplifiée par la chaleur, lui donnait envie de vomir. Preuve que le cadavre ne devait pas être tout frais...
Prenant d'une main sa dague, l'autre couvrant toujours ses yeux, Heaven se ravança de deux pas, et s'accroupit devant la Sirène. Quel carnage...

- Ha, je te hais ! Par ta faute je suis en train de me niquer les yeux à cause de la lumière ! Et je dois découper une Sirène ! C'est de ta faute, c'est de ta faute... C'est de la mienne ! Jamais j'aurais dû être aussi faible !

Elle perdit brusquement l'équilibre et se retrouva assise dans le sable, la dague toujours à la main, tremblante. Dépecer un cadavre ? Jamais Heaven ne le ferait, même si elle était obligée ! C'est de l'irrespect pour le macchabée, et en plus de ça, c'est purement et simplement dégueulasse ! Pit n'avait qu'à le découper tout seul, son cadavre ! Ho, en voilà une idée !
La Récolteuse se releva vivement. Elle ne pouvait pas dépecer ce cadavre de Sirène, elle ne pouvait pas se permettre de massacrer ce corps encore un peu plus. Alors, elle n'avait qu'à l'amener au Grand Arbre... Ainsi, les autres Garçons Perdus verraient de quel matière se sert le Chef des Raccommodeurs, à quel point il est dégueulasse ! Et puis, là, Heaven pourrait lui dire "Démerde-toi !". Après tout, il aurait son cadavre de Sirène, et il pourrait même s'amuser avec si ça lui chante, le Joker. Il ne pouvait pas imposer à son petit oiseau prisonnier de faire quelque chose qui le dégoûte, déja qu'il l'avait en partie privé de sa liberté...

- Je suis désolée...

Dit simplement Heaven à mi-voix, en saisissant la Sirène par les deux mains. Elle ne pourrait sûrement pas la porter, ce n'est pas un mec, elle n'a pas la force de Riddle, alors elle se contenterait de traîner son fardeau jusqu'au Grand Arbre... Tout en faisant bien attention à ne pas trop l'abîmer. Pas par peur de se faire incendier au final, mais plutôt par respect pour le corps de la pauvre Sirène, qui avait déja été bien maltraîté auparavant. Elle ne devait pas avoir eu une mort douce... Ça devait être l'oeuvre des Pirates. Les Sirènes sont des prédatrices pour eux qui sont en quelques sortes sur leur domaine, alors il est normal que certains membres de l'équipage se chargent de les chasser... Mais quand même, Heaven aurait hien préféré que ce soit un Pirate qui se fasse tuer à la place d'une Sirène. Parce que les Pirates sont fourbes, les Pirates sont cruels, et ils sont, aux yeux de la Mésange, une menace bien plus importante que les Sirènes, pour les Perdus. En plus, certains sont des traîtres, d'autant plus dangereux parce qu'ils se rappellent de certaines informations à propos des Perdus, qu'ils les connaissent...
Traînant molement le cadavre sur le sable, Heaven regarda machinalement l'océan. Au milieu des vagues, elle semblait appercevoir quelque chose, une sorte de forme lointaine, une tête blonde... Ho non, une Sirène, qui se rapprochait. La Récolteuse venait de se faire prendre en flagrant délit, mais elle ne voulait pas fuir. Il fallait qu'elle s'explique, et qu'elle puisse repartir avec le cadavre coûte que coûte...

La Sirène s'était rapprochée tout près du rivage, et s'était mise à chanter, d'une voix pure, cristalline, emplie de tristesse. Lorsque la mélodie atteignit les oreilles de la Mésange, celle-ci sentit son coeur se serrer dans sa poitrine. Jamais le chant d'une Sirène ne l'avait fait se sentir aussi mal ! Ce chant de détresse était si poignant qu'il en aurait fait pleurer la jeune fille, si elle ne s'était pas retenue. Elle fixait la Sirène en face d'elle, dont le regard accusateur faisait encore plus culpabiliser la pauvre Heaven. Celle-ci tenait toujours le cadavre par les mains, mais elle tenta de s'excuser :

- Pardon, So...

Non, ce n'est pas Solaris. Cette Sirène là ne brille pas. Elle est blonde, certes, mais elle ne brille pas. C'en est une autre. Une autre Sirène avec laquelle Heaven se devait de fournir des explications sur ses agissements. C'en était d'autant plus difficile, car la Récolteuse ne la connaissait pas. Elles se devait de se présenter, mais les excuses passaient avant tout. Le meilleur moyen, pour attirer une Sirène, ou même dialoguer avec elle, peut être pour se faire bien voir, c'est de chanter. Encore fallait-il trouver LA chanson qui pouvait convenir à la situation.
Heaven cherchait désespérément dans son répertoire, qu'elle avait toujours en tête. Et puis, après réflexion, elle en trouva une. S'abaissant alors, elle posa délicatement le corps sans vie de la Sirène brune à terre, puis se releva, sans faire de gestes brusques. Heaven s'avança alors tout doucement vers le rivage, une main sur le coeur, en chantant :

"I feel so sad
What I did wasn't right
I feel so bad
And I must say to you
Sorry, but..."

Heaven s'arrêta. Le reste de la chanson n'est pas approprié pour la situation, alors elle se contenta de le chanter dans sa tête :

"Nobody's perfect
Nobody's perfect
What did you expect
I'm doing my best"

Madonna, une des nombreuses références musicales d'Heaven. Qui ne connait pas Madonna ? La Mésange, dans le monde oridinaire, chantait souvent certaines de ses chansons pour son père, qui adorait cette chanteuse. Mais ça, Heaven ne s'en rappelait pas.
Il est vrai que personne n'est parfait, mais il n'empêche en rien que chanter le reste de ce refrain à la nouvelle venue n'allait pas la réjouir, au contraire. Maintenant tout près du rivage, Heaven se tenait au bord de l'eau, ayant laissé le cadavre de la Sirène brune un peu plus loin. S'agenouillant pour être à la hauteur de la Sirène blonde, la Récolteuse s'était arrêtée de chanter pour continuer ses explications :

- Crois-moi, je n'aime pas faire ça, assura-t-elle d'une voix peu assurée, mais on me l'a obligé.

Elle soupira à ce propos. Oui, elle était en quelques sortes "obligée" de rapporter le cadavre de cette Sirène. Elle aurait très bien pu le laisser là, et prétendre qu'elle n'en avait pas vu, mais, si elle faisait ça trop souvent, Pit allait se douter de quelque chose, et alors là... Heaven allait devoir fournir des explications. Elle s'emporterait encore comme la dernière fois, il y aurait eu des hauts et des bas, elle ne saurait plus quoi dire, quoi penser... Non, elle ne le voulait pas. Elle ne voulait même pas avoir affaire au Joker une nouvelle fois. Il la dégoûte trop.

- Je comprends ta détresse. Si l'on venait à prendre le cadavre d'un Garçon Perdu juste sous mes yeux, je serai aussi très triste...

Avait alors continué Heaven, d'une voix plus assurée, mais aussi plus douce. Elle avait pris ce ton pour rassurer la Sirène en face d'elle, et peut être même pour se rassurer elle-même. Il fallait qu'elle se mette à l'évidence : elle devait ramener ce cadavre au Grand Arbre coûte que coûte. Quitte à subir la rage des Sirènes. Mais elle devait le ramener, sans perdre la vie, elle aussi.

- Mais je suis obligée...

Jugea-t-elle bon d'ajouter, tristement. Heaven s'assit en suite sur le sable chaud, sa main placée sur son front de sorte à lui faire de l'ombre pour ses yeux. Le soleil venait de son côté droit, et la Mésange s'en protégeait du mieux qu'elle pouvait. En espérant que la Sirène ne réagisse pas trop mal...

Spoiler:

La Sirène paraissait plus apaisée, à présent. Une lueur de colère passa un bref instant dans ses yeux, avant de se dissiper. Apparemment, elle comprenait Heaven, mais cette dernière savait bien qu'au fond, son interlocutrice lui en voulait, de vouloir emporter une de ses semblables. Les Sirènes sont très à cheval sur les funérailles. Elles emportent le corps de leur soeur dans l'Océan lorsque celle-ci meurt...
La Sirène se rapprocha un peu plus du rivage, en demandant à Heaven pourquoi elle obéissait, et surtout à qui. Elle questionna alors, de sa voix claire et pure :

- C'est un monstre qui le veut ? Est-ce qu'il va te manger si tu ne lui obéis pas ?

Un monstre qui va la manger si elle n'obéit pas... La vision des choses de son interlocutrice fit doucement rire Heaven, qui afficha alors un léger sourire. Oui, bien sûr, dans l'optique d'Heaven, Pit n'est rien qu'un monstre. Mais les monstres dont parle la Sirène, ce sont sûrement quelques Créatures résidant dans le Domaine d'Halloween, ou bien d'autres, "Sirènivores". La Mésange gloussa lorsque le mot "Sirènivore" lui vint à l'esprit. Est-ce que ce terme existait, au moins ?
Elle garda tout de même le silence, pendant que la Sirène, tout près du rivage, réfléchissait en plissant les yeux. Tout à coup, elle comprit de qui il pouvait s'agir, et posa une dernière question, qui fut :

- Garçon ou Pirate ?

- Garçon.

Avait simplement répondu la Récolteuse, du tac-au-tac. Maintenant que son interlocutrice avait posé des questions, Heaven se devait d'y répondre. Inspirant un grand coup, elle explicita donc pourquoi elle était venue ici, pourquoi elle se devait de faire ce qu'elle faisait, et donner quelques informations sur le commanditaire :

- Pit, le Chef des Raccommodeurs, pour être exacte. Il sait des choses compromettantes à mon sujet, et il risque de me livrer si je ne fais pas ce qu'il dit...

Bien sûr, c'était de sa faute, à la Mésange. Si elle s'êtait empêchée de grandir, il n'y aurait pas eu de problème... Mais bon, le mal est fait, et malheureusement pour elle, elle est découverte, et se doit de marcher droit. Malgré tout, il est si difficile de rester dans le droit chemin, de garder son calme, face à quelqu'un qui, rien que par sa présence, vous met une pression terrible... Et puis, il y a quelque chose d'autre qui fait que la Récolteuse ne peut pas se contrôler. Et cela entraine des réactions exagérées. Des émotions comme la peur, la colère, sont chez elle décuplées, et c'est particulièrement difficile à gérer. Et puis, il y a cette présence dans sa tête qui veut l'inciter au pire. Elle est toujours là, Alors, il arrive souvent qu'Heaven perde pied, et que ça se retourne contre elle...

- Il m'a demandé au départ de lui ramener la peau du dos d'une Sirène, ou sa nageoire. Mais je ne peux pas me résoudre à profanner un peu plus ce cadavre, alors j'ai décidé de le lui ramener. Qu'il se démerde avec par la suite !

Heaven avait dit ça d'un ton à la fois dégoûté et désespéré. En plus, elle commençait de nouveau à divaguer... La lumière étant un peu plus supportable maintenant, elle fit glisser la main sur son front et la posa sur sa cuisse. Assise en tailleur, elle continua alors, avec la même ardeur dans son dialogue :

- Je ne sais même pas ce qu'il veut en faire ! Je ne vois pas à quoi ça lui servirait, d'ailleurs ! Ho, et puis, de toute façon, ça doit pas tourner bien rond chez lui... Et puis, ce type est dangereux !

Elle s'arrêta brusquement, regardant ses mains, qui tremblaient légèrement. La peur et la panique étaient là, déja. Il fallait se calmer. Une longue inspiration, puis une autre... Ça y est, ça allait mieux.
La Récolteuse se pencha un peu en avant, la tête appuyée sur ses mains, les coudes sur les cuisses. D'un ton plus calme, elle ajouta :

- C'est dur, parfois... Au fait, je ne me suis pas présentée : moi c'est Heaven, Récolteuse. Et toi ?

HRP:

La Sirène se présenta à son tour. Clapotis, ça sonne bien comme nom... C'est doux à l'oreille, comme l'infime bruit des vagues sur les rochers ou autre, son nom... Oui, elle a l'air douce, comme Sirène. Elle n'est pas comme les autres. On peut dire tellement de mauvaises choses sur les Sirènes ! Il faut croire qu'elles ne sont pas toutes comme ça... Et heureusement, d'ailleurs.

- Viens à moi, Heaven, entre dans l'eau. Je voudrais te donner un baiser pour ma sœur, je veux que tu lui donnes avant de l'emmener.

Déclara alors la Sirène, qui tendit alors sa main à la Récolteuse pour appuyer sa demande. Cette dernière fut surprise de cette demande, et cligna des yeux. Elle pouvait bien voir la lueur de chagrin qui brillait dans les yeux de Clapotis, et en fut attendrie, bien que toujours un peu surprise, et méfiante. Après tout, une Sirène qui demande à quelqu'un de s'approcher d'elle, ce n'est jamais bon...

- Je ne te ferais rien, tu as ma parole... Tu ne respires pas le mal comme les autres qui marchent sur terre.

Rajouta-t-elle pour rassurer Heaven. Cette dernière réplique dinit par la convaincre, et elle se remit alors debout, époussetant sa robe. Elle se déchaussa ensuite, secouant ses ballerines pour en enlever le sable qui s'était glissé dedans, Lentement, elle se dirigea vers l'eau, le bruit des vagues comme seule musique aux alentours. Enlever sa robe ? Non, non. À quoi ça sert ? Elle n'a plus aucune valeur aux yeux de la Récolteuse, alors elle peut très bien servir de maillot de bain. Et puis, même si ça ne gène pas les Sirènes de dévoiler leur corps, Heaven est une humaine, et bien pudique qui plus est...
Il avait beau faire chaud, l'eau n'en restait pas moins assez fraîche. Elle devait avoisinser peut être 20, 22°C... température normale, en quelques sortes.

Un pied.

Le plus dur était d'y rentrer. Pour le reste, il fallait juste s'acclimater à la température. Une fois qu'on y était, le corps s'y habituait...

L'autre.

C'est froid. Mais Clapotis attend. Plus on attend, moins on a de facilités à se glisser dans l'eau, alors autant le faire le plus vite possible. Ni trop vite, ni pas assez, prudemment...

Heaven avançait lentement, se pinçant légèrement les lèvres. Elle s'arrêtait de temps en temps, et regardait la Sirène qui l'attendait plus loin : lorsque l'eau lui arrivait aux genoux, et lorsqu'elle l'avait à la taille. Une fois qu'elle se fut enfoncée dans l'eau jusqu'aux épaules, elle saisit la main que Clapotis lui tendait et se rapprocha d'elle. Plongeant ses yeux dans ceux de la Sirène, la Mésange fut alors submergée de tristesse, comme si elle ressentait les émotions de son interlocutrice. Non, décidément, elle n'était pas méchante. Elle était bien comme Lagune, et Solaris, les deux Sirènes qu'Heaven avait rencontrées auparavant, et qui n'avaient montré envers elle aucun sentiment d'agressivité. Ce genre de Sirène, Heaven ne peut pas le détester, et, là, elle avait même pitié d'elle...

- Encore... Désolée...

Sussura-t-elle alors, avant d'étreindre chaleureusement la Sirène. Elle avait fait ça sans même s'en rendre compte, les sentiments l'emportant sur la raison. Le geste fit frissoner la Garçonne, presque habituée à la basse température de l'eau. Elle ferma les yeux, bercée par le son des vagues, ses cheveux rose bonbon flottant, ondulant à la surface de l'eau. Sa robe lui collait à la peau, mais elle s'en fichait bien.
Un moment passa avant que la jeune fille ne se retire, fixant le Jolly Roger, au loin, qui tanguait, immobile au milieu de l'océan. Le cadre aurait pu être parfait s'il n'y avait pas eu le navire et les sales rats qui le pleuplent... D'une voix douce, Heaven déclara alors, les yeux perdus dans le vague :

- Je me sens mieux... Ta voix, le bruit des vagues, ça m'apaise... Ça fait du bien...

- Sache que tu n'es coupable de rien, Heaven. J'en veux pour preuve que je ne te ferais pas le moindre mal, toi qui ne m'a pas mentit et qui craint pour ta vie.

La rassura alors Clapotis, d’un ton doux. Elle se hissa un peu plus haut, sa queue de Sirène touchant légèrement la jambe d’Heaven, qui fut un peu surprise de la sensation ressentie. Voilà ce que ça fait, quand un poisson passe près de vous, et que vous sentez ses nageoires, son corps écailleux…
La Sirène posa délicatement ses mains sur les joues de la Mésange. Comme on lui avait déjà fait auparavant, mais Clapotis était plus douce, bien plus douce… Ses mains étaient froides, aussi, mais l’adolescente ne broncha pas. Et puis, les lieux n’étaient pas les mêmes. Là, elle est à moitié immergée dans l’eau, et en compagnie d’une Sirène qui lui inspirait la sympathie.

"Allons, Heaven, ressaisis-toi ! Ce n’est pas l’arrière-boutique de la Mercerie. Ce n’est pas Pit, en face de toi, on ne te retient pas… C’est un geste doux et inoffensif…"

Oui, un geste inoffensif. Un léger baiser sur le front, mouillé, empli de tendresse. Un peu comme ceux que la Récolteuse offre aux plus petits, lorsqu’elle veut les consoler. Encore une attitude propre aux Mères… Mais qui donc interdirait les bisous ?
Un autre, sur la joue, mit fin à l’absence de la jeune fille. Elle sentit aussi une douce caresse, alors qu’elle divaguait encore dans tout un tas de pensées, de questions sans queue ni tête. Clapotis se tenait face à elle, souriante. La Récolteuse ressentait comme un certain malaise, à cause de ce dont à quoi elle avait pensé. Elle lui rendit son sourire, bien qu’il fût un peu déformé.
Son interlocutrice avait l’air de s’être rendu compte que quelque chose n’allait pas, car elle lui demanda si sa vie sur terre lui plaisait vraiment, la trouvant malheureuse, tourmentée. Elle lui parla aussi de devenir un "Enfant de l’Océan". Un terme pour désigner les Sirènes ?

– Non, je ne savais même pas que l’on pouvait faire ça… Mais je ne peux pas, même si je le voulais. J’ai des objectifs à accomplir…

Elle afficha un sourire paisible, en pensant à toutes ces choses qu’elle devait faire. Cela ne la dérangeait pas de parler ouvertement de ses objectifs, maintenant qu’elle était plus légère car elle avait retrouvé Silver… Oui, elle avait retrouvé l’être le plus cher à ses yeux. Ensuite venaient les Perdus, et il n’y avait pas de problème avec la plupart… La plupart, c'est hien de le préciser. Pas tout.

– Et puis, j’ai retrouvé quelqu’un que je pensais mort... Je ne veux plus jamais que nous ne soyons séparés… Et surtout, on a besoin de moi au Grand Arbre… Oui, on a besoin de moi, je le sais. Et j'ai besoin d'eux...

Son regard vint se perdre dans l'étendue bleue de l'océan. Si elle devenait une Sirène, les possibilités ne seraient pas les mêmes... Et surtout, elle ne pourrait plus être au Grand Arbre, même si elle voulait y être le moins longtemps possible. Il y a des mauvaises choses, mais aussi des bonnes. Ce sont les bonnes choses qui comptent le plus, même si, dans l'esprit de la Récolteuse, ce sont les mauvaises qui occupent la plus grande place, dans son coeur et dans sa tête. À force d'y penser, elle s'en rendait presque malade. Mais, même si les individus les plus dangereux se trouvent au sein même du Grand Arbre, elle ne peut se résoudre à quitter ce lieu...
Heaven laissa échapper un léger soupir, presque inaudible. Elle tourna ensuite la tête vers Clapotis, qui était en train d'inspecter une de ses mèches de cheveux, en disant :

- Que voilà une belle couleur... On dirait celle des coquillages qui se cachent dans le sable fin. J'aime beaucoup, c'est très joli.

- Merci, on me le dit souvent, la remercia-t-elle, laissant un blanc avant de répondre, et dire que c'était pas intentionnel...

Petit moment d'absence, un dernier regard au Jolly Roger au loin. Pourquoi le regarder, encore, sans raison ? La simple vue d'une Garçonne "barbe-à-papa" en train de discuter avec une Sirène dans l'océan devrait faire rire, ou étonner les Pirates s'il y en avait qui regardaient à ce moment là...
La Récolteuse bougea un peu, et ressentit un picotement aux jambes. En fait, il serait plus exact de dire qu'elle était en train de frissoner... Sans s'en rendre compte, elle commençait à avoir vraiment froid, à rester ainsi dans l'eau... Bouger un peu lui donnait la sensation d'être dans un bloc de glace. Elle devait prendre congé de Clapotis, maintenant.

- Je crois que je vais partir... Je commence à avoir froid pour de bon...

Déclara-t-elle enfin, en se reculant de quelques pas. Le froid mordait tout son corps, c'était une sensation très désagréable. Alors qu'elle voulait se retirer, Heaven n'eut plus la force de bouger. Son corps était comme engourdi, il ne répondait plus. Ses jambes, encore plus tremblantes, menaçaient de la faire tomber. Et elle était immobilisée, avec encore de l'eau jusqu'aux épaules...

- J-je gèle... J-je peux p-plus sortir... J-je me... Sens mal...

Réussit-elle à articuler d'une voix faible alors que le froid l'envahissait, immobilisant son corps et embuant son esprit. Ses jambes lâchèrent, ses yeux se fermèrent. Plus rien ne répondait, et Heaven sombrait lentement dans l'eau...

Noir. Tout était sombre, flou. Tout tournait. Heaven ne savait plus où elle en était. Le contre-coup du chaud froid... Cette chaleur accablante, avant de s'immerger jusqu'aux épaules dans cette eau fraîche... La Garçonne n'avait pas pu y résister. Elle s'était comme endormi pendant un moment. Lorsqu'elle se réveilla, elle était étendue sur le sable. Retour à la terre ferme... Elle avait entendu la voix de Clapotis, mais elle était comme en sourdine. Ses oreilles bourdonnaient, lui donant mal au crâne. À moins que ce ne soit l'odeur du cadavre de Sirène plus loin, que le soleil meurtrier avait commencé à faire cuire, et dont la chair dégageait cette odeur fétide ?

La Mésange ouvrit les yeux, en les plissant. Le sel de mer, ça fait mal... Et ce fut pire avec les rayons du soleil ! La Garçonne resentit une vive douleur à cause de ces deux choses, et elle se hâta de plaquer ses mains sur ses yeux, lâchant un faible cri de douleur. Pourquoi ses yeux étaient-ils devenus plus sensibles à la lumière ? N'en était-ce pas assez qu'ils aient changé de couleur, passant d'un bleu lagon à un rose fuschia ? Saleté de Fée, va... Elle va le payer, un jour ou l'autre, ça c'est sur !
Un temps. Le sel et le sable sur ses mains lui irritaient encore un peu plus les yeux. Elle roula sur le côté, où elle se retint de gémir. En fait, ce n'était pas vraiment qu'elle se retenait de gémir, mais elle ne pouvait pas le faire; elle respirait difficilement, et, encore dans les vappes, elle ne savait plus vraiment où elle était...
La Récolteuse se mit à tousser, crachant cette eau qui l'empêchait de respirer correctement. Heureusement, ce n'était qu'un peu, mais la panique lui avait un peu plus bloqué la respiration... Elle réussit à reprendre son souffle, tant bien que mal, et se redressa un peu, s'accoudant dans le sable, une main sur la poitrine, l'autre, crispée, les doigts enfoncés dans le sable chaud. Elle était dos à l'océan, et était tournée en direction de la forêt, les yeux toujours fermés.

- Je pourrai lui dire... que j'ai failli crever pour ses beaux yeux...

Grommela-t-elle pour elle-même, dans sa langue natale, d'une voix faible et presque inaudible. Et puis, elle s'assit, et soupira longuement. Ses cheveux mouillés et couverts de sable lui collaient sur les bras et le cou. Elle était entièrement couverte de sable, et Dieu sait qu'il colle bien lorsque le corps est mouillé... Elle se frottait désespérément les yeux avec une parcelle de sa main, de son bras, qui n'était pas couverte de sable. Elle put ensuite de nouveau ouvrir un peu les yeux, bien que sa vue fut encore un peu floue. Elle chercha du regard Clapotis, dans l'étendue bleue de l'océan, et ne mit pas longtemps avant de la trouver. Elle lui lança alors, avec un grand sourire :

- Merci, Clapotis ! Sans toi, j'étais perdue...

Heaven toussota encore un peu, puis pencha la tête à gauche, puis à droite, pour faire couler l'eau dans ses oreilles. Lorsqu'elle parlait, cela faisait comme une résonnance dans sa tête, qui était très désagréable. Une fois l'eau écoulée, la Récolteuse secoua légèrement la tête, puis continua d'une vois las, mais pleine de reconnaissance :

- Je te dois la vie...

Elle avait complètement ouvert les yeux, et regardait la Sirène, sa sauveuse, d'un air tendre. Et dire que certains ne disent que du mal d'elles... Ceux-là n'ont sûrement pas connu des Sirènes pacifiques, comme Clapotis, Solaris ou encore Lagune... Heureusement pour elle, Heaven n'avait fait que de bonnes rencontres, pour le moment. Et elle comptait bien continuer sur ce chemin.

- Bon, j'y vais...

La Garçonne se redressa, et retomba sur les fesses la première fois. La seconde fut la bonne : de nouveau sur ses pieds, elle passa ses doigts dans ses cheveux trempés et couverts de sable. Elle s'en saisit alors et les essora, comme on ferait avec du linge. Le soleil se faisait plus fort -du moins, Heaven le ressentait comme tel-, et lui faisait mal, non seulement aux yeux, mais aussi il commençait à lui chauffer les bras, les jambes...
Elle reprit ses ballerines, se rechaussa, puis se dirigea vers le cadavre de Sirène. En s'approchant, elle mit instinctivement la main sur son nez et sa bouche, tant l'odeur du cadavre se faisait forte. Elle jeta un regard désespéré à Clapotis, avant de s'accroupir près du cadavre. Une bise, sur le front, puis sur la joue, pour exaucer la requête de la Sirène blonde. Elle se redressa ensuite, jetant de nouveau un regard à Clapotis, puis reprit le corps sans vie de la Sirène comme elle l'avait fait au départ.

- Encore une fois... Je suis vraiment désolée...

Lui dit-elle simplement, regardant la Sirène blonde en plissant les yeux, avec un air piteux. Même si elle lui avait assuré qu'elle n'était coupable de rien, Heaven s'en voulait, car c'était elle qui était chargée de ramener le cadavre. C'est comme si elle participait un peu à sa détérioration, comme quand on amène un animal au taxidermiste...
Un peu chancelante, et surtout fatiguée, elle s'éloigna alors, emportant avec elle ce corps mutilé qui allait être utilisé, et dont les restes allaient sûrement être jetés aux oubliettes, ou alors bouffés par des charognards... Jamais il ne retournera à l'océan, alors que ça devait être sa place...
Heaven s'arrêta, et regarda une dernière fois derrière elle. Le soleil se faisait trop fort, et elle ne voyait pas si Clapotis était encore là ou non. Elle lança alors tout de même :

- J'espère qu'on se reverra !

Et puis, elle s'éloigna. Direction : le Grand Arbre, ou plus précisément; la Mercerie. Elle était certaine de trouver Pit là-bas... Et elle avait bien l'intention de montrer le cadavre aux autres Raccommodeurs, pour leur montrer, un peu, qu'il a des idées tordues, leur cher Chef !

HRP:

Spoiler: